La fin du monde

ou la fin d’un monde

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Vous connaissez l’histoire de ces dindes d’industrie, bien nourries par leur éleveur, dindes qui vivaient heureuses jusqu’à la veille de Noël ? Si une dinde spécialiste de la gestion des crises avait prédit à ses camarades une catastrophe imminente, elles n’y auraient pas cru; car tout allait bien dans le meilleur des mondes volaillers : de la graine quotidienne en abondance et une douce chaleur…
Nous, êtres humains, de notre côté, nous savons que nous sommes mortels et que nos civilisations le sont aussi. Mais, maintenant, nous sommes fondés à penser que l’humanité est également mortelle.

On nous rétorquera en souriant que l’apocalypse demeure une marotte humaine indéracinable. Cependant, tout en restant raisonnablement pessimistes, nous constatons quotidiennement que l’air, l’eau et les aliments sont de plus en plus pollués, que les océans acidifiés se vident de leurs poissons, que sur terre la biodiversité des espèces vivantes, animales et végétales, va diminuant, que les crises énergétiques, climatiques, économiques, sociales, guerrières, de plus en plus interconnectées, s’alimentent les unes les autres ; en bref, il est établi que tous les indices d’une catastrophe imminente sont au rouge et annoncent une crise planétaire d’ensemble.
« Les publications scientifiques qui envisagent des évolutions catastrophiques globales et une probabilité croissante d’effondrement se font de plus en plus nombreuses et étayées », nous expliquent Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans Comment tout peut s’effondrer. Ainsi, au cours de notre propre génération, se dessine cet avenir angoissant.
Cependant, entre cette vision apocalyptique et l’idée contraire que les forces du progrès arrangeront les choses au fur et à mesure des nécessités, il manque une « véritable science appliquée et transdisciplinaire de l’effondrement », ce que les deux auteurs nomment la « collapsologie ».
En se gardant de sombrer dans un désespoir prévisible, ils conviennent qu’il faudra faire le deuil d’un certain avenir qu’il y a peu encore nous voulions construire ; cet autre futur écarté pour toujours sera alors à réédifier avec une perspective inimaginée et pour autant rieuse et passionnante car la mort de notre société industrielle ouvrira la voie à de nouvelles formes de sociétés ; ce n’est donc pas la fin du monde, mais la fin d’un monde pour en inventer ensemble, ici et maintenant, un autre.
C’est parce que nous consommons actuellement plus que ce que la planète peut fournir et c’est parce que nous sommes en train de détruire son écosystème que nous allons à l’effondrement. Et, sans trop savoir cependant où se situe la limite, il est certain que nous sommes déjà au-dessus du plafond de sécurité à ne pas dépasser. L’allure exponentielle de la population, de la consommation d’eau et d’énergie, etc., accable notre planète.
Tout en expliquant très honnêtement que ces chiffres se discutent, nos deux auteurs ne sont pas avares de chiffres pour conforter leur thèse ; mais, ce qui est absolument sûr pour eux, c’est que nous sommes devant un « mur thermodynamique qui s’approche de plus en plus vite ».
On ajoutera que la structure présente du capitalisme favorise, nous le savons que trop, l’accroissement des inégalités ; et les inégalités génèrent de l’instabilité économique et politique, comme lors de la grande dépression de 1929 ou lors du krach boursier de 2008.
On sait, hélas, que les Cassandre et autres lanceurs d’alerte qui disent les voies à ne pas prendre annoncent en vain les catastrophes :
« Pendant que certains membres de la société tirent la sonnette d’alarme indiquant que le système se dirige vers un effondrement imminent et donc préconisent des changements de société structurels, les élites et leurs partisans sont aveuglés par la longue trajectoire apparemment soutenable qui précède un effondrement, et la prennent comme une excuse pour ne rien faire. »
Et, entre autres facteurs d’atermoiement dont il faut tenir compte, il y a le verrouillage des esprits, le verrouillage des techniques nouvelles paralysées par les puissants. Par exemple, l’agroécologie et la permaculture peuvent produire mieux et plus, et avec moins d’énergie, mais, coincés mentalement par les choix faits par nos prédécesseurs, nous continuons, imperturbables, dans leur voie.
« Il faut donc cultiver des innovations aux marges », nous disent les auteurs qui anticipent.
En attendant, que sera cet effondrement ? Un grand vide ? Une désorganisation générale ? Le gouvernement paralysé qui perd tout contrôle ? Les services de l’État impuissants remplacés par des mafias et des clans ? Plus de lois ou la loi du plus fort ? L’anarchie, quoi ! Le retour à la barbarie !
Eh bien, nous dit-on, devant un désastre, ce n’est pas exactement la façon dont se déroulent les choses en quelques endroits et à certaines époques. « Après une catastrophe […], la plupart des humains montrent des comportements extraordinairement altruistes, calmes et posés. »
« Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’image d’un être humain égoïste et paniqué en temps de catastrophe n’est pas du tout corroboré par les faits. »
Cependant, il n’est pas acquis qu’une succession de crises apportera avec celles-ci une transition pacifique et paisible, nous accorde-t-on.
La leçon à tirer serait, devant le bouleversement annoncé, de se préparer dès maintenant avec des savoir-faire nouveaux ; en effet, en tous lieux, des expérimentations se développent, des liens se tissent. Il s’agit de recréer une société. Rien d’étonnant dans de tels propos quand on sait que, pour Pablo Servigne, l’entraide est un champ de recherche particulièrement cher ; c’est, à n’en pas douter, un sujet sur lequel, avec Pablo, nous reviendrons sans coup férir un jour ou l’autre…
Oui, « l’effondrement n’est pas la fin mais le début de notre avenir ».

Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer,
Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes,
Le Seuil, 2015, 304 p.

Achaïra du 7 septembre 2015

Réfractions, n° 35, automne 2015

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Le journal Sud-Ouest du 31 août 2015, dans un texte titré « Les fantômes tenaces de Katrina », donne le témoignage d’un certain Gary Escoffier : « Les autorités fédérales et locales ont été en dessous de tout, accuse-t-il. Le gouvernement décidait telle aide et l’État fédéral la remettait en question… On ignore souvent où est passé l’argent alloué à la ville. » « Mais Gary se souvenait aussi que cette période a été un moment unique où la générosité était à son apogée. Tout le monde s’entraidait. »

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Le Monde du samedi 16 juillet 2016 titrait : « Les luttes environnementales se radicalisent ». Philippe Subra, professeur de géo-politique, à qui on demande si la violence est inéluctable dans les luttes répond :
« Pour ces militants, les formes de lutte traditionnelles sont une impasse, que ce soit l’écologie politique, les élections et même les mouvements associatifs traditionnels. [… ] Il existe un continuum entre la résistance physique à l’évacuation, qui peut être pacifique, et la violence à l’encontre des forces de l’ordre. On peut rejoindre une ZAD sur un mode non violent et passer à un mode d’action dure. »

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Dans le journal Sud-Ouest du 15 mars 2016, avec photo à l’appui :
« Pau. Fausse marée noire au palais. Hier à midi, le collectif Action non violente COP21 organisait une action contre l’organisation au palais Beaumont, début avril, d’une conférence sur l’exploitation du pétrole offshore […]. Une quinzaine de militants écologistes ont placé un faux puits de pétrole dans le bassin du palais Beaumont et ont créé une sorte de simili-marée noire à l’aide, notamment, d’un produit à base d’encre de seiche. » Et dans Sud-Ouest du 4 avril 2016, toujours avec une photo légendée « Formation à l’action non violente pour les militants… ». 500 participants annoncés.

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