Questions pour douter…

… affirmations à nuancer, négations pour préciser

(Contribution à l’atelier « violence-non-violence »
lors de la rencontre jurassienne en août 2012)

« Or, il est évident qu’une œuvre aussi gigantesque [la révolution] ne peut s’accomplir ni en un jour ni en une année. Et […] que, pour qu’elle soit possible, elle doit s’accomplir du consentement de la majorité ; il serait insensé à une minorité de vouloir l’imposer de force. » James Guillaume, l’Internationale, documents et souvenirs (1864-1878).

1. En cette année 2012, pouvons-nous encore croire que, du jour au lendemain, une révolution brutale et rapide changera totalement et favorablement les conditions économiques et sociales quelque part dans le monde et, surtout, qu’elle pourra changer la mentalité des êtres humains ?

2. Si notre but c’est l’anarchie, nous ne serons jamais qu’en chemin.

3. La révolution espagnole de 1936 est la plus récente expérience sociale de grande ampleur à laquelle nous faisons référence ; c’est également sans doute la première à avoir été si loin dans le changement social. Elle fut vaincue par les armes. Empathiques et critiques, nous continuons à porter en nous le désir d’une révolution.

4. À moins d’imposer une dictature − projet absolument contradictoire avec l’anarchisme −, notre idée de révolution sociale implique l’accord de l’immense majorité des êtres humains ; la majorité démocratique seule est pour nous inadéquate, inappropriée, car la minorité a tout autant de droits − et de chances d’avoir raison − que la majorité.

5. La plupart des gens ont peur de la violence. Il s’agit donc pour nous d’être, pour le moins, économes de cette violence afin ne pas rajouter des ennemis de ce côté-là. Ce fut, en 2011, par exemple, la stratégie des rebelles syriens ; chemin que, depuis, ne suivirent pas les « déserteurs » qui ont retourné leurs armes contre les oppresseurs.

6. Entre autres questions, pourquoi l’usage de la violence est-il si facilement accepté par les anarchistes ? De même, pourquoi y a-t-il des anarchistes qui votent ?

7. Nous − anarchistes tout autant que d’autres −, en avons assez de traîner les casseroles de la violence anarchiste. Un tournant doit pouvoir être pris vers des voies nouvelles qui ne seraient cependant ni électoralistes ni étatiques.

8. Globalement, il s’agirait de mettre en cohérence nos buts et les moyens de les atteindre, car « plus il y a de violence, moins il y a de révolution ».

9. La violence n’est pas révolutionnaire en soi ; elle peut même être contre-révolutionnaire.

10. Si la violence est une force, la non-violence et la désobéissance civile en sont une également. Il en est d’autres comme la grève, etc.

11. Force et violence ne sont pas synonymes. Nous ne suivons pas Georges Sorel qui écrivait dans ses Réflexions : « La bourgeoisie a employé la force depuis le début des temps modernes, tandis que le prolétariat réagit maintenant contre elle et contre l’État par la violence. »

12. Un anarchiste qui n’est pas violent n’est pas pour autant partisan de la non-violence. Par ailleurs, un pacifiste peut ne pas être partisan de la non-violence.

13. La véhémence, la colère, etc., soulagent qui les expriment mais ne prouvent rien, ne donnent aucun droit, sinon une bonne conscience de soi.

14. La plupart des « non-violents » ne remettent en question ni le capitalisme, ni l’État, ni la démocratie représentative. Certains sont prêts, même, à collaborer avec l’armée dans le cadre d’une défense nationale.

15. Si Gandhi et ses partisans non-violents ont vaincu le colonialisme anglais et ont fini par devenir indépendants, ce ne fut pour le remplacer que par un système démocratique et nationaliste tout aussi capitaliste qu’avant. De même, les Algériens, par la lutte armée, de 1954 à 1962, ont vaincu le colonialisme français et ont fini par devenir indépendants, mais ce fut pour le remplacer par un système nationaliste tout aussi capitaliste et pas tellement démocratique.

16. La désobéissance civile n’est en soi ni de la non-violence ni de l’anarchisme.

17. La fausse alternative « violence ou légalité » ne témoigne que d’un blocage intellectuel, d’une impuissance de l’imagination, de l’oubli de la légitimité.

18. Une pratique de l’illégalité n’est pas obligatoirement une pratique violente.

19. La pratique violente ou non-violente est risque de coups, de mort même. On peut penser que rester chez soi est plus sûr, mais ce n’est pas certain.

20. L’illégalité et l’action non-violente sont hautement compatibles.

21. La classe ouvrière ne semble pas − ou plus − être le seul acteur de l’Histoire. La jeunesse dans son ensemble − la « jeunesse éduquée » des printemps arabes, par exemple − a montré au cours du temps qu’elle était une force ; il en est d’autres encore…

22. Ceux que l’on nomme « les indignés », de tous pays, doivent retenir notre attention malgré l’actuelle imprécision de leurs revendications. Un mouvement acéphale ne peut nous être complètement étranger.

23. Toutes les violences ne sont pas de même nature.

La violence, au plus simple, c’est la destruction volontaire de l’intégrité physique de l’être humain par un autre être humain. La violence peut également se manifester par la destruction mentale ou morale de l’autre. Mais il est évident qu’une action de destruction matérielle, même des plus pacifiques, pourra choquer les mentalités ou heurter les idées les plus communément admises. Cependant, la violence essentielle est structurelle, institutionnelle, inscrite dans les phénomènes de l’exploitation capitaliste et de la domination étatique.

24. Si toutes les violences ne sont pas de même nature − de la défense aux poings nus à la bombe thermonucléaire −, quel sera cependant pour l’anarchiste le point à ne pas dépasser, tant pour l’armement que pour la façon de se le procurer ?

25. Entre la violence et la non-violence, il y a bien sûr des zones incertaines : violentes pour certains, non-violentes pour d’autres…

26. Une fois un but provisoire atteint par l’usage de la violence, comment se débarrasser des restes néfastes de cette dernière ?

27. En France, après la période dite du « terrorisme » (1892-1894), les anarchistes prirent, en grand nombre, un tournant vers le syndicalisme. Aujourd’hui, pouvons-nous espérer que l’anarchisme s’oriente vers la désobéissance civile, voire vers la non-violence active, sociale et révolutionnaire ?

28. La fin ne serait-elle pas totalement dans les moyens comme la plante gît dans la graine et le chêne dans le gland ?

29. Mais y a-t-il une fin ?

30. Personne ne peut prédire l’avenir. Qui avait prévu les énormes « surprises » du beau Mai 68, de la chute du mur de Berlin, des printemps arabes, etc. ?

31. Seuls les poètes disent l’avenir, dit-on. Seuls les poètes sont voyants quand il s’agit d’imaginer ce qui n’est pas pensable.

32. Etc.

♣ ♣ ♣ ♣ ♣

Ce contenu a été publié dans Non-violence, Textes, Théorie. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *