Poésie & littérature – Galerie

Eugenio Granell :

Claude Kottelanne :

La jardinière du Mississippi

Dans ta maison une pierre à feu
s’est frottée aux alouettes.

Les vitres sont devenues bleues
sous l’ardoise des lavandes.

La lumière y danse sous l’aile des moulins.

C’est un feu qui couve sous la fraîcheur des mots.

La margelle du puits la pierre du lavoir
Le sable des mains et la lèvre des vagues

les prononcent à nouveau ce matin
toujours comme la première fois.

N’y refuse pas les amulettes d’enfance.
Souviens-toi des grands steamers
sur les ruisseaux du Mississippi.

Tiens-t’en aux mots.
Le monde les rêve quand tu les reconnais.

Vaches et chiens ont le museau frais ce matin.
Les fleurs ont pris d’assaut ta maison de feuillage.

La rosée sous l’arc-en-ciel
berce ses bulles de savon.

Nul n’a oublié sa tête de chatte.
Aujourd’hui ta maison est un jardin.

N’y refuse pas le bonjour de la mélancolie
de tendres chèvres y font la révérence.

Sous le regard étoilé d’une huître perlière
elles relèvent leur front de pierre douce.

Songe que le grand paon de jour
bat des ailes sur les feuilles d’une ancolie.

Je n’invente rien.

Dans l’approche d’un brin d’herbe
j’en possède même la photographie

son ombre immense déjoue l’inéluctable.

Un feu très doux y couve
sous la fraîcheur des mots.

que prononcent les lèvres mouillées
d’une grande consoude bleue.

Tiens-t’en au prestige de l’alouette
(les incrédules y contemplent leur cadavre).

Donne ta langue au chat.

D’Alice comme au grappin des nuages
une confidence de femme.

Son jardin est une maison.
Les mots s’y déshabillent.

Une pierre à feu s’y frotte aux alouettes.

Entre les draps d’une maison et d’un jardin
palpite le seul secret d’une lampe.

Un souffle s’apaise sur la braise du sang.
Il veille sur la jardinière du Mississippi.

30 janvier 2006, minuit.

Alain Eludut :

Si tout peut arriver, il se peut que rien n’arrive
dans toute vie où l’éloquence du vide
le dispute à la passion qui nous inspire.

Berges et Seuils, Tarabuste éd., 2017.

On trouvera des poèmes d’Alain Eludut sur :

https://www.terreaciel.net/Alain-Eludut
Par exemple :

Soleils

Après les longues suffocations des sols
le va-et-vient incessant des tracteurs
et autres engins agricoles peut commencer.
La paille qu’on dirait préparée depuis toujours
va rentrer dans les silos.
Les meules immenses vont s’aligner
et se superposer
comme les roues de soleils domestiqués
sous les hangars.
L’atroce volonté de faire tourner la terre.

Viktor Krivouline :

poubelle

hier encore le drapeau russe avait l’air rouge
aujourd’hui rouge bleu et blanc
couleurs qui font envie mais leur obéir non
nous sommes toujours ceux-là qu’à l’aurore
les gardes menaient au poteau
ceux chez qui on faisait irruption
la nuit arme au poing
et la longue traînée de sang sur le tapis
laissée par cette littérature
en vente aux abords du métro
a disparu d’un coup quand ont soufflé
les vents nouveaux − l’ont-ils balayée
rouge blanc bleu − poubelle

Poèmes après les poèmes, Les Hauts-Fonds éd., 2017

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