Le pacifisme et la révolution

Publié dans l’Union pacifiste, n° 522, de septembre 2014.

C’est le titre d’un certain nombre de textes politiques de Bertrand Russell écrits pendant la Première Guerre mondiale et que les éditions Agone ont réunis et édités, textes qui montrent bien que, si l’auteur n’était pas un pacifiste intégral, sa démarche contre la guerre n’en fut pas moins absolument ferme dès le début de ce conflit et jusqu’à sa fin puisque ses discours du moment le conduisirent dans une prison où il put quand même continuer son travail de philosophe.
Russell met surtout en évidence l’absurdité essentielle de l’affirmation des va-t-en-guerre de l’époque argumentant qu’il fallait bien entrer dans cette conflagration pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’agressivité prussienne et avec la guerre perpétuelle.
On suivra donc avec un grand intérêt une pensée rationaliste, libérale, d’un progressisme de plus en plus social, d’une grande et claire intelligence et d’une excellente qualité d’écriture. Si Russell ne fut pas alors un partisan de la non-violence − le terme n’était pas en usage à l’époque −, c’est parce qu’on parlait alors de « résistance passive » (expression maintenant datée). Cependant, l’idée non-violente est bien présente dans sa pensée. En témoigne ce qu’il écrit, en août 1917, après l’attaque musclée d’une réunion de pacifistes par des groupes de nationalistes. Il s’y exprime de façon explicite en imaginant des comportements non-violents tels qu’ils se pratiqueront par la suite :
Ainsi écrit-il : « La conduite appropriée [lors de cette agression], d’un point de vue pacifiste, [aurait été] que chacun reste assis calmement et refuse de bouger… »
C
’est pourquoi il est intéressant de constater tout au long du livre que le mot « force » est employé là où maintenant nous emploierions le mot « violence » et de voir se dérouler, toute en nuances, la position pacifiste si particulière de Bertrand Russell. Pour lui, en effet, une action doit être évaluée essentiellement selon ses conséquences ; mais, remarque-t-il, par l’emploi de la violence, le risque est grand de prendre goût au pouvoir, à la domination et à la cruauté.
Il écrit aussi :
« Si l’idée du “caractère sacré de la vie humaine” veut dire que la force ne doit jamais être utilisée pour renverser de mauvais systèmes de gouvernement, mettre fin aux guerres et aux despotismes, et apporter la liberté aux opprimés, alors je ne puis honnêtement y souscrire. »
Ces quelques remarques pour appuyer le fait que durant cette centaine d’années passées l’évolution et la précision du vocabulaire militant ont permis un éclaircissement de nos idées et une plus grande efficacité dans nos façons d’agir.
Il est à remarquer que Bertrand Russell fut plein d’espoir à l’époque devant les événements qui se déroulaient en Russie, et qu’il imagina alors une révolution sans violence tout en sachant que la maîtrise des foules en action est limitée :
« Je suis un objecteur de conscience à la guerre présente, et à presque toute guerre imaginable entre des États civilisés. Mais j’ai toujours soutenu et publiquement déclaré que l’utilisation de la force dans des révolutions ne doit pas être nécessairement condamnée. »
Car Russel se déclare socialiste, ennemi du capitalisme et de la propriété privée mais partisan d’un « État faible », c’est-à-dire d’un socialisme d’une espèce très particulière : le socialisme « de guilde » brièvement exposé dans le livre. Ce socialisme qu’il préconise devra libérer les « impulsions créatrices » de l’être humain.
Russell nous étonne sur un autre plan ; c’est quand il imagine une défense nationale, collective et civile, reposant sur une « résistance passive » au cas où les Allemands envahiraient le pays. Et il en développe une argumentation exemplaire. Plus tard, devant la menace hitlérienne, il changera d’optique ; aussi nous reste-t-il à souhaiter que les éditions Agone continuent leur travail en publiant les textes de Bertrand Russell en relation avec la Seconde Guerre mondiale.
On pourra débusquer dans cet ouvrage des phrases ciselées comme des aphorismes ou comme des « vérités » dignes du meilleur moraliste :
« Nous craignons l’ennemi étranger, qui tue les corps, davantage que nous ne craignons l’ennemi en nous, qui tue les âmes. »
« Généralement, les héros historiques d’une nation ne sont pas ceux qui ont été les bienfaiteurs de l’humanité, mais ceux qui ont causé du tort à d’autres nations. »
« Pourtant, dès que la question est envisagée calmement, sans céder à la panique, il ne fait aucun doute que l’armement, loin d’apporter la sécurité, constitue en réalité la cause principale des désastres dont il est censé nous prémunir. »
« Les citoyens les plus honorés de chaque nation sont ceux qui ont tué le plus grand nombre d’étrangers. »
« Les humains mâles, étant grégaires, se battent naturellement en meutes. »
Il en est d’autres qu’un esprit attentif découvrira avec bonheur au fil de la lecture

Bertrand Russell, Le Pacifisme et la Révolution,
écrits politiques (1914-1918), Agone, 2014, 320 p.

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« Anna Quangel tremblait. Elle regarda de nouveau Otto. Il avait peut-être raison : que ce fût peu ou beaucoup, personne ne pouvait faire plus que risquer sa vie. Chacun selon ses forces et ses aptitudes : le principal était de résister. »

Hans Fallada, Seul dans Berlin, Folio, Denoël, 2013.

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« La mystique irraisonnée de la violence a beaucoup gêné le développement de notre mouvement libertaire, tout au long de son histoire. »

Jacques Toublet, Réfractions, n° 5,
« Violence, contre-violence, non- violence », printemps 2000.

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