La mentalité américaine

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Il s’agit de trois textes réunis par Howard Zinn en un court volume qui voudraient nous dévoiler une « mentalité américaine » déchirée ; avec, d’une part, le vice essentiel d’un patriotisme de pacotille célébrant l’unité du pays, cachant les différences sociales réelles et les violences de la vie quotidienne, et, d’autre part, la vertu principale d’une tradition de désobéissance civile qui repose sur une nette conscience que l’idée de justice ne coïncide pas avec l’application des lois. La toile de fond, dans ce pays, depuis le début de son existence, c’est que perdure une lutte des classes.

1. Dans « Au-delà de Barack Obama », Howard Zinn nous rappelle que la Constitution commence par ces mots : « Nous le peuple des États-Unis… » Or ce sont 55 hommes riches et blancs qui, réunis à Philadelphie en 1787, ont adopté ce texte sans tenir compte ni des Noirs, ni des Indiens, ni des femmes, ni des pauvres.
Par ailleurs, l’Histoire des États-Unis se caractérise par une expansion territoriale permanente. Actuellement, ne compte-t-elle pas plus d’une centaine de bases militaires à travers la planète, la force armée étant le meilleur moyen de mener à bien ce projet de mainmise sur le monde ? Dans ce texte, Howard Zinn critique Obama de ne pas avoir fait assez tant contre la guerre que pour l’assurance maladie. Il a l’air d’oublier qu’il n’y a là que le pouvoir d’un individu, fût-il le président, et que c’est le système en son entier qu’il faut changer ; ce qu’il écrit cependant un peu plus loin :
« Il faut se pencher sur un aspect de notre mentalité : l’attente d’un sauveur, d’un chef qui fera le nécessaire. Voilà qui est très dangereux. Personne au sommet de la pyramide ne fera le nécessaire. Ce ne sont pas les initiatives des présidents, du Congrès ou de la Cour suprême qui ont amélioré la société, mais plutôt l’action des gens ordinaires. »
Oui, les avancées progressistes n’ont eu lieu que lorsque les gens sont descendus en masse dans la rue en désobéissant aux lois.

2. « Mort aux vaches, mort aux lois, vive l’anarchie ! » est un slogan un peu sommaire mais familier qu’aiment à chanter les anarchistes. Pour autant, est-ce que toutes les lois sont mauvaises ? Est-ce qu’il y en a de bonnes ? La plupart des gens pensent que la loi est plutôt bonne et que sans elle ce serait le chaos et l’anarchie. On dira que les lois, c’est comme les pommes dans un panier, il y en de bonnes, il y en a de pourries. Oui, la plupart des gens craignent le désordre et la violence, préfèrent la paix et la stabilité ; et l’idée de loi est associée à l’idée d’ordre.
Après l’élimination des régimes autocrates du passé, il y a maintenant un droit pour dire l’ordre et la justice. Un droit impersonnel qui a remplacé le caprice des exploiteurs et des dominateurs.
Encore faut-il que règne la justice ! Or l’ordre peut être un ordre d’injustice. Et nous savons aussi que le droit est resté essentiellement le droit du pouvoir politique et le droit des nantis.
Howard Zinn, qui enseignait le droit constitutionnel dans un collège des États-Unis, dit avoir commencé à faire la distinction entre la loi et la justice quand il a vu, dans les années 1960, que l’on arrêtait les Noirs qui réclamaient la justice.
La Déclaration d’indépendance stipulait pourtant que :
« Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructeur de ce but [droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur], le peuple a le droit de le changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement. » Déclaration purement formelle.
Toujours de son point de vue, dans son pays, ce qui s’est fait de mieux en matière de droit, de démocratie, de loi et de justice, ce sont les écrits de Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis. Pour ce dernier, la loi et le gouvernement ne sont que des moyens pour que règne le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur comme déjà dit plus haut. Sinon le peuple a le droit de se soulever, le peuple a le droit de désobéir.
Désobéir, mais pas n’importe comment.
En désobéissant ponctuellement tout en continuant à obéir à la loi générale et en acceptant la peine infligée par la loi. Ainsi que le fit Socrate.
C’est un choix militant, de même que l’on se sert d’un procès comme d’une tribune ; c’est un choix d’éducation aussi ; il s’agit d’éveiller les consciences en acceptant une peine que l’on sait injuste pour en appeler par là à l’opinion publique. C’est obéir à une plus haute expression de la loi ; la légitimité de l’acte doit prévaloir sur la légalité. On obéit à la justice, on n’obéit plus à la loi.
Ce n’est pas le choix de tous. Il en est un autre possible, celui de tenter d’échapper à la loi de toutes les façons possibles.
Rajoutons que la désobéissance civile, par son caractère spectaculaire, présente une force d’expression que n’ont ni l’écrit, ni la parole, ni le vote dans une société démocratique. C’est une technique de minoritaires qui refusent la loi de la majorité, qui refusent la lenteur de ce qu’on nomme les « canaux appropriés » de la démocratie.
À propos de démocratie et d’électoralisme, souvenons-nous, un seul exemple de trahison de promesses tenues, celui du gouvernement Guy Mollet appelé par les urnes pour faire la paix en Algérie et qui retourna sa veste en faisant voter des « pouvoirs spéciaux » par l’Assemblée nationale, pour faire la guerre, et en confiant à l’armée les pouvoirs de police.

3. « Du refus d’abandonner ». Faut-il être pessimiste ou optimiste ?
Howard Zinn termine en disant :
« Pour rester dans le coup, j’essaie d’être pessimiste, mais quand j’observe les décennies passées, il me semble que l’avenir, bien qu’incertain, est possible. »
Quant à moi, j’ai dit ailleurs que l’avenir nous réserve, dans les moments les plus mornes, d’étranges surprises : Mai 1968, la chute du mur de Berlin, les printemps arabes, etc.
Je ne craindrai donc pas de reprendre le mot d’ordre des wobblies :
« Ne vous résignez jamais ! »

Howard Zinn, la Mentalité américaine,
Lux éd., 2009, 132 p.

Achaïra, 17 mai 2012

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