Vive la syndicale !

Paru dans Chroniques Noir & Rouge,
n° 3,
décembre 2020
et dans Le Chiendent, n°20, mai 2022

Quel enthousiasme dans cet ouvrage qui énonce la nécessaire et quotidienne besogne ouvrière pour lutter contre l’exploitation économique ! Il s’agit là de lutte de classe, de conscience de classe et d’autonomie ouvrière ; pour tout dire, il s’agit du syndicalisme révolutionnaire, concept de lutte se voulant plus large que l’anarcho-syndicalisme et fondamentalement différent d’un certain syndicalisme d’accompagnement lourdement collaborateur du patronat et de l’État.
« Plutôt que de tenter de faire prévaloir une philosophie politique dans l’organisation syndicale, le syndicalisme révolutionnaire propose, lui, de dépasser ces clivages pour éviter les divisions, conscient que celles-ci n’ont jamais servi que les intérêts des capitalistes. »

Avec la connaissance forte de l’atomisation du prolétariat, Guillaume Goutte, l’auteur, également très averti des échecs des luttes passées et des faiblesses du syndicalisme contemporain, se tient pour autant sur la réserve devant la radicalité insurrectionnelle violente qui tend à priver la masse ouvrière de sa souveraineté et, pour cela, il s’en réfère à Pierre Monatte (1881-1960), figure syndicale d’importance, qui mettait en garde tant contre la politique réformiste que contre l’insurrectionnalisme, l’une et l’autre « corrupteurs » et « mangeurs d’hommes ».
Et il n’est pas jugé inutile de rappeler que les syndicats ne se voulurent pas seulement des structures de combat mais des lieux de culture, de sociabilité, de rencontres, d’entraide et de partage : mais, hélas ! maintenant, on ne va plus à la Bourse du travail qu’en cas de conflit avec l’employeur, et cela pour ne résoudre que des problèmes personnels.
Il est avancé que le syndicalisme serait autosuffisant ; en son sein, tout devrait pouvoir s’y régler – vraiment ? –, mais que les directions syndicales n’ont pas bonne presse, et que leurs discours incantatoires d’appel à la grève générale n’est plus guère pris au sérieux.
L’auteur, lui, en appelle à l’autonomie d’un « front social » déployé dans les structures interprofessionnelles des confédérations syndicales et dans le respect de leur vie démocratique.
Par ailleurs, les organisations spécifiques anarchistes sont critiquées comme par trop figées ; il conviendrait, est-il dit, de « repenser leurs interventions et leurs discours pour présenter un anarchisme social opérant ».
Nous savons que le propos de l’auteur est un propos d’ouvrier « en situation », et qu’il veut se donner les moyens de lutter en renforçant les relations du monde ouvrier, en investissant les unions locales, en créant des caisses de grève, en allant au-devant des salariés non syndiqués « pour discuter, débattre et leur expliquer l’importance de rejoindre le syndicat ». Également, en luttant pour un syndicalisme d’industrie :
« Le syndicat local d’industrie est la forme la plus pertinente pour implanter le syndicalisme dans le monde du travail. Il entend organiser les travailleurs d’une même profession et d’un même territoire dans un seul et même syndicat, qu’ils soient en activité, privés d’emplois ou à la retraite, en CDI, en CDD ou en intérim… »
Avec Guillaume Goutte, nous ne pouvons que regretter que les Bourses du travail – « l’une des plus belles créations du mouvement ouvrier français » – ne soient pas devenues des contre-sociétés ouvrières ; les historiens pourraient tenter d’en expliquer le pourquoi… Il s’agissait, entre autres, de « sortir le syndicalisme des lieux de travail », de créer « des refuges, aussi, où trouver du soutien et des oreilles attentives. Un réseau autonome, enfin, avec ses coopératives, ses associations sportives, ses bibliothèques, ses cours du soir, ses crèches, par et pour les travailleurs ».
L’auteur cite le Syndicat général du Livre et de la communication écrite – son syndicat –, cas de figure exemplaire s’il en est quant à la solidarité ; on rappellera la grève du Parisien libéré qui dura environ 30 mois (1975-1977) avec d’innombrables occupations (les tours de Notre-Dame, l’Arc de triomphe, le paquebot France, etc. ; et aussi la destruction et la dispersion de journaux, en particulier sur l’avenue des Champs-Élysées lors d’actions directes, comme également le blocage du tour de France cycliste, etc.
Sans complètement vouloir sortir le syndicalisme du lieu de la production, mais en se plaçant à côté, disons que la créativité ouvrière – et sociale en général – n’a pas dit son dernier mot pour développer des lieux de vie qui englobent l’ensemble du quotidien.
Après l’effondrement annoncé de notre monde par les collapsologues, cela pourrait tout aussi bien être au programme d’un avenir proche afin d’ouvrir la voie à un autre futur.
En sachant que le futur ne se force pas et que, seule, la patience, la « besogne quotidienne », porte ses fruits, que la sociabilité de l’être humain (que l’on retrouve dans le monde animal) n’a pas de frontières, il nous reste à développer tous azimuts les coutumes de l’entraide.
L’Histoire n’est pas figée, et si les historiens, le nez dans les archives, ne peuvent imaginer l’avenir – ce n’est pas leur rôle, dira-t-on –, l’avenir, lui, réserve toujours des surprises, bonnes ou mauvaises, car, et on a pu le constater, personne n’a jamais pu anticiper le moindre futur.
Oui, il faut s’atteler avec obstination à sa besogne quotidienne.

Guillaume Goutte, Vive la syndicale !
Pour un front unique des exploités, Nada éd., 2018, 80 p.

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