Pour un anarchisme non-violent

Extrait de
Être anarchiste oblige !
publié par l’ACL en 2010

Éléments de réflexion pour un anarchisme non-violent

I. Une galerie de devanciers ?

C’est à Genève que mes lectures d’alors me firent découvrir que la question de la violence, disons plutôt sa critique, étaient traitée surtout par des anarchistes individualistes comme Han Ryner et E. Armand.
Oui, j’étais à la recherche d’ancêtres : il s’agissait en fait de revisiter − ou de visiter pour la première fois − un passé négligé par la plupart ou trop vite mis de côté ; car il est stupide de penser que l’on va tout réinventer tout seul, que l’on va partir privé d’héritage et vierge d’Histoire à l’assaut du monde. D’autres avaient déjà réfléchi à ces problèmes, les avaient déjà abordés avec plus ou moins de bonheur ; des expériences avaient été menées.

Mes recherches se sont donc faites dans le désordre des lectures qui me tombaient sous la main. Il n’était pas question, bien sûr, de tout prendre sans examen, il s’agissait en fouillant des papiers jaunis, de repeser des argumentations oubliées. Oui, ce n’est pas tous les matins que naît une idée originale, mais ne peut-on arriver quand même à faire du nouveau en arrangeant autrement des éléments éparpillés, en découpant et en recollant les morceaux ? Et puis je crois que l’être humain ne modifie sa sensibilité qu’avec une lenteur infinie, qu’il évolue pas à pas, en errant, en revenant en arrière quelquefois…
Si, au début des années 1960, le courant anarchiste individualiste en tant que tel avait quasiment disparu en France, du moins ses idées-forces avaient irrigué l’ensemble de la mouvance libertaire, et même au-delà.
Dolors Marín, qui travaille sur le mouvement espagnol d’avant 1936, a confirmé en quelque sorte ce travail d’imprégnation lors d’un colloque sur Han Ryner qui s’est tenu à Marseille les 28 et 29 septembre 2002. Sans doute a-t-elle surévalué cette influence, mais je constate de plus en plus, en continuant mes lectures, comme une occultation de ce qui n’était sans doute qu’une vague « sensibilité pacifique », une tendance non affirmée et surtout « sans nom », donc difficilement descriptible. On n’est pas pour la violence, si on l’adopte, c’est avec réticence, mais on n’a pas encore « dit » la non-violence positivement.
J’ouvre donc un certain nombre de fenêtres sur des textes et des œuvres − ne serait-ce que pour un aperçu − qui ne nous feront peut-être pas avancer plus avant, mais qui nous aideront à poser les problèmes, car problèmes il y a, dont nous, les anarchistes, ne sommes pas encore sortis.


Commençons par une femme que nous fait découvrir l’Atelier de création libertaire (2009) en publiant « Virginie Barbet, une Lyonnaise dans l’Internationale de Antje Schrupp ; cette Virginie-là, personne ne connaît ni la date de sa naissance ni le jour de sa mort. C’est elle pourtant qui écrivit le Manifeste des femmes lyonnaises adhérentes à l’Internationale pour engager les jeunes gens de 1870 à refuser le service militaire :
« C’est par un acte révolutionnaire, celui du refus de la conscription, qu’il faut protester et non par d’inutiles réclamations. »
« Que craignez-vous ? La prison ? Nous, vos mères, vos sœurs, vos amies, nous veillerons sur vous, nous combattrons avec vous. Aussitôt que nous aurons appris qu’un ou plusieurs d’entre vous ont été arrêtés, nous irons en foule réclamer à l’autorité compétente, et il faudra bien qu’on nous rende justice. »
Faut-il citer Voltairine de Cleyre (1866-1912) ? Cette femme qui écrivit une lettre ouverte à un sénateur des États-Unis disposé à « offrir 1000 dollars pour tirer un coup de fusil sur un anarchiste ». Dans ce texte magnifique, Voltairine donnait son nom et son adresse, déclarant qu’elle se tenait prête à s’exposer comme cible, mais en présence de témoins.
Les Canadiens des éditions Lux, en 2008, ont publié quelques-uns des écrits de Voltairine de Cleyre dont « De l’action directe » datant de 1912, texte qui prend carrément position pour la non-violence. Sans doute le traducteur a-t-il anticipé sur l’évolution du vocabulaire car à l’époque on employait plutôt des termes, d’ailleurs assez malheureux, comme « passive résistance » ou « non-résistance au mal » plutôt que celui de non-violence plus récent.
Han Ryner, pseudonyme de Henri Ner (1861-1938), était philosophe et conteur ; il développa différentes fictions sur un pacifisme libertaire proche de la non-violence, sans que ce dernier mot soit énoncé, autant que je sache. Dès 1900, il publie le Crime d’obéir :
« Il n’y a que deux ridicules, comme il n’y a que deux crimes : obéir et commander. »
Puis le Sphinx rouge en 1905, les Pacifiques en 1914 et la Tour des peuples en 1919.
Il serait possible de rajouter d’autres titres ; citons seulement le Petit Manuel individualiste :
« Le sage est-il révolutionnaire ?
« − L’expérience prouve au sage que les révolutions n’ont jamais de résultats durables. La raison lui dit que le mensonge ne se réfute pas par le mensonge et que la violence ne se détruit pas par la violence. »
À ma connaissance, il n’y eut jamais de mise en pratique concrète et collective. Ryner fut pour autant un militant qui s’engagea dans la lutte sociale.
Les textes de E. Armand, pseudonyme d’Ernest Juin (1872-1962), sont dispersés dans les nombreuses publications qu’il a animées, il écrivait par exemple en 1926 dans Fleurs de solitude :
« La question de la violence n’est pas résolue, du tout, en ce qui concerne sa valeur comme facteur d’anarchisme. Il est indubitable que la violence a servi les desseins de l’anarchisme, sous ses divers aspects. Mais on ignore absolument si elle servira les buts de l’anarchisme. Voilà le problème et il faut le creuser à fond. Aucun anarchiste ne saurait nier que la violence engendre la violence, et que l’effort nécessaire pour se mettre à l’abri des réactions, des représailles des violentés, perpétue un état d’être et de sentir qui n’est pas favorable à l’éclosion d’une mentalité antiautoritaire. Faire violence, c’est faire autorité, il n’y a pas à sortir de là. Un milieu sans autorité ne peut se concevoir et exister que s’il est accepté volontairement et de bon cœur par ceux qui le constituent ; dès qu’il y a contrainte ou obligation, il n’y a plus d’anarchie. »
E. Armand, qui dans sa jeunesse, et malgré une éducation laïque, avait fait le choix du christianisme évangélique, perdit pourtant la foi tout en conservant un vocabulaire tolstoïen ou proche quand il parlait de « résistance passive ». Dans Fleurs de solitude, il reprenait ainsi la formule tolstoïenne de « non-résistance au mal par la violence »
En 1904, lors du Congrès antimilitariste d’Amsterdam, Georges Darien eut beau jeu de contrer une motion de E. Armand « dans lequel il est conseillé de bannir toute idée de violence » par une autre :
« Le Congrès d’Amsterdam […] déclare se réclamer des principes révolutionnaires et repousser catégoriquement les théories de résignation, issues de l’esprit chrétien.
« C’est la violence qu’il proclame, violence, fille de la raison et de la révolte. Révolte active et non passive, cette dernière étant la négation de l’œuvre pour laquelle nous sommes réunis.
« Il déclare repousser certaines théories amorphes à tendances chrétiennes qui peuvent créer dans l’Association antimilitariste internationale une équivoque funeste. » (L’Ennemi du peuple)
Plus tard, en janvier 1959, Armand consacre un supplément de sa revue l’Unique à H.-D. Thoreau, mettant en valeur son côté individualiste et en le qualifiant de « propagandiste de la résistance passive ». Là encore la non-violence n’est pas nommée − mais Thoreau n’est pas un non-violent. Le terme de « désobéissance civile » est adopté, avec l’anecdote, vraie ou fausse, du dialogue entre Thoreau et Emerson quand ce dernier vient le visiter dans sa prison après qu’il eut refusé de payer une taxe.
« Henry, pourquoi êtes-vous là ? »
Ce à quoi Thoreau rétorqua :
« Et vous, pourquoi n’y êtes-vous pas ? »
L’essai de Thoreau sur la Désobéissance civile, connu d’Armand, avait été traduit en 1921 par Léon Bazalgette (1873-1928) sous le titre de Désobéir.
J’ai dit plus haut que l’Entraide de Kropotkine et l’Esquisse de Jean-Marie Guyau m’avaient profondément marqué.
Ce dernier, dans une note, écrit :
« On nous a objecté que la fécondité de nos diverses puissances intérieures pouvait aussi bien se satisfaire dans la lutte que dans l’accord avec autrui, dans l’écrasement des autres personnalités que dans leur relèvement. Mais, en premier lieu, on oublie que les autres ne se laissent pas écraser si facilement : la volonté qui cherche à s’imposer rencontre nécessairement la résistance d’autrui. Même si elle triomphe de cette résistance, elle ne peut en triompher toute seule, il lui faut s’appuyer sur des alliés, reconstituer ainsi un groupe social et s’imposer vis-à-vis de ce groupe ami, les servitudes mêmes dont elle a voulu s’affranchir à l’égard des autres hommes, ses alliés naturels. Toute lutte aboutit donc toujours à limiter extérieurement la volonté ; en second lieu, elle l’altère intérieurement. Le violent étouffe toute la partie sympathique et intellectuelle de son être, c’est-à-dire ce qu’il y a en lui de plus complexe et de plus élevé au point de vue de l’évolution. En brutalisant autrui, il s’abrutit plus ou moins lui-même. La violence, qui semblait ainsi une expansion victorieuse de la puissance intérieure, finit donc par en être une restriction ; donner pour but à sa volonté l’abaissement d’autrui, c’est lui donner un but insuffisant et s’appauvrir soi-même. Enfin, par une dernière désorganisation plus profonde, la volonté en vient à se déséquilibrer complètement elle-même par l’emploi de la violence ; lorsqu’elle s’est habituée à ne rencontrer au dehors aucun obstacle, comme il arrive pour les despotes, toute impulsion devient en elle irrésistible ; les penchants les plus contradictoires se succèdent alors, c’est une ataxie complète ; le despote redevient enfant, il est voué aux caprices contradictoires et sa toute-puissance objective finit par ramener une réelle impuissance subjective. »
Ainsi, par la suite, il m’a plu de faire remonter ma généalogie théorique jusqu’à deux personnages qui ne sont pas anarchistes : La Boétie et Thoreau le déjà nommé. On notera que ce dernier, dès les premiers mots de Civil Disobedience, déclare : « Le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne pas du tout ».
En écrivant son Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie (1530-1563) éclaira, en la dénonçant, la complicité des dominés qui collaborent bon gré, mal gré, avec le pouvoir : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres », déclare-t-il. L’exemplaire que j’eus en main à l’époque n’était pas en français moderne et présentait quelques difficultés de lecture, par contre l’édition s’ornait de bois gravés.
« Le jeune humaniste bordelais recherchait une explication à l’étonnant et tragique succès que connaissaient les tyrannies de son époque. S’écartant de la voie traditionnelle, La Boétie porte son attention non sur les tyrans mais sur les sujets privés de leur liberté. Et il pose une question troublante : Comment peut-il se faire que  “tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent ?” », écrit Xavier Bekaert dans sa brochure « Anarchisme, violence, non-violence ».
Henry David Thoreau (1817-1862), lui, fit avancer la question en inventant la notion de désobéissance civile active par le refus de payer un impôt à l’État. Si son action demeura individuelle et très ponctuelle, l’impact de son petit livre égale en force et en influence celui de La Boétie.
Du côté anarchiste, à proprement dit, il faut citer Anselme Bellegarrigue (1820- ?). C’est le créateur en 1850 de l’Anarchie. Journal de l’ordre. Il écrit :
« J’ai horreur de la guerre civile. Je m’honore et je me flatte tout à la fois de n’avoir jamais fait partie d’un groupe de conspirateurs ni d’un bataillon révolutionnaire ; je m’en honore et je m’en flatte, parce que cela me sert à établir, d’un côté, que j’ai été assez honnête pour ne pas duper le peuple, et, de l’autre, que j’ai été assez habile pour ne pas me laisser duper par les ambitieux. J’ai regardé passer, je ne dirai pas sans émotion, mais au moins puis-je dire avec le plus grand calme, les fanatiques et les charlatans, prenant en pitié les uns et méprisant souverainement les autres. Et quand, ayant dressé mon enthousiasme à ne bondir que dans l’étroite circonscription d’un syllogisme, j’ai voulu, après des luttes sanglantes, additionner la somme de bien-être que m’avait rapportée chaque cadavre, j’ai trouvé zéro au total ; or, zéro c’est néant.
« J’ai horreur du néant ; j’ai donc horreur de la guerre civile. »
[…]
« Pour être libre, voyez-vous, il n’y a qu’à vouloir. La liberté, que l’on nous a sottement appris à attendre comme un présent des hommes, la liberté est en nous, la liberté c’est nous. Ce n’est ni par fusils, ni par barricades, ni par agitations, ni par fatigues, ni par clubs, ni par scrutins qu’il faut procéder pour l’atteindre, car tout cela n’est que du dévergondage. Or, la liberté est honnête et on ne l’obtient que par la réserve, la sérénité et la décence. »
Source : http://raforum.info/article.php3?id_article=5089&lang=en
Un autre anarchiste individualiste : Benjamin R. Tucker (1854-1939) est à citer :
« Dans un article intitulé “Passive Resistance”, Tucker a caractérisé l’histoire de l’Irish Land League comme un des mouvements les plus instructifs de l’histoire : bien que ce mouvement ait échoué à cause de la politique sans scrupule de Parnell qui fut suivi aveuglément par des masses trop naïves, la résistance collective des paysans irlandais est allée assez loin pour démontrer que le gouvernement britannique était essentiellement impuissant vis-à-vis d’une telle entreprise : “S’il avait continué, il n’y aurait de nos jours pas une seule propriété foncière en Irlande.”
« Pour ce qui concerne les impôts, Tucker estimait qu’en Amérique, il est plus facile et plus efficace de refuser les impôts de l’État que de refuser le loyer de la terre. C’est pourquoi il préconisa, pour tous les pays placés dans de telles conditions, l’idée du refus collectif de tout impôt, “to resist taxes”. Si dans un certain pays, un cinquième des citoyens assujettis à l’impôt refuse systématiquement de le payer, le gouvernement combattu est forcé de capituler. “La résistance passive est à notre époque de discipline militaire l’unique forme de résistance qui puisse avoir des résultats efficaces. De nos jours, dans le monde civilisé, il n’y a pas de tyran qui, placé dans l’alternative de supprimer une révolution sanglante ou de se voir acculé devant un grand nombre de sujets bien déterminés à lui désobéir, ne préfère choisir l’issue sanglante”. Car pour les gouvernements modernes, rien n’est plus facile que d’écraser la violence révolutionnaire. » (Rapporté par B. de Ligt dans Pour vaincre sans violence, p. 119, citant Tucker, « Individual Liberty ».)
Il est à noter, a contrario, chez les anarchistes individualistes, que l’on peut trouver également une culture et de l’illégalisme et de la violence, aspect que le grand public par la presse à sensation a le plus retenu et exploité à des fins crapuleuses.
Proudhon se proposait de tuer la propriété « à petit feu », sans coup d’État politique, écrit Jacques Langlois dans un texte de 2009. Il ajoute que selon Proudhon :
« Toute prise de pouvoir par une minorité activiste et violente finit par installer celle‑ci, une fois le pouvoir pris, dans une position de surplomb par rapport à la société civile, dans une séparation entre les dirigeants et les dirigés, dans un quasi-terrorisme situationnel par lequel les retards pris dans la conduite de la révolution politique sont imputés à des saboteurs, à des ennemis, à une cinquième colonne, à des fous. Il faut alors réagir par une main de fer sur la société et éradiquer les opposants, souvent innocents, mais pris comme boucs émissaires des errements des révolutionnaires. Proudhon avait en mémoire les dérives de la Révolution française et il décrivait par anticipation les horreurs de la révolution bolchevique. »
Mais qu’en était-il des anarcho-communistes et des anarcho-syndicalistes dans leur ensemble ? Il semble que, pour eux, ce problème de la violence a toujours été un faux problème. Mais il faut mentionner le nom de Pierre Ramus, personnage dont j’ignorai tout à l’époque.
Pierre Ramus (Rudolf Grossman), anarcho-communiste autrichien (1882-1942), promoteur de la grève générale ouvrière, partisan de la destruction des armes, participa à la révolution allemande de 1919. Ses écrits sont peu ou pas traduits en français. On trouvera quand même le Communisme-anarchiste comme réalisation pour les temps actuels, qui date de 1934, édité par la Brochure mensuelle, et la Préparation à la guerre sans la résistance du peuple. Pourquoi ? de 1935.
La revue Anarchisme et non-violence, dans son numéro 16, de janvier-février 1969, avait publié quelques textes de Ramus, tirant ce militant de l’ombre. L’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam conserve un grand nombre de textes de Ramus toujours inédits.
Quant à moi, je connaissais encore moins Gustav Landauer (1870-1919) et sa Révolution (Édité par Champ libre, voir Gavroche, n° 155, juil.-sept. 2008), traduit en 1974, où le texte de La Boétie est cité largement.
En novembre 1922, un certain Fernand Elosu, dans la Revue anarchiste, écrit à propos du livre de Georges Sorel sur la violence :
« Sorel oublia […] qu’une rénovation véritable n’est pas un chambardement tumultueux et incohérent, mais une prise de possession sereine et méthodique par le travail, pour le travail. La lutte libératrice a lieu non dans la rue, mais dans les consciences, entre les conceptions mensongères, sanguinaires, obscures du passé et les espoirs sincères, doux et radieux du présent. La Révolution n’est pas une idée qui a trouvé des baïonnettes ; c’est une idée qui a brisé les baïonnettes.
« Autoritaire, guerrier, césarien, Sorel ne se réclama jamais de l’idéal libertaire. Il sentait, s’il ne le savait, que la violence n’est pas anarchiste. »
Oui, Elosu n’est pas un militant très connu, mais je suis persuadé qu’il en existe un grand nombre dans le mouvement à être très sensibilisé par des positions semblables, mais qui, faute de propositions plus concrètes et plus exaltantes que de prendre un fusil, restent sur le côté et quasiment muets.
Comme par exemple Roger-A. Paon qui s’exprime pourtant en janvier 1954 dans Contre-courant :
« La morale anarchiste demande tout à l’individu et apparaît donc comme beaucoup plus exigeante que n’importe quelle théorie sociale ou socialiste. »
« L’erreur essentielle de nos camarades est, à mon sens, d’avoir cru possible une révolution anarchiste par la violence, qui aurait dû se maintenir par le même moyen. »
S’il y a plus qu’une méfiance envers l’emploi de la violence, pour autant un engagement dans la non-violence semble lourd à porter et les conséquences inconnues restent difficilement acceptables.

Et puis d’autres en Espagne
Au risque de lasser, j’ouvre ici une fenêtre, peut-être un peu trop grande pour cet essai, fenêtre qui éclaire une démarche critique de la violence. Il semblerait que l’étude du mouvement espagnol pose de nombreuses questions que ma méconnaissance de la langue m’empêche d’approfondir.
Mais on connaît de moins en moins mal les péripéties de la guerre d’Espagne avec la victoire finale de Franco, de même que l’œuvre constructive de la révolution libertaire espagnole − les collectivités agricoles diverses, les syndicalisations industrielles dans les villes, le travail éducatif de l’Ecole moderne de Ferrer, etc. −, mais on ignore un pan entier enfoui dans les fins fonds de l’Histoire : la critique de la violence par les anarchistes et la recherche pour remplacer cette force.
Quant aux protagonistes, nous nous appuyons ici sur le Mouvement anarchiste en Espagne, livre de César M. Lorenzo. Cet ouvrage nous semble, parmi tous ceux parus en français, la base de données la plus complète tout en tenant compte des prises de position personnelles de l’auteur, que l’on peut ne pas partager, mais qui n’enlèvent rien à l’ensemble de l’œuvre. D’autres ouvrages peuvent être consultés en espagnol et quelques-uns en français.
L’histoire de l’anarchisme dans la révolution espagnole de 36 se caractérise par des contradictions innombrables et insurmontables entre la « doctrine », les principes et l’action réelle sur le terrain, contradictions entre la fin et les moyens.
C’est cette confrontation avec la réalité du moment qui peut donner matière à réflexion. Ainsi, on a pu voir des anarchistes participer au gouvernement et aux services de l’État en tant que ministres ou en travaillant dans différents ministères.
De même en exerçant des fonctions de police et de gardiens de prison ; en acceptant la militarisation, ou tout simplement en acceptant d’aller sur le terrain de l’adversaire, c’est-à-dire l’exercice de la violence organisée.
« Les libertaires se voyaient enfermés dans un dilemme : s’ils refusaient l’armée, la militarisation, ils perdaient la guerre, et s’ils bâtissaient une armée, ils trahissaient peu ou prou l’anarchisme. » (Lorenzo, p. 307)
La prédominance de la Confédération nationale du travail (CNT), organisation syndicale libertaire, permettait à l’époque d’envisager une prise du pouvoir économique par l’intermédiaire des différents syndicats, avec la collaboration, ou sans elle, de l’autre organisation syndicale socialiste : l’UGT. C’est ce pas en avant qu’aurait voulu franchir quelqu’un comme Juan García Oliver : s’emparer de tout (ir a por el todo), c’est-à-dire exercer le pouvoir politique, administratif et économique. Mais il ne fut pas suivi.
Sans négliger ce premier aspect de « participation au pouvoir », notre réflexion va se porter ici sur l’exercice de la violence. On notera que dès 1910, des militants estimaient la violence nécessaire même lors d’une grève : « “Il est impossible que la grève générale pacifique puisse durer” et que, par la force des choses, elle ne pouvait être que “révolutionnaire”, ce qui dans leur esprit voulait dire violente, accompagnée d’affrontements armés. » (p. 55)
Dans un premier temps, vers 1874, en Espagne, ce choix de la violence et son enclenchement s’expliquent par la répression policière contre l’organisation ouvrière, qui entraîne un durcissement de la majeure partie des militants avec la montée en puissance d’une contre-violence et le recours au terrorisme, etc. Il est entendu que cette réaction n’est pas propre à l’Espagne et se retrouvera en de nombreux endroits du monde…
Par la suite, le patronat eut recours à des « pistoleros » pour abattre les militants syndicalistes ; la violence de l’État n’était pas moindre ; ce qui amena la CNT à mettre en place une riposte organisée : « Quand une organisation ne peut pas défendre individuellement la vie de ses militants, elle doit le faire par l’action collective », écrit J. García Oliver (A Contretemps, 17, p. 12).
Parallèlement, en Espagne, se développa du côté ouvrier, une volonté de harcèlement social violent continuel, ce que l’on a nommé la « gymnastique révolutionnaire », concept emprunté à Émile Pouget pour s’entraîner à la grève générale expropriatrice et gestionnaire, et qui devait préparer les masses à une révolution. Cette pratique s’accompagnait d’une confiance absolue dans la capacité du chaos créatif du processus révolutionnaire qui allait faire émerger une vie nouvelle.
Le partisan le plus résolu de cette stratégie de la déstabilisation, Juan García Oliver, semblait bien conscient pourtant des dérives et envisageait un garde-fou : « La révolution rompt tous les freins moraux, et le peuple se transforme en une bête dangereuse qui vole, incendie et tue. Ce déchaînement n’a d’autres limites que celles qu’une “force coercitive organisée” est capable de lui imposer. » (p. 297 du Lorenzo.)
Certains militants seront moins soucieux de ces dérives…

Le trentisme
D’autres, au contraire, tirèrent la sonnette d’alarme. En août 1931, des militants d’envergure de la CNT − parmi lesquels Angel Pestaña et Joan Peiró − signaient le Manifeste des trente dénonçant une dérive activiste de la CNT et condamnant explicitement le rôle de la FAI à l’intérieur de la CNT. D’inspiration syndicaliste révolutionnaire, le « trentisme » s’opposait au « catastrophisme » anarchiste et à la « gymnastique révolutionnaire » (Voir A contretemps, « Espagne 36, état des lieux », n° 25, janvier 2007.)
Ainsi vont être cités des militants comme :
R
icardo Mella y Cea (1861-1925) « opposé à la violence d’où qu’elle vienne, ennemi du terrorisme, qu’il soit le fait des gouvernants ou des opposants » (p. 40). Il se déclarait partisan de la « contrainte morale » (coacción moral).
Melchior Rodriguez García (1893-1972) et José García Pradas (1910-1988) auraient, selon Lorenzo, été partisans de la non-violence (p. 268) ; du moins après la Seconde Guerre mondiale pour le dernier cité… Employer ce mot de « non-violence » nous paraît ne pas prendre en compte ce que ce mot recouvre profondément pour ne retenir qu’une opposition humaniste à certaines formes de violence.
José Elizalde, l’individualiste, expulsé de la FAI pour déviationnisme politique (p. 88), fut le traducteur de Han Ryner, cet auteur qui imagina une lutte « pacifique » sans, à notre connaissance, utiliser le terme de « non-violence ».
Juan Peiró Belis (1887-194), trentiste, « réformiste », etc., fut ministre de l’Industrie en 1936 (p. 301). « Peiró se distingue par sa dénonciation constante des violences et des abus qui déshonorent la révolution » (p. 372). « Juan Peiro souligna que les principes et les finalités de l’anarchisme n’étaient pas susceptibles de révision, mais ses tactiques oui, car elles devaient répondre aux réalités de chaque époque ou moment historique. » Livré aux nazis, puis aux franquistes, Peiró fut finalement fusillé après son refus de prendre la tête des syndicats phalangistes.
Higinio Noja Ruiz (1896-1972) est également qualifié de « non violent » par Lorenzo (p. 91).
Tous ces militants à qui Lorenzo décerne plus ou moins légèrement des brevets de non-violence ont souvent été qualifiés de réformistes, d’antirévolutionnaire et quelquefois de… traîtres. L’idée d’une action non violente spécifique leur était sûrement étrangère, de même que tout mysticisme violent l’était pour d’autres. Quand il y avait acquiescement à la violence, c’était par défaut.
Et si nous citons encore César M. Lorenzo (p. 467 de son ouvrage), c’est avec le simple souci de faire avancer la discussion.
« La misère intellectuelle de l’anarchisme – encore plus ancienne et profonde que celle du marxisme – n’était au fond que le corollaire de son insignifiance comme mouvement social dans le monde. Et vice-versa. L’explication réside peut-être en ce que la doctrine n’a jamais résolu les contradictions originaires qui l’autodétruisent et brûlent ses partisans à la manière d’une tunique de Nessus : contradiction entre la croyance à l’indispensable révolution armée – malgré ses terribles risques de dictature, de guerre et de terreur – et l’affirmation de la démocratie à la base, de la paix et du respect d’autrui ; contradiction entre le dogmatisme négateur (anti-État, antireligion, antiautorité, anti-ceci ou anti-cela, parfois anti-organisation en soi) et la volonté de progrès social, le désir de réalisations constructives hic et nunc, l’esprit de tolérance, de liberté, de justice ; contradiction entre la rigidité des principes (action directe de masse toujours et partout, tabous politiques, schémas utopiques, pas de régime de transition vers le communisme) et l’inépuisable diversité du réel, perpétuellement changeant. Si les aspects négatifs l’emportent, le ciel de l’idéal s’obscurcit ; c’est l’immobilisme des « purs », le schisme, le repli sur la petite famille idéologique ou le dérapage des exaltés dans la violence. Si les aspects positifs prédominent, la flamme de la révolte se meurt ; c’est la défection finale du pionnier solitaire ou la perte d’identité dans la nébuleuse de gauche du moment. L’option révolutionnaire violente étant devenue de plus en plus insoutenable au vu des gigantesques possibilités militaires et manipulatrices des États, les anarchistes qui finirent par choisir le chemin d’une transformation graduelle de la société : Gaston Leval l’un des premiers, García Pradas, Félix et Francisco Carrasquer, Fidel Míro, etc. ne parvinrent pas à sortir de l’impasse. »

Et d’autres encore
Avant d’être informé de ce qui précède, j’en vins quand même à penser, donc bien avant de faire ces dernières lectures, qu’une voie nouvelle pouvait s’ouvrir qui n’avait sans doute pas été complètement explorée par les penseurs et les militants.
Et puis j’appris, en compulsant ce qui restait de la bibliothèque de Luigi Bertoni, par des brochures dénichées ici ou là, vieillies et délabrées, qu’il y avait à Bruxelles un militant anarchiste partisan de la non-violence. Son nom : Hem Day (M. D.) ; il s’appelait en réalité Marcel Dieu, patronyme relativement courant en Belgique. Grand admirateur de Han Ryner et de Barthélemy de Ligt (1883-1938), il a publié des textes de ce dernier.
De Ligt non plus je ne le connaissais pas à l’époque. Ce pacifiste révolutionnaire hollandais écrivait dans Pour vaincre sans violence que « plus il y a de violence, moins il y a de révolution ». Il ajoutait : « En somme, le grand problème de l’action révolutionnaire des masses réside en ceci : comment trouver des moyens de lutte dignes de l’homme auxquels même la puissance réactionnaire la plus armée ne pourra tenir tête ? »
Barthélemy de Ligt publia également un magnifique ouvrage : la Paix créatrice…
Il existe donc un héritage que les lignes ci-dessus permettent d’évaluer approximativement. C’est donc un chantier ouvert au courage et aux capacités de chacun.

Aujourd’hui
Lou Marin, déjà cité, militant d’origine germanique, un des animateurs du journal Graswurzelrevolution (publication des anarchistes non violents allemands), laisse entendre dans son Albert Camus et les libertaires que ce dernier fut tenté par la non-violence :
« Est-ce la non-violence ?
« − On me prête cette attitude en effet. Mais c’est pour pouvoir mieux la réfuter. Je me répéterai donc. Je ne pense pas qu’il faille répondre aux coups par la bénédiction. Je crois que la violence est inévitable. Les années d’occupation me l’ont appris. Je ne dirais donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence. Elle est à la fois nécessaire et injustifiable. Alors, je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel, précisément, et la resserrer dans les limites qu’on peut. Cela revient à dire qu’on ne doit pas lui donner de significations légales ou philosophiques. »
Mais, plus tard, Camus écrivit pourtant, alors qu’il tenait la plume pour proposer un statut pour les objecteurs de conscience :
« Au surplus, la non-violence, qu’on prétend si souvent tourner en dérision, s’est révélée en maints cas très efficace, alors que la résistance armée a manqué le plus souvent son but. L’importance du mouvement de Gandhi, à cet égard, n’est plus à dire. »
Et dans le Monde du 22 janvier 2010, Jean Daniel en rajoute citant toujours Camus : « À partir du moment où l’opprimé prend les armes au nom de la justice, il met un pas dans le camp de l’injustice. »
Il ne s’agit pas, bien sûr, pour nous, de « récupérer » Camus, d’une façon ou d’une autre, mais de pointer un aspect de cet auteur trop facilement balayé.
À mon grand étonnement, Daniel Colson dans son Petit Lexique n’hésite pas à donner une entrée à la notion de non-violence et à écrire :
« Non-violence (voir violence, guerre et insurrection). Concept tactique important du mouvement libertaire dans sa lutte contre les institutions et les forces dominatrices, pour contribuer à les détruire de l’intérieur (voir subversion) et pour empêcher que révoltes et insurrections ne reprennent à leur compte la violence oppressive des rapports dominateurs et extérieurs qu’elles prétendent combattre, qu’elles ne se transforment à leur tour en source d’oppression, de domination et de rapports inacceptables d’un point de vue libertaire. Mais lorsqu’elle est transformée en concept central du projet libertaire (voir idéomanie), capable d’ordonner autour de ses exigences et de son imaginaire propres l’ensemble de ce projet, la non-violence risque toujours de lui faire perdre les qualités émancipatrices du mouvement qui l’anime, de le couper de ce qu’il peut, de l’obliger à cautionner et à intérioriser des formes de domination et de violence symboliques (voir ce mot) qui n’ont jamais été aussi efficaces que dans le cadre actuel du libéralisme économique et politique. »
En 2000, lorsque parut le numéro 5 de Réfractions, « Violence, contre-violence, non-violence anarchistes », sans nous être concertés, sans même nous connaître, un jeune Belge, Xavier Bekaert, publiait une plaquette intitulée Anarchisme, violence, non-violence. S’appuyant sur le numéro 6, datant de 1966, de notre vieille revue Anarchisme et non-violence, il compléta, approfondit le travail que Lucien Grelaud et Marie Martin avaient déjà bien déblayé.
Quand je l’ai rencontré pour la première fois, à la librairie Publico, il venait parler de sa plaquette. Je me présentais à lui. Étonné, il me dit un brin moqueur mais avec un grand sourire : « Je pensais que vous étiez tous morts, j’ai travaillé sur les pages jaunies et abîmées de votre revue… » Nous devînmes bons amis.
Récemment, en 2008, David Doillon, dans sa préface aux Propos d’un agitateur de Flores Magón (1873-1922), écrit que ceux qui se revendiquent toujours de la pensée de ce militant, ont, « dans leur ensemble, renoncé à la lutte armée, ils continuent cependant de promouvoir l’essentiel des grands principes […] : antiautoritarisme, anticapitalisme, antisexisme, autogestion, etc. »
Renoncement à la lutte armée sans doute, mais remplacée par quoi ?
Americo Nunes dans les Révolutions du Mexique écrit : « Ce qui s’est passé au Mexique durant la guerre civile, ce fut la militarisation de la révolution. Un phénomène identique eut lieu au XXe siècle au cours de toutes les guerres civiles. La militarisation de la Révolution mit un terme, de manière violente, au processus révolutionnaire. La Révolution s’est étatisée. »
En 2007, Gloria Gargallo avait publié la Raison douloureuse, livre de souvenirs de son père Federico, militant de la CNT espagnole, exilé économique à Bordeaux en 1923, puis retourné en Espagne en 1936 pour participer à la collectivité de Puigcerda ; l’homme est qualifié de tolstoïen bien qu’athée. La lecture du livre n’en explique pas plus, seulement que le problème de la violence est posé.
Il semble donc intéressant de noter que les anars se sont souvent intéressés à Tolstoï, privilégiant sans doute l’éducateur. On sait que, pour Tolstoï, l’État et l’armée sont deux institutions violentes par essence ; on sait aussi que Tolstoï influença Gandhi, une correspondance en fait foi. Pour autant, Gandhi eut moins de succès chez les anars que l’homme de Iasnaïa.
Le débat est donc toujours largement ouvert, mais il est plus que prématuré d’avancer qu’un mouvement d’opinion en faveur de la non-violence se dessine chez les anarchistes ; il y a toujours la reconnaissance de la nécessité de la violence et, pour d’autres, essentiellement un rejet mou de cette dernière, rejet qui ne va pas plus loin ; il y a comme une attente… et les anarchistes piétinent depuis presque une centaine d’années.
En revanche, les termes de « désobéissance », de « désobéissance civile » semblent faire des progrès. Il est à remarquer qu’ils sont tous formés sur une négation : « dés-obéissance », comme « an-archisme », comme « non-violence ».
La preuve que le débat n’est pas clos : une conférence-débat organisée par le groupe Louise-Michel sur le thème de « Riposter ou désobéir : comment réagir face à la violence étatique et économique », au local La Rue, 10, rue Robert-Planquette à Paris le 29 janvier 2010.

II. Les fins mots de l’histoire

Mais de quoi parle-t-on quand on emploie les termes de « violence », de « non-violence », de « désobéissance civile ou civique », de « pacifisme », etc. ? Ces mots, comme tous les mots, portent des significations qui évoluent avec le temps ; les mots vivent et mourront ; ils peuvent être polysémiques et employés à tort et à travers par tout un chacun qui y mettra un peu ce qu’il voudra.
Ainsi, avec une entière bonne foi, j’entends autour de moi certains se qualifier de « non-violents » quand ils cultivent simplement un comportement « sans violence », sans y ajouter l’aspect plus chargé que présente la non-violence active.
Quant à la violence, j’écrivais dans Réfractions, n° 5 en 2000, qu’elle « est première, primordiale. Il est de fait que le monde qui nous est donné est un monde violent, naturellement violent, où les êtres se dévorent entre eux pour survivre, procréer et mourir. »
Violence corrigée à l’intérieur de chaque espèce par l’entraide, ainsi que l’a montré Kropotkine, l’entraide étant une sorte de non-violence intraspécifique.
« Il y a ainsi une violence originelle, biologique, qui a sa source dans le fait que nous sommes des animaux, humains certes, mais animaux quand même. Il y a également une violence du droit étatique qui sacralise la propriété. »
Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les notions de « violence » et de « non-violence », ne sont peut-être pas à opposer complètement. Personne n’est totalement non violent, et personne n’est intégralement violent. Il y a toute une gradation de l’un à l’autre et tout un éventail de nuances.
À deux reprises, je me suis efforcé de définir ce vocabulaire, ceci dans deux articles : « Jalons » et « Point de repère ». [[Anarchisme et non-violence, n° 4, avril 1966, et n° 8, avril 1967.]] Le lecteur pourra s’y reporter.
Une nouvelle réflexion, qui sans doute jaillira des actions en cours, devrait se faire qui utiliserait d’autres catégories intellectuelles comme la « créativité » et la « destruction ». Destruction des personnes, physiquement ou mentalement, destruction des choses, etc. Ainsi, quant à moi, j’accepte le boycottage, le sabotage et la grève, dans la mesure où, s’il y a « destruction », les actes ne concerneront que des choses matérielles, et allant de soi que je me refuserai à une quelconque atteinte à l’intégrité de la personne humaine physiquement ou psychiquement. Mais même dans ce cas, on peut pinailler à l’infini…
Dans ses Réflexions sur la violence, Georges Sorel − une référence obligée −, écrit, en rajoutant ainsi à la confusion, me semble-t-il :
« L’étude de la grève politique nous conduit à mieux comprendre une distinction qu’il faut avoir toujours présente à l’esprit quand on réfléchit sur les questions sociales contemporaines. Tantôt on emploie les termes force et violence en parlant des actes de l’autorité, tantôt en parlant des actes de révolte. Il est clair que les deux cas donnent lieu à des conséquences fort différentes. Je suis d’avis qu’il y aurait grand avantage à adopter une terminologie qui ne donnerait lieu à aucune ambiguïté et qu’il faudrait réserver le terme violence pour la deuxième acception ; nous dirions donc que la force a pour objet d’imposer l’organisation d’un certain ordre social dans lequel une minorité gouverne, tandis que la violence tend à la destruction de cet ordre. La bourgeoisie a employé la force depuis le début des temps modernes, tandis que le prolétariat réagit maintenant contre elle et contre l’État par la violence. » (pp. 256-257.)
Les termes de « désobéissance civile » sont directement empruntés au Civil Disobedience de H.-D. Thoreau ; mots qui se sont imposés grâce, et surtout, au combat des Noirs américains pour la reconnaissance de leurs « droits civiques » car il s’agissait de faire bouger la loi. C’est une attitude citoyenne par rapport à un État et à ses lois qui remet en question, en quelque sorte, la démocratie. C’est une critique en actes de la démocratie : tout un programme !
Indépendamment, ou en concomitance, de cette attitude, on pourra invoquer des valeurs de justice ou de droit, qui vont contre les lois, au nom d’une loi « non écrite » − au-dessus de toute législation de circonstance − car il est démontré  que la loi n’a pas le monopole de la justice, que la loi n’est pas toujours légitime.
On pourra donc préférer le terme moins légaliste, plus universaliste, de « désobéissance civile » à celui de « désobéissance civique ». Mais, actuellement, les deux termes s’emploient l’un pour l’autre.
Par ailleurs, il ne s’agira pas seulement de refuser ce que la loi ordonne mais aussi de faire ce que la loi interdit.
Actuellement, en France, des actions diverses sont menées par des « désobéissants » ou « désobéisseurs » avec en arrière plan une sorte d’obligation de non-violence. Nous y reviendrons.
Quant au « pacifisme », une autre parenthèse doit s’ouvrir pour éclairer des positions qui paraissent confuses à nombre de personnes : le « pacifisme » et la « non-violence », ce n’est pas la même chose ! Nous avons essayé de poser ce problème dans la revue Anarchisme et non-violence (n° 14 de juillet 1968, sur le pacifisme) où il s’agissait de se démarquer du pacifisme intégral.
Dans les années 50 et 60, l’activité du courant pacifiste traditionnel ne concordait pas avec les agissements du nouveau courant non violent, qui se voulait essentiellement actif (et je ne suis pas sûr que la jonction soit faite encore aujourd’hui). Pourtant, d’un courant à l’autre, des individus faisaient office de passerelle.
Rappelons la position d’un pacifiste reconnu ; il s’agit de Félicien Challaye qui écrivait en 1932 : « Il est faux [que le pacifisme intégral] soit lié logiquement à la conception tolstoïenne de la non-résistance au mal. » (« Pour la paix sans aucune réserve », p. 2.)
Il poursuit en employant le terme de « résistance passive », puis celui de « non-résistance ». Ainsi trois nouveaux concepts viennent en rajouter à la confusion, termes tolstoïens qui ont quasiment disparu après que l’action de Gandhi eut imposé la notion de « non-violence ». La « résistance » de Challaye sera plus « active » en décembre 1933 sans pour autant déboucher sur une désobéissance non violente :
« Il ne s’agit certes pas de s’incliner devant la tyrannie et de tendre le cou, comme de vaillants publicistes reprochent aux pacifistes de le conseiller. Dans une ville soumise à la domination d’un Hitler, pourrait se préparer, contre lui, la révolte, mieux que parmi les cadavres et les ruines d’une cité qu’auraient anéantie ses hypothétiques canons. La lutte contre la tyrannie peut se poursuivre par d’autres moyens que ceux de la guerre entre les peuples. La non-participation à la manière de Gandhi, la grève, l’action terroriste individuelle [c’est moi qui souligne], l’insurrection préparée dans le secret selon la méthode employée par les adversaires russes du tsarisme. » (« Pour la paix désarmée, même face à Hitler », p. 116, la Mêlée des pacifistes de Jean-Pierre Biondi.)
De même, Louis Lecoin, pacifiste exemplaire et anarcho-syndicaliste, raconte-t-il dans le Cours d’une vie :
En août 1921, je fus délégué au congrès confédéral de la CGT qui tint ses assises à Lille.
J’y allai armé, car le bruit courait que les inscrits maritimes assureraient un brutal service d’ordre.
Bien m’en prit.
La première séance débutait à peine qu’une quarantaine d’individus, bravi de Rivelli, munis de matraques, manifestèrent leur intention d’expulser tous ceux qui désapprouvaient les dirigeants cégétistes.
Surpris par cette brusque attaque, les représentants des syndicats révolutionnaires lâchèrent pied ; encore un peu et nous allions être jetés dehors.
Je montai sur une table, face aux assaillants. Sortant mon revolver, je tirai en l’air trois ou quatre fois, braquant mon arme, après chaque coup de feu, sur les inscrits maritimes qui reculèrent. (pp. 98-99)
Celui que certains transforment maintenant en un Gandhi laïc et qui fut proposé pour un prix Nobel de la paix envisagea sérieusement d’assassiner Poincaré :
Si je tuais Poincaré ?
Jaurès ne s’était-il pas écrié, en 1913, à Versailles, lors de l’élection du Lorrain à la présidence de la République : « C’est l’homme de la guerre ! »
Ce ne serait donc pas un mal d’en purger l’humanité. Supprimer « Poincaré-la-Revanche », il y aurait un fauteur de guerre en moins. Les autres criminels de même acabit, craignant de subir un sort pareil, prêteraient peut-être une oreille attentive aux rumeurs de paix. Je ne pus l’approcher. (p. 69)
Dernièrement, en 2009, j’ai noté dans un agenda du Monde libertaire que Maurice Laisant (1909-1991), militant pacifiste et anarchiste très connu était partisan de la non-violence. Sur quoi s’appuie-t-on pour écrire cela ? Que veut-on prouver en entretenant ce confusionnisme ? La seule réponse que je trouve, c’est que l’idée de non-violence continue à progresser dans le milieu anarchiste sans pour autant que tout cela soit bien clair dans la tête des militants.
Ainsi, la confusion est grande dans les esprits quand on parle des « pacifistes » et des « non-violents » :
− Les pacifistes, par définition, s’opposeraient seulement à la violence guerrière entre les peuples, tout en acceptant certaines formes de violence sociale.
− Les « non-violents », eux, ne remettraient pas seulement la guerre en question, mais aussi l’usage de la violence à tous les niveaux de la vie. Mais tout n’est pas aussi limpide. Certains non-violents, quand il s’agit de défense nationale, n’hésitent pas à faire cause commune avec les militaires en absence de toute structure collective de défense alternative.
De façon générale, il est évident, pour moi, que toute action collective doit d’abord être « portée » individuellement, l’action collective couronnant un engagement personnel ; du moins, est-ce ainsi que j’ai vécu cet engagement. Ce n’est qu’après quatre années d’insoumission à l’étranger, quand une action collective s’est organisée contre la guerre d’Algérie, que je suis rentré en France.

III. La désobéissance généralisée… qui vient ?

Au cours de l’année 2009, chacun a pu noter que la presse (le Monde, l’Huma, le Canard enchaîné, Siné hebdo, etc.) a monté en épingle les différentes actions de désobéissance collective, avec souvent en arrière-plan la non-violence.
Par exemple, début 2009, en mars, circulait un texte intitulé « Manifeste pour une désobéissance générale », signé plaisamment par un Sous‑Comité décentralisé des gardes‑barrières en alternance, et qui appelait à une sorte de non-coopération :
« La terreur d’État, l’asservissement industriel, l’abêtissement capitaliste et la misère sociale nous frappent tous et toutes. Insidieusement et continuellement, ces forces néfastes séparent notre être intime. Une partie de nous se voit subrepticement contrainte à être le bourreau de notre autre moi, celui qui rêve, sait et veut que ce monde ne soit pas celui‑là. Combien d’entre les citoyens tentent difficilement de défaire la nuit ou pendant leur maigre temps libre ce dont ils ont été complices chaque jour travaillé ? Ce mépris dans lequel nous tient le système est essentiel, comme est fondamentale la négation de nos envies authentiques au profit d’un seul désir : consommer. Au moment où la perspective de l’implosion du système capitaliste devient enfin plausible, il s’agit d’accompagner son effondrement et de s’organiser en « communes » qui privilégient l’être à l’avoir (parce qu’il n’y a plus rien à attendre de l’État) et offrent la possibilité à chacun d’entre nous d’accéder librement (en limitant dans la mesure du possible les échanges d’argent) à la nourriture, à un logement, à l’éducation et à une activité choisie. »
Pour être plus concret, et pour montrer qu’il ne s’agit pas là de génération spontanée, il nous faudra remonter un peu dans le temps et évoquer brièvement quelques événements :
En 1997, à Saint-Georges-d’Espéranche, trois cents paysans de la Confédération paysanne fauchent à visage découvert un champ expérimental de colza transgénique. Un peu plus tard, à Nérac, le même syndicat neutralise un stock de maïs tout aussi transgénique.
En 1999, à Montpellier, une serre de la Cirad est envahie : un millier de plants de riz transgénique encore sont détruits. Cette action vaut à René Riesel et à José Bové une condamnation à six mois de prison ferme. Un peu plus tard, ce sera le démontage du McDo à Millau.
En juillet 2004, première action des « faucheurs volontaires ». L’idée en revient à Jean-Baptiste Libouban, « révolté par les peines de prison infligées à José Bové et à René Riesel pour destruction d’OGM ». Il y aurait maintenant environ 7000 personnes signataires de la charte des faucheurs.
En 2004, apparition de la Brigade activiste des clowns ou BAC, en référence à la Brigade anti-criminalité. C’est la version française de la CIRCA (Clandestine Insurgent Rebel Clown Army), une organisation britannique altermondialiste. C’est un mouvement non violent qui, pour dénoncer l’armée, la répression, la précarisation, etc., utilise la dérision. Il s’agit de manifestations où les participants sont habillés mi-clown (nez rouge, maquillage blanc) et mi-policier/militaire (massue de jonglage pour mimer les matraques, etc.).
En 2005, création du collectif des Barbouilleurs de pub : les déboulonneurs lancent une action d’envergure nationale contre le système publicitaire. Ils souhaitent qu’un nouveau droit soit enfin reconnu : la liberté de réception, corollaire de la liberté d’expression, chacun doit être libre de recevoir ou non les messages diffusés dans l’espace public.
En 2005, des dispositifs biométriques avaient été détruits à Gif-sur-Yvette par un collectif anti-biométrie pour dénoncer la numérisation généralisée du contrôle social et les volontés des industriels d’habituer les enfants dès leur plus jeune âge à la biométrie.
« Que va-t-il se passer le jour où un pouvoir despotique disposera de l’enregistrement biométrique de toute une population ? » écrit Giorgio Agamben dans le Monde du 5 décembre 2005.
Et le 19 septembre 2009, le Monde signale encore la multiplication des procès pour refus de prélèvement d’ADN.
En mars 2009, des enseignants-chercheurs, étudiants et personnels Biatos (autres qu’enseignants) en grève depuis le 2 février 2009, avaient déclarée ouverte en place de Grève à Paris la « ronde infinie des obstinés » ; le 16 avril, Sud Ouest lui aussi signale des « tourneurs en rond » à Bordeaux devant la mairie.
Le 28 mai 2009, le Monde signale des « cercles de silence » pour dénoncer la situation des sans-papiers et leurs conditions de rétention.
Puis le même journal, le 29 août, indique qu’ils sont maintenant 2835 à signer la charte des « désobéisseurs ». De quoi s’agit-il ? De la désobéissance pédagogique des enseignants qui refusent d’appliquer certaines réformes du primaire : « Reste que l’institution fait face à une forme inédite de contestation », écrit Christian Bonrepaux dans le Monde du 7 juillet 2009. De son côté le Canard écrit que les désobéisseurs de cette espèce se multiplient.
I
l s’agit d’enseignants, mais aussi d’un conseiller clientèle dans une banque d’Aubenas, ou d’un médecin dans un hôpital psychiatrique à Bailleul (l’Huma du 10 juillet 2009). Et ce quotidien fait sa « une » en titrant : « Ils ont choisi de désobéir » ; sa 2 et sa 3 étant consacrées à la désobéissance civile : « Ce n’est pas une posture corporatiste ou anarchiste. Mais bien une insurrection des consciences face à la crise morale que véhicule le capital financier. »
Le concept de désobéissance civile gagne donc aujourd’hui de nouveaux partisans en France. Ainsi peut-on encore citer le mouvement des écrivains et auteurs contre le projet de la loi Debré avec son « Manifeste des délinquants de la solidarité », publié le 27 mai 2003 en soutien à des militants arrêtés pour avoir aidé des sans-papiers, texte qui, alors, a déjà été signé par plus de 12 000 personnes et 300 organisations. Ce manifeste s’oppose ainsi à l’application de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui dispose que « Toute personne qui […] aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier, d’un étranger en France ou dans l’espace international précité sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ».
De nombreux groupements pratiquent des actions de désobéissance comme moyen ponctuel ou permanent, par exemple Greenpeace mais aussi d’autres comme l’association Droit au logement qui occupe régulièrement et de façon illégale des immeubles vides pour alerter l’opinion et modifier la politique du gouvernement en matière de logement.
Le Planning familial de son côté abrite au su de tous des pratiques discrètes en contradiction avec la loi, comme la distribution d’adresses de centres IVG étrangers pour les femmes ayant dépassé le délai d’avortement légal en France…
Act Up-Paris, elle, est une association militante de lutte contre le sida, créée en juin 1989 suivant le modèle américain, né deux ans plus tôt. Act Up-Paris, qui se veut autonome, se caractérise par un certain nombre de techniques activistes comme l’action directe qui privilégie tant la visibilité de la lutte engagée que le mode de fonctionnement interne du collectif comme, par exemple la prise de décision au consensus. Cette forme de militantisme peut aller jusqu’à braver la loi.
Act Up-Paris s’adresse à l’opinion. « Hormis les manifestations, qui sont déposées auprès de la préfecture de police, les actions, dans la majorité des cas, sont illégales. Pénétrer dans un ministère, dans un bureau, dans un lycée, investir un monument public sont des actions non tolérées par la loi », rappelle un membre d’Act-Up.
Le Réseau éducation sans frontières, ou RESF (qui naît le 26 juin 2004), est un réseau composé de collectifs, de mouvements associatifs, de mouvements syndicaux et de personnes issues de la société civile militant contre l’expulsion d’enfants scolarisés en France liée à celle de leurs parents en situation irrégulière.
D’autres encore seraient à citer…

Ainsi il semblerait qu’une nouvelle sensibilité, sur laquelle je me plais à mettre l’accent, est née, s’imposant lentement aux esprits, sensibilité faite de défiance et de doute envers les méthodes violentes, sensibilité attentive à mettre en harmonie le but de l’action et les moyens utilisés.
Il ne sera pas inutile de rappeler brièvement d’où viennent ces nouveaux comportements militants, du moins pour la France, et d’en retracer les grandes lignes.
De mon point de vue, il ne fait pas de doute que c’est Lanza del Vasto, ce catholique disciple de Gandhi, qui va − publiquement − ouvrir la voie de la désobéissance civile en France.
Dès 1957, Lanza del Vasto s’était déjà fait connaître − et sans doute bien avant lors de son retour d’Inde où il rencontra Gandhi − pendant la guerre d’Algérie par un jeûne vingt et un jours contre la torture. Un groupe d’activistes sera créé cette année-là : l’Action civique non violente
En 1958, une centaine de personnes conduites par l’ACNV manifestent contre l’usine nucléaire de Marcoule qui produit le plutonium pour la bombe atomique. Puis l’ACNV se dresse contre les camps d’internement pour les Algériens « suspects », en particulier au Larzac.
Fin 1960, c’est l’engagement de l’ACNV auprès des réfractaires à la guerre d’Algérie. Son principal animateur étant alors Jo Pyronnet, en coordination avec la communauté de Lanza del Vasto, mais en dehors d’elle, et en suivant ses propres règlements.
1962 : jeûne de l’anarchiste Louis Lecoin pour obtenir un statut et la libération des « objecteurs de conscience » qui sont en prison. Par la suite, plusieurs milliers de jeunes en bénéficieront.
Puis on notera :
− Des refuseurs de payer la part d’impôt militaire comme Marie Laffranque, Jacky Turquin, etc.
− Des renvoyeurs de livret militaire pendant la guerre d’Algérie, et après cette guerre, comme Jean-Pierre Bertrand, Claude Barthaux, etc. ;
− Ceux qui pratiquèrent l’autodafé du livret comme Bernard Vandewiele lors d’une représentation du Living Theatre, à Toulouse, en 1969 ou comme Maurice Montet, Michel Hanniet et Jacques Moreau qui brûlèrent leur livret le 20 février 1970, place Clichy à Paris.
De 1971 à 1981, c’est l’action très médiatisée des paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire qui triomphera en 1981.
En 1973, à bord du FRI, le bateau contestataire de l’organisation Peace Media, Jean-Marie Muller, Jacques de Bollardière et d’autres participent à l’action du Bataillon de la paix menée dans le Pacifique pour protester contre les essais nucléaires français. Lorsque la bombe explosera quand même, ils seront détenus dans la prison militaire de la base de Hao.
En 1976, manifestations contre le réacteur nucléaire de Creys-Malville.
Puis il y a un trou dans l’action de désobéissance à partir de 1981. Il faut dire que la gauche est alors arrivée au pouvoir. François Mitterrand, élu, a annulé le projet d’extension du camp du Larzac, la peine de mort est abolie, le SMIC est sensiblement augmenté, ainsi que le minimum vieillesse et les allocations familiales, la possibilité est donnée de prendre sa retraite à 60 ans, nationalisations, décentralisation, nouveaux droits des travailleurs, etc.). Pourquoi donc ne pas se reposer maintenant en faisant confiance au gouvernement et à l’État ?
Rapidement, la crise économique internationale reprendra ses droits pour orienter le gouvernement vers la « rigueur économique »…

On peut penser que ces différents désobéisseurs avancent en rangs dispersés et qu’il faudrait une coordination de toutes ces actions…
On peut penser que ces différentes actions ne remettent en cause ni le système étatique ni le capitalisme, bref qu’il n’y a rien là de révolutionnaire…
On peut penser du moins qu’il y a là une sorte une gymnastique militante nouvelle façon, qui peut se radicaliser avec le temps, et cela en restant non violente…
C’est peut-être l’idée qui trotte dans la tête d’une nouvelle génération de militants. Entre autres dans celle de quelqu’un comme Guillaume Gamblin qui s’interroge sur les conditions d’une non-violence révolutionnaire… et libertaire.

Février 2010

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