En suivant Emma

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Eh bien, je vais vous parler ce soir d’une pièce de théâtre que vous pouvez aller voir et entendre à Bordeaux. Il s’agit d’En suivant Emma.
Emma ? Oui, Emma Goldman, la nôtre, l’anarchiste, la féministe (1869-1939).
Celui qui a écrit cette pièce de théâtre, « pièce historique » précise le titre, c’est Howard Zinn, né en 1922 à Brooklyn, New York ; c’est donc un historien américain. Il fut également aviateur et participa au bombardement de Royan en 1945, là où le napalm a été utilisé pour la première fois par les Américains.

Plus tard, Howard Zinn milita pour les droits civiques aux États-Unis. On trouve nombre de documents le concernant sur la Toile.
J’ai lu En suivant Emma. Et je pense que la vérité historique est respectée.
Alors ? Alors, c’est très intéressant ! Sur scène, je ne doute pas que l’enthousiasme du public se manifeste ; et je me suis laissé dire que le Cri du peuple, la chorale des libertaires de notre ville, participe à la fête.
Alors, j’ai envie de retrouver Emma sur la scène, et aussi ses compagnons, et aussi bien sûr ses compagnes, et les débats, et ce que l’on dit de la vie militante de l’époque.
Tout d’abord, du compagnon d’Emma, celui du début de sa vie : je veux parler d’Alexandre Berkman, qui écrivit l’ABC de l’anarchisme, qui tenta de tuer Henry Clay Frick, un riche industriel, responsable de la mort de nombreux ouvriers de la mine.
Il le manqua de peu et passa pour cet acte quatorze années en prison.
Dans l’ABC de l’anarchisme, l’interlocuteur de Berkman veut bien dire que l’anarchie est une belle idée, mais qu’elle ne convient qu’à des anges.
« Tu as raison, lui répond Berkman. C’est pourquoi nous devons nous demander comment acquérir les ailes nécessaires pour créer cette société idéale. »
Dans cette pièce de théâtre, on rencontre également Johann Most, le vieux militant de ce temps, et qui se moque, là, cruellement, de Berkman qui a raté son coup.
Mais il s’agit d’abord d’Emma… Eh bien, on la trouve très vivante, pétulante, totalement engagée, cohérente avec ses idées, prenant la parole devant de larges auditoires : il paraît qu’elle était très douée pour dire ses convictions en public et crier ses colères. Ainsi, elle s’exprimera :
− Pour le contrôle des naissances : la femme doit décider elle-même.
− Sur le mariage comme institution : le mariage n’a rien à voir avec l’amour.
− Sur l’amour libre : qu’est-ce que l’amour s’il n’est pas libre ?
− Sur le patriotisme : le dernier refuge des canailles.
− Et aussi sur le théâtre d’Ibsen, celui de Strindberg et celui de Bernard Shaw.
Et là on se trouve devant une Emma Goldman qui nous donne une vision du militantisme pour le moins souriante. Fini le combat social sans la joie !
« Devons-nous abandonner la musique et l’odeur des lilas pour être révolutionnaires ? » demande Emma.
À propos d’une chemise un peu trop luxueuse, que porte un compagnon qui est critiqué pour cela, Emma dit encore :
« N’avons-nous pas besoin de jolies choses pour nous rappeler comment la vie pourrait être un jour ? »
J’ai lu, ailleurs, qu’elle voulait bien faire la révolution, mais à la condition que l’on puisse y danser. Emma était une femme joyeuse… et, pour autant, elle s’est dépensée à fond pour nos idées.
Bien sûr, le problème de la violence, problème récurrent dans les milieux libertaires, est abordé à de nombreuses reprises.
« Que les choses soient claires, dit Johann Most. La violence contre des innocents ? Jamais. La violence contre les oppresseurs ? Toujours. »
Mais, dit encore Emma, longtemps après l’attentat contre Henry Frick :
« Je peux vous dire que ni Berkman ni moi-même ne croyons que l’assassinat est un pas vers la révolution. »
Alors, nous, en 2009, nous pouvons continuer à discuter…
Il y a peut-être un endroit où Howard Zinn n’est pas fidèle à la vérité historique, c’est quand il fait dire à Emma, à propos d’un engagement à haut risque, qu’il s’agissait de s’opposer à la Première Guerre mondiale :
« Quelqu’un doit le faire. Et, si on résiste, on sera bientôt trop nombreux pour tenir sur leurs billots. »
C’était proposer là une technique de désobéissance civile de masse, technique de l’action directe plutôt non violente, technique qu’appliquèrent également les wobblies − les wobblies, ce sont les syndicalistes des IWW, les International workers of the world −, quand ils s’efforçaient de remplir les prisons.
Donc, je ne peux pas vous dire si c’est vraiment Emma qui parle ou bien si c’est Howard Zinn, le militant des droits civiques.
Mais, pour vous faire une idée, et pour votre plaisir, allez donc voir cette pièce. Et, avant ou après, procurez-vous l’autobiographie d’Emma Goldman.
Quant au livre de Howard Zinn, il a été publié par Agone en 2007.
En suivant Emma sera présenté par l’atelier-théâtre du collectif Bordonor.
Représentations les 27 et 28 juin à 20 h 30 à la Boîte à jouer, 30, rue Lombard, Bordeaux.
Et le 4 juillet au Grand Parc, mais je ne sais pas à quelle heure ni dans quelle salle.

Achaïra, 18 juin 2009

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