Un homme meurt comme la journée passe

Le Journal de Mouloud Feraoun est arrivé par La Poste, en cadeau. Rappelons que Feraoun (1913-1962), instituteur, fut assassiné par l’OAS quelques jours avant la déclaration d’indépendance de l’Algérie : «  Je peux mourir aujourd’hui, être fusillé demain : je sais que j’appartiens à un peuple digne qui est grand […] je sais qu’il vient de secouer un siècle de sommeil. »

On est accoutumé à geindre sur notre sort quotidien de Français moyens, sur nos jours poussiéreux ; on se plaît à râler − à raison, c’est sûr − ; la vie est difficile. Pour Feraoun et les siens, c’est la mort qui était possible, « qui peut vous frapper n’importe comment et n’importe où ». Aussi, se plonger dans son livre peut, à qui veut bien entendre sa parole, rétablir un peu le sens de la relativité dans nos vies. Il écrit :
« Maintenant que chaque jour des compatriotes, des connaissances, des amis tombent, je vois que j’avais raison de ne pas me troubler. Non, la mort n’est pas impressionnante. Elle n’est ni juste ni injuste. C’est la mort, voilà tout. Un homme meurt comme la journée passe. »
Feraoun nous décrit sa vie de directeur d’école, coincé dans son village, « comme un sac de sable entre deux boxeurs », entre les exactions de l’armée française et la férocité des militants du FLN.
Bien sûr, il est du côté de l’indépendance, mais…
« Les exécutions brutales, les rançons qu’on fixe arbitrairement, l’arrogance d’une autorité toute fraîche, bornée et méprisante, tout cela prendra peu à peu l’allure d’un joug beaucoup plus insupportable que celui que l’on prétend secouer. »
Il dit plus loin :
« J’ai pu lire d’un bout à l’autre le numéro spécial du Moudjahid. […] Si c’est là la crème du FLN, je ne me fais pas d’illusions, ils tireront les marrons du feu pour quelques gros bourgeois, quelques gros politiciens tapis mystérieusement dans leur courageux mutisme et qui attendent l’heure de la curée. »

Certes, il ne suffit pas de dénoncer le racisme, l’égoïsme, la bêtise, la cruauté, la médiocrité des gouvernements, le goût du pouvoir et de l’argent, etc., et, tout autant, certaines méthodes de résistance et de libération. Oui, nous sommes à la recherche d’autres moyens… Et parce qu’on ne peut refaire l’Histoire, on peut, ici, pour le moins, garder en mémoire ces témoignages et quelques autres qui nous aideront à préparer un avenir meilleur.

Mouloud Feraoun, Journal (1955-1962),
Seuil éd., 2011 (1962), 496 p.

Publié sur le site Pensée libre des Amis d’André Arru, le 3 février 2014.

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