Le moucheron contre l’éléphant

Auteure : Sylvie Knoerr-Saulière

Conscience contre violence
ou Castellion contre Calvin de Stefan Zweig

« Grâce à une organisation extraordinaire, Calvin avait réussi à transformer une ville entière, un État, ne comptant que des citoyens libres, en une vaste et docile machinerie, à supprimer toute liberté de pensée, toute indépendance, au profit de sa seule doctrine. Rien à Genève n’échappe à son pouvoir : le Conseil et le Consistoire, l’Université et les tribunaux, les finances et la morale, les prêtres, les écoles, les sergents, les prisons, le mot imprimé et la parole, tout est sous son contrôle, dépend moralement de lui. La doctrine calviniste est devenue la loi, et celui qui ose élever contre elle la moindre objection, le cachot, l’exil ou le bûcher, ces arguments définitifs de toute dictature, lui ont bientôt enseigné qu’à Genève une seule vérité est tolérée, dont Calvin est le prophète. »


C’est ainsi qu’est décrite, dans l’introduction de cette œuvre essentielle, Genève sous la coupe de Calvin, auquel va s’opposer Sébastien Castellion, tel « le moucheron contre l’éléphant » selon ses propres termes. Car, remarque Stefan Zweig, « toujours aux époques de fanatisme l’homme resté humain est complètement seul et impuissant au milieu des zélotes en lutte les uns contre les autres. » En 1936, lorsque Stefan Zweig met la dernière main à son livre, n’est-il pas lui aussi pris par un sentiment d’extrême solitude devant la montée triomphante du nazisme ?

Du reste, il écrit, dans le dernier chapitre intitulé « Les extrêmes se touchent » :
« Nous croyions déjà disparu à jamais le temps du despotisme spirituel, de la contrainte des idées, de la tyrannie religieuse et de la censure des opinions ; nous pensions que le droit de l’individu à l’indépendance morale était aussi absolu que celui de disposer de son corps. Mais l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement, une suite de victoires et de défaites ; un droit n’est jamais conquis définitivement ni aucune liberté à l’abri de la violence, qui prend chaque fois une forme différente. »
En même temps qu’un plaidoyer pour la liberté de conscience et contre la violence politique et religieuse, l’auteur nous fait découvrir Sébastien Castellion, ce penseur libre méconnu, croyant certes, mais défenseur sans faille de la liberté de choix de ses convictions, refusant que l’on impose par la force une croyance, quelle qu’elle soit (1). Stefan Zweig nous fait aussi plonger dans cette Europe déchirée par les guerres de religion et ensanglantée par les persécutions, catholiques et protestants usant du cachot, de la torture et du bûcher. Toutefois, dans le cas des réformés qui se sont opposés à l’Église catholique romaine au nom du droit au libre examen, la faute paraît plus grave s’il est possible.
L’ouvrage est aussi une biographie sensible qui nous fait nous attacher à Sébastien Castellion, admirer son courage, sa générosité, en même temps qu’une grande simplicité et une absence totale de goût du pouvoir.
Enfin, Stefan Zweig délivre un message d’espoir en faisant remarquer :
« Toujours il se trouvera des « consciencious objectors », des esprits indépendants pour se révolter contre une telle violation de la liberté humaine : si systématique que soit une tyrannie, si barbare qu’ait pu être une époque, cela n’a jamais empêché des individus résolus de se soustraire à l’oppression et de défendre la liberté de pensée contre les monomanes brutaux de leur seule et unique vérité. »

Sylvie Knoerr-Saulière

1. Voir : Sébastien Castellion, un penseur libre méconnu sur https://penselibre.org/spip.php?article370

Stefan Zweig, Conscience contre violence
ou Castellion contre Calvin
,
Castor Astral
éd., 2004

Paru sur le site Penser libre le 16 janvier 2011

https://penselibre.org/spip.php?article371

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