Domination et soumission

Parution dans Casse-rôles,
n° 26 novembre 2023-janvier 2024

Domination et soumission

Il s’agit d’une analyse très fouillée des caractères de la domination, ses raisons, ses moyens et son maintien. Est ainsi décrit « un étau multiple qui force à la soumission ». Entre nombre d’exemples, sont mises en avant les banalités habituelles entendues çà et là quand on ne veut pas prendre de risques : « Il faut bien vivre […], ce qui oblige bien des gens à rester sages. » Et puis « on est trop occupé par le travail, la famille, les transports, les papiers administratifs ». Conserver son gagne-pain fait loi, écrit-il.

La Boétie, cité dès les premières lignes, est trop vite oublié.
Mais sont présentés ensuite les nombreux champs de la domination qu’elle soit raciale, politique, symbolique, économique ; développement qui se termine sur le fonctionnement explicatif du « système libéralo-capitaliste », abrégé tout au long du livre en SLC, système qui « a asservi le pouvoir politique pour pouvoir déréguler au maximum (supprimer les lois nuisant à son expansion et à sa domination », système qui a, de plus, « vaincu le communisme et phagocyté le socialisme de type social-démocrate ». Les socialistes sont ainsi devenus les « fondés de pouvoir du capitalisme ».
L’accent est aussi mis sur la domination bureaucratique, « une sorte de gouvernance par les normes, les règles. Elle est vicieuse car elle est assez facilement intériorisée par les assujettis qui, ainsi, se soumettent sans en être conscients, par suite de la pression de conformité qui règne dans la culture dominante ».
Si la domination économique est multiforme, ne manquons pas de dire et de redire que, « un peu partout et presque tout le temps, la femme est mise sous la domination économique de son époux… » et que le travail domestique est très majoritairement effectué par les femmes.
L’ouvrage se termine en présentant un contre-projet de transition de la société à travers la propre lecture de Proudhon que fait Jacques Langlois :
« Prendre le pouvoir politique par la force ou par les urnes ne change pas grand-chose à la totalité sociétale. Il ne peut y avoir que des expérimentations locales à fédérer de façon à obtenir une évolution globale portant sur tous les aspect de la société. » Autrement dit, des « préfigurations », idées défendues par Gustav Landauer et plus récemment par David Graeber.
Cependant, il est rappelé que la pensée de Proudhon a évolué au fil de sa vie ; une pensée « que l’on dirait aujourd’hui systémique ou transdisciplinaire », avec une « dialectique des contradictoires ».
Jacques Langlois se situe personnellement dans ce qu’il qualifie de socialisme libertaire et il n’hésite pas, par exemple à propos de la grève, à se différencier de Proudhon qui a trop négligé ce « bon moyen d’acquérir de l’expérience et de rassembler et de fortifier les exploités ».
Propos corrigé un peu plus loin : « Las, il semble que les organisateurs de manifs et de grèves n’aient toujours pas compris que cela ne sert à rien contre une domination munie de terribles pouvoirs de répression et d’espionnage, etc. »
C’est afficher là une sorte de pessimisme, car Jacques Langlois en reste à la période pleine d’espoirs qu’il a vécue : les Trente Glorieuses (1945-1975) ; depuis, « nous avons régressé, notamment en Occident ». C’est peut-être une vision objective de la situation, mais c’est aussi, semble-t-il, une affirmation à l’échelle de la vie de l’auteur qui n’oublie pourtant pas « les premières lois sociales acquises de haute lutte ».
Il va cependant se reprendre en écrivant que « le changement émergera peu à peu de la profusion des luttes toutes menées à la base pour vivre autrement ». Lentement. Á petit feu.
« Cessons d’être pris en charge par le pouvoir, restons dans les solutions à trouver par la société civile », en se passant de l’État, de la représentation politique et des puissances d’argent par la reconstruction d’une société libre, sans exploitation ni domination.
Car il y a une « morale collective » portée par des idées venues du fonds des âges ; morale qui a guidé l’action qui, elle-même, a conduit à d’autres idées. Ce que Proudhon illustre quand il « a voulu rendre le pouvoir aux ‘‘petites gens’’ dont l’intelligence pratique et vécue est infiniment supérieure à celles des technocrates ».
Et si, comme l’écrit Jacques Langlois, « la domination est permise par la soumission ; celle-ci est contrainte par la domination », il faudra alors en revenir à Étienne de La Boétie qui écrivait :
« Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres »

Jacques Langlois, Domination et soumission, L’Harmattan, 2023, 200 p.

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