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Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Publié dans Le Monde libertaire, n° 1717 du 3 au 9 octobre 2013.

Nous disions dans une précédente chronique que notre compréhension du monde devait être bousculée et que nous devions partir à la recherche d’un nouveau sujet de l’Histoire ; d’un nouvel acteur en puissance de transformer le monde puisque le prolétariat, force prépondérante jusqu’à maintenant, a perdu la conscience de lui-même, s’est atomisé, éparpillé sous les coups des dernières transformations et restructurations d’un capitalisme
tout-puissant.

Sans doute n’y a-t-il pas qu’une seule force capable de faire levier pour que le monde change ; il existe certainement de multiples impulsions venues du bas de la société, avec quelques-unes sûrement plus déterminantes que les autres. Des forces que l’on ne nommera plus ouvrières ou paysannes, des forces diverses, des forces autres que les mouvements écologistes, féministes ou pacifistes et d’autres encore, comme nous en avions l’habitude jusqu’à maintenant.
Cependant, s’il est une force égale à elle-même et qui se renouvelle sans cesse, inépuisablement, c’est bien la jeunesse. Une jeunesse qui n’a jamais craint de prendre tous les risques. N’a-t-elle pas été de tous les mouvements révolutionnaires au long de l’Histoire et quelquefois à la source du combat ?
Avons-nous oublié que si le Mai 68 français n’a pas débouché sur une révolution il a cependant mis, grâce à la jeunesse, les consciences en effervescence ? Et s’il n’a pas changé la vie radicalement, il a marqué profondément les esprits pour de nombreuses années et changé les mœurs ?
Cette jeunesse qui, de nos jours, paraît-il, ne lit plus ; sourde au monde proche, un casque sur les oreilles à écouter sa musique ; qui, paraît-il, ne regarde même plus la télévision mais possède des portables équipés d’un écran la reliant au monde entier ; cette jeunesse étrangère, dit-on, aux problèmes du moment et que l’on nous dit autiste, n’a-t-elle pas, il y a peu, fait bouger le monde, équipée de ses boîtes magiques en naviguant en temps réel sur la toile universelle ?
Cette jeunesse-là est urbaine, plutôt bien éduquée ; elle vient des classes moyennes appauvries et en voie de paupérisation, associée à d’autres révoltés d’origines diverses ; sa contestation du monde se manifeste doublement : dans le milieu urbain où elle vit et sur cette fameuse toile qui a mis les canaux de l’information à l’horizontale.
À sa façon, équipée des technologies nouvelles, elle a créé une contre-culture originale qui en laisse quelques-uns au bord de la route.
Il semblerait donc que le sujet de l’Histoire, c’est, maintenant, cet « individu collectif » et connecté qui a surmonté l’atomisation du monde prolétaire et qui innove dans ses manières d’agir, loin des répétitives habitudes d’il y a peu de temps encore.
Allons-nous dire pour autant que la lutte de classe a disparu ? Disparu avec un monde ouvrier qui a laissé la solidarité à d’autres ? Disparu avec une paysannerie combattante ramenée à la portion congrue ? Disparu avec les « cols blancs » indécis qui, pour la plupart, hésitent sur le choix de leur camp ?
Non! il reste un monde qui supporte jour après jour la domination et l’exploitation, trop saturé de misère, trop encombré par la survie quotidienne, quand bien même il se fait invisible et porte silencieusement le poids d’une vie laborieuse… ou sans travail.
Non, ce qui a disparu − répétons-le −, c’est la conscience collective du pouvoir prolétarien de moins en moins organisé dans ses regroupements de défense.
Mais de nouvelles forces virtuelles, vivantes et insaisissables sont nées, organisées en réseaux sans hiérarchies et capables de donner des rendez-vous sur l’heure et dans la rue à d’importants rassemblements, de même capables de diffuser informations et mots d’ordre instantanément sur toute la planète.
(On notera cependant que ces nouvelles technologies sont des outils à la portée de tous, jeunes progressistes ou jeunes réacs.)
C’est cette jeunesse qui serait à l’origine du mouvement Occupy Wall Street, des « indignados » espagnols, des mouvements des printemps dit arabes, du mouvement turc de la place Taksim, de mouvements en Chine ; et nous en oublions…
Weronika Zarachowicz écrit dans Télérama, n° 3316 du 3-9 août 2013 :
« Ce sont des mouvements non-violents, qui reçoivent une réponse de plus en plus répressive du système. Dans les régimes autoritaires, le pouvoir a systématiquement tenté de pousser le mouvement à la violence, car, dès lors qu’un mouvement devient enragé, son rapport avec la société est détruit. Le vrai drame, c’est la Syrie ; une mobilisation spontanée et émotionnelle, pacifique pendant six mois, a été réprimée avec la plus grande violence – 7 000 morts ! −, et le mouvement social a cédé la place à une guerre civile. La première victime d’une guerre civile, c’est lemouvement social. »
Weronika Zarachowicz présentait le travail du sociologue Manuel Castells qui, de son côté, note dans son Ère de l’information (Fayard éd.) :
« Les sujets, si et quand ils sont construits, ne le sont plus à partir des sociétés civiles, qui sont en passe de se désintégrer, mais dans le sillage d’une résistance communautaire. »
Si la jeunesse peut être l’étincelle, le sujet d’une résistance communautaire, le sujet de l’Histoire qui s’écrit, elle ne sera pas seule ; celles et ceux qui l’accompagneront seront innombrables. Car si l’on sait de toute éternité que l’on peut être vieux à 20 ans, on sait aussi que la jeunesse n’a pas d’âge.

Achaïra, octobre 2013

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