Wobblies & hobos

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Publié dans Le Monde libertaire », n° 1664, 15-21 mars 2012.

Magnifique bouquin à tous points de vue que celui-ci qui relate la courte (1905-1919) mais flamboyante histoire des wobblies, les IWW, les « ouvriers du monde entier », ouvriers « industriels » parce qu’ils étaient organisés par industries et non par métiers. Les wobblies recrutaient essentiellement parmi les travailleurs peu qualifiés : des journaliers agricoles, des bûcherons, des mineurs, des ouvriers du textile, etc., et des hobos, ces travailleurs itinérants qui brûlaient le dur et colportaient les idées des wobblies dans tout le pays américain. Un chapitre de ce bouquin décrit assez bien les pratiques libres et pittoresques des hobos.

Pour avoir une idée de ce que voulaient les wobblies, on pourra lire, en y appréciant la qualité, le préambule des statuts des IWW dans sa version définitive et intégrale de 1908.
La machine qui remplace l’outil, la Première Guerre mondiale et une répression féroce du capitalisme et de l’État américain vinrent quasiment à bout de ce mouvement. Mais les graines qu’ils semèrent continuent de lever ici et là de par le monde…
Les pratiques et les mots d’ordre qui furent les leurs, et qui continuent plus ou moins à être les nôtres, étaient : la lutte des classes, la grève générale, l’abolition du salariat et du capitalisme, la résistance ouvrière organisée (« one big union »), la solidarité, l’éducation, l’action directe, le sabotage, etc.
La référence à l’action électorale, controversée, fut rapidement supprimée des statuts car l’électoralisme n’avait pas grand sens pour les wobblies qui se méfiaient des politiciens et aussi des dirigeants syndicaux réformistes ; de même pas grand sens pour les Noirs, les femmes ou les immigrés de fraîche date qui ne pouvaient voter.
Ce syndicat se voulait la base organisationnelle d’une société future qui naîtrait dans le creux de l’ancienne ; les wobblies imaginaient une sorte d’« État syndical ».
La grève des bras croisés ou des mains dans les poches, dans l’unité, était préconisée. Mais, devant la violence policière, une violence identique fut souvent retournée contre la répression. Le sabotage, « qui n’est pas une violence physique », était recommandé, exprimé dans les tracts par l’image du chat noir en colère et celle du sabot en bois.
Entre autres actions, il faut signaler la campagne pour la liberté de parole et le droit de protester dans la rue qui dura une dizaine d’années. En effet, pour lutter contre des officines où on « vendait le travail », les wobblies en préconisèrent le boycott, organisant des prises de parole en pleine rue ; ce qui fut interdit par la municipalité de Spokane, puis celle de San Diego, puis celle d’Everett, les auteurs du délit étant aussitôt arrêtés. Aussi, le 9 octobre 1909, le Industrial Workers lança un appel : « On recherche : des hommes pour remplir les prisons de Spokane. » Il s’agissait de faire converger vers la ville des milliers de militants pour grimper sur une caisse à savon et prendre la parole. Les prisons se remplirent, débordant les municipalités qui levèrent les interdits.
À Lawrence, en 1912, sur 22 000 ouvriers du textile, une bonne moitié était composée de femmes et d’enfants quand commença une grève qui dura dix semaines et où se retrouva la fine fleur des animateurs wobblies. La durée du temps de travail avait été diminuée de 55 à 54 heures hebdomadaire ; la paye avait suivi pour des gens qui se nourrissaient déjà essentiellement de haricots, de mélasse et de pain. « Nous voulons du pain, mais aussi des roses », chantaient les ouvrières de Lawrence.
À Paterson, en 1913, c’est la grève dans les fabriques de la soie. « Nous croyons que la chose la plus violente que puissent faire les ouvriers, c’est d’arrêter le travail », déclare un ouvrier. « Seul le retour des travailleurs dans les usines peut rendre vie à la matière morte des machines. »
Les wobblies s’affirmèrent également hors des villes lors du ramassage du houblon, lors des différentes moissons, dans le bûcheronnage, dans les mines de charbon, de cuivre et de plomb.
« Ne perdez pas de temps à pleurer ma mort. Organisez-vous ! », écrit, en 1915, peu avant d’être fusillé dans l’Utah, le chanteur itinérant Joe Hill, accusé de meurtre. Accompagnant le récit de sa vie et de sa mort, on trouvera dans le CD joint au bouquin la version d’une des chansons parmi les nombreuses qu’il a écrites.
Complétant chaque sujet traité, sont annexés des « documents », c’est-à-dire des textes divers : articles de journaux, brèves biographies de militants, déclarations devant les tribunaux, chansons, poèmes, etc., sans compter les photos, gravures, dessins et bois gravés.
Il va sans dire que ces luttes coûtèrent très cher aux militants en emprisonnements, quelquefois de très longue durée, en passages à tabac, certains particulièrement cruels, en expulsions et fusillades sanglantes.
Anticapitalistes, antinationalistes, antimilitaristes, les wobblies s’opposèrent à la Première Guerre mondiale. En septembre 1917, les agents fédéraux envahirent locaux et domiciles privés pour saisir des tonnes de documents qui servirent aux innombrables procès et condamnations. C’était quasiment l’agonie des wobblies.
Cependant, nous dirons avec eux : « Ne vous résignez jamais ! »

Joyce Kornbluh, Wobblies & hobos,
les Industrial Workers of the World,
agitateurs itinérants aux États-Unis − 1905-1919,
L’Insomniaque éd., 2012, 256 p.
Un CD est inclus avec vingt et une chansons américaines dissidentes.

Achaïra, 22 mars 2012

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