Varlin, un communard, ouvrier du livre

Publié dans Casse-rôles, n° 12, mai-juillet 2020

Propos d’Eugène Varlin quant au travail des femmes
(En commission ouvrière, 20 octobre 1867.)

« M. Varlin, relieur, croit que la femme doit travailler et doit être rétribuée pour son travail. Il croit que ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent la mettre pour toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre. Elle doit se suffire à elle-même, et comme ses besoins sont aussi grands que les nôtres, elle doit être rétribuée comme nous-mêmes. Que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme : même produit, même salaire.
« Par ce moyen, la femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme, et son travail la fera libre. »

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Varlin, un communard, ouvrier du livre

Eugène Varlin n’était pas bon en orthographe, nous dit Michèle Audin qui lui consacre un livre, mais cela n’empêcha pas nombre des contemporains de cet ouvrier relieur de reconnaître sa grande intelligence ; il « apprenait vite ». Au demeurant, ce militant exemplaire, en pleine activité dans les dernières années du second Empire de Napoléon III, ne répugnait pas, rapporte Michèle Audin, à fréquenter les bals populaires et, de plus, participait à une chorale mixte. L’auteure ajoute que c’était un bel homme. Qualité supplémentaire, Varlin, contrairement aux ouvriers proudhoniens, n’était pas partisan de cloîtrer les femmes au foyer.
Mais ce sont surtout les articles de Varlin pour la presse ouvrière, ses lettres aux militants de Genève, de Lyon, de Berlin, de Londres, etc., que met en avant cette belle édition. Nous retrouvons là, vécue par un prolétaire parisien, l’histoire de l’Association internationale des travailleurs dans ses congrès, dans la vie quotidienne des quartiers populaires, mais également dans les relations avec les militants de province, tout aussi actifs et tout autant sollicités : il s’agissait essentiellement de solidarité financière, car les grèves des différents corps de métier se multipliaient en cette fin d’Empire, concomitamment avec l’augmentation du nombre des organisations ouvrières en lutte.
Mais c’est en mai 1868, lors du procès contre l’AIT, que Varlin, chargé par ses camarades de prononcer la défense, montrera « les qualités les plus rares : la rigueur du raisonnement, la concision et la vigueur de l’expression, un dynamisme lié à sa colère de classe, l’ironie dénonciatrice contre les exploiteurs, mais aussi une grande chaleur humaine envers les opprimés ». Pour autant, l’Association internationale sera dissoute par le tribunal et neuf prévenus seront condamnés à trois mois de prison.
Oui, contre la rapacité capitaliste et le pouvoir complice encore en place, il s’agissait d’organiser des sociétés de résistance – le mot de « syndicat ouvrier » n’était pas encore bien en usage, semble-t-il –, des coopératives de consommation comme la Ménagère, des restaurants populaires comme La Marmite, des sociétés de secours mutuel comme la Caisse du sou pour les grèves, etc. De même, se créent des associations de production avec pour ambition de supprimer le patronat.
Dans L’Égalité du 19 juin 1869 paraît un texte qui dénonce – la chose n’est donc pas nouvelle – les provocations policières :
« Après la journée tranquillement passée, le soir, des bandes d’individus, sortis on ne sait d’où, parcouraient certains quartiers chantant La Marseillaise et criant Vive Rochefort, vive la Lanterne. Le public badaud avait bientôt transformé ces groupes en masses compactes et un grand nombre de jeunes gens naïfs augmentaient vite le nombre des tapageurs. Puis venaient les bris de vitres, de becs de gaz et de devantures de boutiques, les renversements de kiosques et même des tentatives de barricades faites sur le boulevard Montmartre […]. Enfin la police arrivait.
« Chose étrange, les sergents de ville et les municipaux à pied et à cheval se trouvaient justement massés bien avant l’heure de l’émeute dans les quartiers où elle devait se produire. »
Les arrestations pouvaient alors intervenir.
C’est une période où l’Empire se désagrège lentement, où le droit de grève est finalement reconnu ; grèves qui se multiplient dans tous les corps de métier ; grèves qui demandent la solidarité financière, et Varlin se démène pour récolter les soutiens des diverses sociétés ouvrières.
Mais la grande idée qui sous-tend l’imaginaire des prolétaires d’alors, c’est la révolution sociale qui surgira bientôt de la guerre franco-allemande et de la débâcle de l’Empire ; révolution qui aura pour nom « la Commune » avec pour injonction essentielle le « mandat impératif ». La Commune sera écrasée par l’armée versaillaise comme, plus tard, sera écrasée la révolution espagnole de 1936 à la suite, également, d’une guerre, celle-là civile, provoquée par l’armée factieuse qui avait la volonté d’empêcher une autre révolution sociale.
Le 28 mai 1871, à Paris, dernier jour de la Semaine sanglante, Varlin est arrêté, lynché et finalement fusillé dans la rue ; un officier versaillais volera sur son cadavre la montre en argent offerte par les ouvriers relieurs.

De l’existence achevée, du cadavre sans vie, Varlin écrivait : « Le corps est bien réellement tout ce qui en reste » :
« Devons-nous pour cela vouer un culte temporaire ou éternel à ce corps inanimé ? Non, car ce que nous avons aimé en lui, c’est l’existence, la pensée, le mouvement, le regard, la parole, l’action, la sympathie ; tout cela est perdu à jamais. Conservons le culte de ses actions, si elles ont été grandes et généreuses, de ses pensées, si elles furent belles, de son cœur, s’il a aimé. Quant à son corps, quant à cette matière inerte, dès qu’elle a cessé d’agir, nous ne pouvons que la rendre à la nature pour qu’elle la transforme et la ranime à nouveau. » (Écrit à la prison de Sainte-Pélagie le 19 juillet 1868.)

Eugène Varlin, ouvrier relieur, 1839-1871,
écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin,
Libertalia éditeur, 2019, 488 p.

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