Sabotage, boycott, etc.

Sabotage, boycottage
et marque syndicale

Extrait du Chiendent, n° 12,
revue syndicale de réflexion et d’action
vers le syndicalisme d’autonomie prolétarienne pour l’émancipation

Extraits du compte-rendu des travaux
du Xe Congrès national corporatif

(IVe de la Confédération générale du travail)
tenu  à Rennes les 26, 27, 28, 29, 30 septembre
et 1er octobre 1898

Pouget, Chambre syndicale de l’Industrie lainière de Reims. – Il s’agit de savoir aujourd’hui les résultats obtenus et la propagande faite par les organisations ouvrières à la suite de l’adoption, au Congrès de Toulouse, du rapport sur le boycottage et le sabotage. Les résultats n’ont pas été aussi considérables qu’on l’aurait désiré. Il en a été de cette tactique comme de l’idée de grève générale : on a cru avoir beaucoup fait en adoptant un principe. C’est insuffisant. C’est une superfluité si on ne passe pas à l’action. L’utilité des Congrès est de nous permettre de nous mettre d’accord sur une tactique ; mais, l’accord fait, une fois rentrés chez nous, il est indispensable d’agir dans le sens que nous avons fixé.
L’a-t-on fait pour le boycottage et le sabotage ? Malgré qu’une enquête soit difficile, on peut dire que les initiatives ont été peu ardentes.
Cependant, depuis le dernier Congrès, on n’est pas resté complètement inactif et les camarades de Paris qui ont fait partie de la Commission sur le boycottage et le sabotage à Toulouse ont pris la résolution, rentrés à Paris, de se réunir et de faire de la propagande. Par leurs soins, il a été procédé à un premier tirage, en brochures, du rapport de la Commission de Toulouse ; avec de faibles ressources, ils ont pu en faire un tirage à 50 000 exemplaires.
Nous sommes moins avancés, en France, pour la mise en pratique du boycottage et du sabotage que nos camarades d’Angleterre et d’Amérique où ces moyens de défense contre les empiétements du capital sont d’un usage courant. Nos camarades américains et anglais n’attendent pas l’intervention de l’État pour régler les conflits qui surgissent entre eux et les capitalistes. Tout dernièrement encore, les Américaines, pour protester contre les sympathies de la France pour l’Espagne, ont fait le boycottage des objets de toilette français, et le commerce parisien s’en est fortement ressenti.
Cet exemple, après bien d’autres, nous prouve la puissance de résistance du boycottage. Si, dans les grands centres, l’éparpillement des travailleurs peut sembler une difficulté, il n’en est pas de même dans les petites villes où tous les camarades se connaissent.
Tout le monde sait que le sabotage c’est le ralentissement ou la malfaçon de la production dans le travail. De tout temps les travailleurs ont pratiqué le sabotage d’une façon instinctive notamment lorsqu’ils subissaient une diminution de salaire. Le sabotage n’est pas une invention prolétarienne, mais une invention bourgeoise. Les capitalistes, les patrons le pratiquent dans les adjudications en employant de mauvais matériaux. Pourquoi les travailleurs ne se serviraient-ils pas du sabotage toutes les fois qu’ils auraient à subir une diminution de salaire ? Il est des cas où la grève est impossible et où, au contraire, le sabotage est un meilleur moyen de combat. Mais il faut l’appliquer d’une façon ostensible pour que les capitalistes le sachent et le craignent ; s’il restait clandestin, sa puissance de résistance s’en trouverait diminuée ; il faut que les patrons se familiarisent avec cette menace ; de la sorte, la peur du sabotage deviendra pour eux un frein salutaire aux travailleurs.
Roche, Syndicat des Cochers-livreurs de la Seine, dit qu’on n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour la Verrerie ouvrière, on est resté inactif. La propagande pour les produits de la Verrerie ouvrière ne marche pas à Paris, et il est malheureux de constater que le gros de la vente ne se fait que dans les quartiers où il y a de l’aisance, tandis que dans les arrondissements ouvriers tels que les 11e, 12e, 13e, 15e, 19e et 20e, la vente est presque nulle, ce qui prouve que les ouvriers ne comprennent pas leur intérêt. Il faut cependant rendre hommage aux camarades qui n’ont pas craint de se donner de la peine pour placer les bouteilles de la Verrerie ouvrière. Toutes les fois que les travailleurs veulent bien faire de la propagande auprès des débitants, on arrive à leur faire prendre leurs bouteilles à la Verrerie ouvrière. Roche fait connaître les résultats produits par une sérieuse propagande à Saint-Denis et aux Moulineaux. Il conclut en disant que les travailleurs ont une arme puissante dans le boycottage.
Pelloutier, Comité fédéral des Bourses du travail. – Ce qui nous manque, c’est l’esprit d’initiative ; nous avons la funeste habitude de compter sur d’autres que sur nous-mêmes. Comment se fait-il que les travailleurs soient assez naïfs pour compter sur d’autres que sur eux-mêmes pour obtenir des réformes : ils n’auront que celles qu’ils prendront d’eux-mêmes. Toute tentative d’amélioration par les travailleurs ne peut se faire que par le ralentissement de la production qui est elle-même réglée par la consommation. C’est pour lui, Pelloutier, un étonnement continuel de voir toutes les assemblées ouvrières compter sur la bonne volonté de ceux qu’elles commettent à la conservation des biens sociaux. Il a eu un espoir l’année dernière lorsqu’on a adopté à l’unanimité le rapport sur le boycottage ou le sabotage. Il a cru que désormais, au lieu de demander des améliorations à leurs adversaires de classes, les travailleurs allaient les prendre eux-mêmes. On a cité des boycottages sérieux, mais que sont ces exemples auprès des résultats que l’on voit dans les pays où le boycottage et le sabotage sont entrés dans les mœurs ? Ne finirons-nous pas par donner des exemples pareils à ceux que l’on voit en Amérique, où on ne rencontre sur le marché que des marchandises qui portent la marque de connaissement des organisations ouvrières ? Grâce à leur énergie et à leur initiative, ces organisations ouvrières réussissent, ne comptant que sur elles-mêmes. Quant au sabotage, n’y a-t-il pas là un élément révolutionnaire qui doit tenter les ouvriers ? Laissant de côté les violences, non par crainte, ils peuvent, par leur initiative, en appliquant le sabotage, lutter avantageusement contre la société capitaliste. Nous ne devons pas hésiter à prendre les moyens qui nous semblent bons ; nous avons pour devoir d’affirmer ces moyens quels qu’ils soient, sans pour cela entrer dans les détails. Ce qu’il faut se donner, c’est l’esprit d’initiative.
[…]
Beausoleil. – La question du boycottage et du sabotage est pour lui plus importante que celle de la grève générale ; elle caractérise l’action syndicale, parce qu’elle permet une action suivie et raisonnée. Elle réalise tout ce qu’on peut désirer comme moyens offensifs contre les exploiteurs. S’il est une forme d’action qui pourrait tenter les employés de commerce, ce serait bien celle-là. Mais la corporation des employés de commerce ne soupçonne pas le parti qu’elle pourrait tirer d’une action de ce genre. Cela ne peut venir que de l’action et de l’éducation des travailleurs ; mais ce qui manque surtout, c’est l’esprit de suite.
Maynier, Chambre syndicale de la Typographie parisienne, dit qu’il a été de la minorité dans tous les précédents Congrès sur les questions de la grève générale et sur le sabotage. Mais pour le boycottage, quand on a demandé quels étaient les résultats, il a constaté que dans sa profession on avait fait plus que chez les autres. Il fait un vœu pour que toutes les bouteilles de la Verrerie ouvrière soient marquées. Autrement, comment pouvoir se rendre compte du résultat de la propagande que l’on fait ? Il est indispensable de trouver un système pour que l’on ne nous berne pas.
Roche dit que certains commerçants acceptent volontiers des bouteilles de la Verrerie ouvrière, mais ils ne veulent pas de la marque à cause de leur clientèle qui n’est pas toujours conforme à leurs idées.
[…]
Capjuzant, Syndicat de la Cordonnerie ouvrière de France. – Le boycottage et le sabotage nous plaisent énormément pour leur simplicité inouïe et parce qu’ils sont un entraînement vers la révolte de laquelle on a tant peur. Quoiqu’il ne faille pas faire voir toutes les difficultés d’application, comme certains militants ont le tort de le faire, nous ne pourrons pas engager les ouvriers français à faire tout de suite ce que font les Anglais et les Américains.
C’est une évolution à faire dans notre pays, et si nous ne l’entreprenons pas, le capital l’entreprendra à notre égard.
Dugoy, Fédération des Cuisiniers de France. – Dans cette profession, ce sont les patrons qui boycottent les ouvriers surtout les militants, parce que ces derniers font de la propagande syndicale.
Les patrons se font connaître les militants, l’un à l’autre, et les exécutions ne tardent jamais. Il n’est pas possible de faire du sabotage continuel dans cette profession ; cependant, les cas de révoltes individuelles se présentent fréquemment. Il cite, notamment, aux applaudissements unanimes du Congrès le cas des cuisiniers d’un grand établissement de la capitale qui, ayant eu à se plaindre de leur patron, restèrent à leur poste toute la journée, fourneaux allumés, et qui, au moment où les clients affluaient dans les salles, ne purent servir que les briques qu’ils avaient mises dans les marmites, en compagnie de la pendule du restaurant.
Rousseau, Chambre syndicale des Ouvriers limonadiers de Paris, appuie ce que vient de dire le camarade Pelloutier ; il faut faire ses affaires soi-même.
Lauche, Union des Ouvriers mécaniciens de la Seine. – Son syndicat a été très heureux des décisions prises au Congrès de Toulouse, relativement au boycottage et au sabotage ; il faut compter avec ceux qui ne sont pas avec nous. Il faut envisager la conduite des petits commerçants à notre égard. Ils sont constamment contre nous ; il faudrait leur faire comprendre que nous sommes leurs meilleurs amis.
Cauchois, Syndicat des Cartouchiers d’Issy-les-Moulineaux (Oise), dit que dans son syndicat on a fait tout ce qu’on a pu sur le boycottage. Les petits commerçants ne sont pas toujours libres, d’autres ont des craintes qu’il faudrait dissiper.
Meyer, Syndicat des Ouvriers pâtissiers de la Seine. – En Angleterre, on a imposé une marque de connaissement pour protéger la main-d’œuvre contre les produits étrangers. On devrait boycotter ces produits lorsqu’ils viennent sur notre marché.
Copigneaux, Fédération des Ouvriers municipaux de la ville de Paris. – Si on n’applique pas internationalement le principe du sabotage : à mauvaise paie, mauvais travail, il est imprudent pour les ouvriers français de le pratiquer. En effet, comme on recherche les produits français pour leur fini, si nous nous mettons à pratiquer le sabotage, on ne reconnaîtra plus nos travaux, on ne les recherchera plus et nous seront lésés par les ouvriers étrangers qui bénéficieront de notre tactique.
Pouget. – Evidemment, il peut se faire, grâce à des circonstances exceptionnelles, que les ouvriers souffrent de l’application du sabotage, mais la première victime, celui qui sera le plus sûrement atteint et le plus fortement, ce sera le patron. Immédiatement, il verra les inconvénients de sa rapacité et il reviendra à de meilleurs sentiments ; le but sera atteint.
Pelloutier. – Si les salaires sont élevés en Angleterre, c’est que les patrons anglais ont compris que s’ils voulaient exiger du bon travail, ils devaient donner un meilleur salaire. Il faut faire adopter cette maxime : à mauvaise paie, mauvais travail.
Copigneaux trouve que l’on n’a pas répondu à son objection : si on n’applique pas le sabotage internationalement, les nations voisines accapareront le travail au détriment de l’ouvrier français.
Guérard, Syndicat des Chemins de Fer, croit qu’il ne faut pas pratiquer le sabotage sans que le patron en soit averti, autrement, il se produirait ce que signale Copigneaux.
Beausoleil n’est pas de l’avis de Guérard. Les patrons pratiquent le boycottage contre les ouvriers sans les prévenir, il faut lutter à armes égales. Il serait naïf d’aller prévenir le patron qu’on le ruine. Il faut qu’il s’en aperçoive de lui-même.

Le Congrès nomme une commission de sept membres pour faire un rapport sur les marques de connaissement, le boycottage et le sabotage.
[…]
Le Congrès invite tous les travailleurs, lorsqu’ils feront leurs achats dans les magasins, à sassurer si le vendeur qui les sert est syndiqué.

C. Beausoleil

Rapport de la Commission
sur la marque syndicale, le boycottage
et le sabotage

La Commission a fait sien le rapport sur la marque syndicale présenté par le délégué de la Typographie parisienne où sont exposés, on ne peut plus clairement, les arguments pour ladoption de ce mode de propagande. La vulgarisation de la marque syndicale, cest dans la vie courante, à tous moments, la pratique de la solidarité ouvrière, le rappel de la lutte que nous soutenons contre le capital.

Rapport présenté au congrès de Rennes sur la marque syndicale, dite marque de connaissement, par le citoyen J. Maynier, délégué de la Typographie parisienne.

Camarades,

Parmi les multiples questions présentées annuellement à l’étude du Congrès, il en est deux ordres : celles qui se présentent sous forme de vœu et qui ont comme but de donner une indication aux législateurs en leur fournissant la nomenclature des revendications syndicales, et celles qui sadressent directement aux travailleurs, dont le succès, si les indications sont acceptées et suivies, est assuré et donne des résultats immédiats.
Je ne vous dissimilerai pas un seul instant que les questions qui sadressent aux gouvernants nont dans mon esprit quun vague espoir de réussite et quune bien faible confiance.
Elles ne sont malheureusement destinées, la plupart du temps, qu’à aller grossir le stock, déjà considérable, des vœux platoniques que le prolétariat formule depuis une vingtaine dannées environ.
Je crois donc quil serait sage aujourdhui de ne compter que sur nos propres forces ; je ne veux pas dire par là que lon doive cesser de faire entendre nos objurgations à ceux qui détiennent larsenal des lois ; mais jai la conviction que l’heure est sonnée où le prolétariat doit commencer la série des réformes qui sont réalisables.
Parmi les propositions soumises au Congrès, la marque de connaissement, ou plutôt la marque syndicale, peut entrer immédiatement dans le domaine des faits si les travailleurs organisés veulent montrer un peu de bonne volonté.
Pour aboutir, cette proposition na pas besoin des édiles municipaux ni de la bienveillance préfectorale ; elle se dispense également de la haute protection ministérielle, voire même de lauguste signature de M. FéIix Faure.
Elle a besoin simplement de ladhésion pure et simple des intéressés, cest-à-dire des travailleurs.
Aux précédents Congrès de Tours et de Toulouse, les représentants de la Fédération du Livre et de la Typographie parisienne vous demandaient de faire mettre au bas des imprimés la mention : « Travail exécuté par des ouvriers syndiqués. »
Si ce vœu que nous formulions na pas été observé par tous, il a été, du moins, suivi par beaucoup dentre vous, et nous sommes heureux aujourdhui, non seulement de remercier ceux qui ont exécuté la décision prise à ces deux Congrès, mais de leur dire les heureux résultats obtenus.
À Paris, une vingtaine de journaux, de différentes nuances, ont accepté notre marque. Des journaux hebdomadaires, en grand nombre, aussi, ont tenu à sassocier à leurs confrères quotidiens, et pendant la dernière période électorale, nous avons eu la satisfaction de voir les affiches et professions de foi, de candidats divers, revêtues de la mention finale : « Travail exécuté par des ouvriers syndiqués. »
Pendant ces deux années écoulées, près de vingt imprimeurs de Paris sont venus au Syndicat nous demander des ouvriers à seule fin de pouvoir justifier la pose de cette mention.
Sans nous enorgueillir outre mesure, nous devons néanmoins nous féliciter de cet heureux résultat.
Aussi avons-nous pensé quun système qui avait donné satisfaction à une coopération devait également, sil était suivi, en donner aux corporations avoisinantes.
LAmérique à qui nous empruntons les exemples lorsquil sagit des questions de travail, a, depuis nombre dannées, créé la marque syndicale, et les résultats ont toujours eu quelque chose de merveilleux.
Le journal l’American fédérationist nous donnait, dans un de ses derniers numéros, un fac-similé de vingt-sept marques de syndicats.
Ce sont celles des chapeliers, des employés au détail, des ferblantiers, des briquetiers, des brossiers, des ouvriers en métaux, la marque des maisons où la journée de huit heures est acceptée, des brasseurs, des ouvriers du bois, des coiffeurs, des boulangers, des cordonniers, des ouvriers en voitures, des pâtissiers, des cigarières, des fabricants de balais, des tonneliers, des tabacs, des cloutiers, des tailleurs en confection, des fabricants dinsignes, des tailleurs à façon, des imprimeurs allemands, des typographes et des mouleurs en fer, etc.
Lon pourra objecter que certaines professions sont dans limpossibilité de donner à leur travail une marque syndicale apparente.
Les coiffeurs, les garçons de café, les cochers, etc.
Lauteur de cette proposition ne nourrit pas la sotte vanité darriver, dun seul coup, à cette perfection ; néanmoins, à cette objection, il est facile de répondre.
Si la marque syndicale ne peut sappliquer sur le travail même, il est facile dapposer, comme cela se fait en Amérique, la marque dans la maison où le travail s’effectue.
Un patron coiffeur, qui noccupe que des ouvriers syndiqués, naura pas à rougir dapposer sur une glace de sa boutique une note ou la marque émanant du Syndicat des coiffeurs attestant que le patron de létablissement noccupe que des syndiqués.
Au cas où un patron serait rebelle à lidée syndicale, le devoir dun client également syndiqué est de faire comprendre au patron son véritable intérêt, et, au cas où celui-ci persisterait dans son idée, faire le vide dans sa maison…
Les cochers peuvent très bien avoir une marque apparente, marque aussi honorable que certaines décorations, ce qui permettrait aux syndiqués, pour les cas fort rares où ils se font véhiculer, de donner la préférence aux travailleurs organisés.
Au cas où la chance ne permettrait pas de tomber sur un cocher syndiqué, lon peut très bien, au moment de larrivée, faire remarquer à lindifférent automédon, en lui remettant le prix de sa course, que le pourboire nest donné quaux amis syndiqués.
Pour les garçons de café, de restaurant, même attitude à prendre et à conserver.
Ceux qui lisent assidûment les journaux constateront que fréquemment le Bulletin social insère une rédaction conçue à peu près en ces termes :
« Dans une réunion tenue à X…, les ouvriers de la maison Z… ont décidé de verser chaque semaine la somme de 0 fr. 05 en faveur de la Verrerie ouvrière »
Je mempresse de féliciter ces camarades, mais je dois déclarer que laction quils accomplissent nest quune demi-action.
Le but que nous poursuivons nest pas de savoir si 50 ou 100 verriers végéteront à côté de M. Rességuier ; ce quil faut, ce que nous devons atteindre, cest que lusine de Rességuier croule et que la Verrerie ouvrière vive, mais vive avec deux mille travailleurs.
Le moyen pour réussir ? Me direz-vous. Le moyen le voilà :
Quune active propagande se fasse au sein des syndicats pour que tous les adhérents prennent l’engagement de ne consommer que chez les marchands de vin se fournissant de bouteilles à la Verrerie ouvrière. Cela fera peut-être sourire au premier abord, mais lorsque lhonorable mastroquet verra huit ou dix fois dans la journée des clients quitter son établissement, vous vous apercevrez que ce ne sera pas lui qui rira le dernier.
Il est bien entendu que le Syndicat des Verriers devra préparer une marque qui indiquera que la maison sapprovisionne de bouteilles chez elle, ou, ce qui serait préférable que chaque flacon porte lui-même la marque.
Cette indication ne sera pas déplacée parmi les multitudes de réclames qui ornent déjà les devantures des établissements de consommation.
Si un liquoriste, un Cusenier ou un Pernod quelconque reste sourd aux propositions syndicales, que nos amis fassent un sacrifice, que pendant quelque temps ils varient leur consommation, cela se répétant pendant quelques jours et se faisant par une centaine de mille de consommateurs, vous verrez bientôt ces fiers Sicambres courber le front, et entamer des pourparlers avec nos amis les verriers !…
Beaucoup de dévoués syndiqués vous diront : Vous demandez beaucoup de choses, jamais nous ne pourrons faire tout cela…
Javoue que si lon est incapable de faire aucun effort, si lon ne peut simposer aucun sacrifice, il faut renoncer à toute revendication, tout accepter et ne formuler aucune plainte.
Si celui qui est intéressé à une chose, qui détient en ses mains la possibilité de la faire triompher, ne peut le faire, comment peut-il émettre la sotte prétention quun autre individu, dont les intérêts, la plupart du temps, sont opposés aux siens, puisse faire un effort en faveur de la cause qui lui est chère…
Avec la grève générale, le timoré peut encore invoquer que ce moyen radical l’effraie, il peut entrevoir la défaite possible des grévistes, la dislocation du syndicat ou du moins la défection des membres non militants, le manque de cohésion, prétendre encore que linstant choisi ne lui semble pas favorable à pareille tentative, invoquer une gêne dans sa famille, enfin mille autres raisons plus ou moins valables.
Avec le système que nous préconisons, rien de tout cela.
Le syndiqué, sil est propagandiste, accomplit son devoir : il formule ses observations, soit aux patrons, soit aux employés ; sil ne se sent pas lâme dun apôtre, il na quà se déranger et à aller chez un partisan de ses idées.
Chez lui, il dit à son épouse : « Dorénavant, tu ne te fourniras que dans tel et tel magasin. »
Pour accomplir pareille besogne, je ne crois pas qu’il est nécessaire davoir fait ses premières armes à Fontenoy !
En Amérique ou le commerce des tabacs n’est pas un monopole, les cigariers, par suite de lapplication de la marque de connaissement, ont fait disparaître, du haut commerce, une des plus puissantes et richissimes compagnies.
Ne voulant pas se rendre aux justes revendications formulées par les ouvriers cigariers, un index fut mis sur la manufacture, et avec un touchant ensemble, les Américains sabstinrent de fumer les produits de lomnipotente compagnie.
Si nous ne craignions de nous étendre et de prodiguer les exemples, nous dirions que les buveurs de bière berlinois surent, pendant quelques mois, à seule fin de faire triompher une cause juste, se priver de leur boisson favorite.
[…]
La marque syndicale avec ses conséquences de propagande, cest le boycottage constant se faisant sur toutes choses, cest lécole où lhomme se prépare aux luttes futures qui doivent le mettre à point pour la grande bataille.
Nous pensons donc, camarades, que les délégués ici présents, se pénétreront de l’importance de cette proposition, que vous laccepterez et que de retour près de vos mandants, par une étude sérieuse de la question, vous choisirez le système qui vous paraîtra le plus pratique, soit une marque spéciale sur les objets fabriqués, soit une indication visible sur les maisons qui vendent ou produisent les objets émanant des travailleurs syndiqués, soit encore par des avis signalant dans un organe ouvrier les maisons qui sont sympathiques aux syndiqués.

J. Maynier

Pour entrer de suite dans la mise à exécution, la Commission vous propose dinviter la Verrerie ouvrière à adopter une marque apposée indistinctement sur toutes les bouteilles quelle fabrique. Il est bien entendu que cette marque doit être peu apparente de façon à ne pouvoir, dans aucun cas, être un prétexte à refus dachat. En outre, cette marque ne devra pas augmenter le prix de vente de la bouteille.
Il est entendu quen dehors de cette marque la Verrerie ouvrière continuera à appliquer sur une partie de sa fabrication lécusson actuel, et quelle reste juge de la majoration des prix rendus nécessaires par le travail de gravure.
La Verrerie ouvrière devra faire connaître à toutes les organisations, soit directement, soit par le canal de la Confédération ou de la Fédération des Bourses, la marque quelle aura adoptée. Cette marque sera affichée dans les Bourses du travail et bureaux de syndicats.
Cest là aussi que, quand dautres groupements, soit coopératives, soit syndicats, auront adopté des marques spéciales, ces marques devront être affichées, de façon que chacun en prenne connaissance.
Comme sanction à ce qui vient d’être dit, la Commission engage les syndiqués à faire respecter les marques syndicales et à boycotter les fournisseurs divers qui les refuseraient.
La Commission vous soumet un vœu, intermédiaire entre la marque syndicale et le boycottage soumis par la Chambre syndicale des Limonadiers-restaurateurs : il serait à désirer que, lorsque les groupements ouvriers organisent des banquets ou des bals, ils réclament au patron de létablissement où a lieu la fête l’emploi de syndiqués.
Et la Commission ajoute que cette pratique de solidarité est de facile exécution, il ne sagit que dy penser.
En ce qui concerne le boycottage et le sabotage, la Commission, reprenant la question au point où la établi le Congrès de Toulouse, pense que les travailleurs ne se pénétreront jamais trop du principe qui devrait guider notre vie : cest que cest à nous-même d’agir, et que nous navons à compter sur personne pour améliorer notre sort.
Cest donc à nous de sortir de lexpectative et, au lieu dattendre den haut l’amélioration de nos conditions dexistence, de modifier nous-mêmes ces conditions, en résistant continuellement, dans les circonstances petites et grandes, aux empiétements capitalistes.
Dans le milieu actuel, le boycottage et le sabotage peuvent suivant les cas, donner des résultats appréciables.
Nous ne présentons pas ces moyens de résistance comme une panacée devant donner une solution heureuse à tous les conflits ; le but final, ne le perdons pas de vue, reste lémancipation intégrale.
Vis-à-vis des commerçants, le boycottage sindique. Nous regrettons de navoir pas à enregistrer, dans le courant de l’année écoulée, une infatigable pratique du boycottage ; néanmoins, les cas qui se sont produits nous démontrent que si l’application sen généralisait, les résultats seraient excellents. C’est pourquoi nous ne saurions trop engager les camarades à se familiariser avec le boycottage et à se bien pénétrer que les bénéfices quil donnera seront proportionnels à l’activité que nous aurons déployée.
Les résultats qu’a donnés le sabotage sont, eux aussi, difficiles à mesurer. Cest chose qui relève de l’initiative individuelle, et une enquête est à peu près impossible. Ce que la commission tient à indiquer, cest que le sabotage n’est pas chose neuve ; les capitalistes le pratiquent, chaque fois quils y trouvent intérêt ; les adjudicataires en ne remplissant pas les clauses de bonne qualité de matériaux, etc., et ils ne le pratiquent pas que sur les matériaux ; que sont leurs diminutions de salaire sinon un sabotage sur le ventre des prolétaires ?
Il faut dailleurs ajouter que, instinctivement, les travailleurs ont répondu aux capitalistes en ralentissant la production, en sabotant inconsciemment.
Mais, ce qui serait à souhaiter, cest que les travailleurs se rendent compte que le sabotage peut être pour eux une arme utile de résistance, tant par sa pratique que par la crainte quil inspirera aux employeurs, le jour où ils sauraient quils ont à redouter sa pratique consciente. Et nous ajouterons que la menace de sabotage peut souvent donner daussi utiles résultats que le sabotage lui-même.
Le Congrès ne peut pas entrer dans le détail de cette tactique ; ces choses-là ne relèvent que de l’initiative et du tempérament de chacun et sont subordonnées à la diversité des industries. Nous ne pouvons que poser la théorie et souhaiter que le boycottage et le sabotage entrent dans l’arsenal des armes de lutte des prolétaires contre les capitalistes au même titre que la grève et que, de plus en plus, l’orientation du mouvement social ait pour tendance laction directe des individus et une plus grande conscience de leur personnalité.
Comme tout ce que nous venons de formuler est l’expression de tactiques nouvelles en France et quil s’agit de vulgariser, votre commission pense que vous approuverez sa résolution : elle a décidé, une fois, le Congrès terminé, de ne pas suspendre les relations que ses membres ont nouées et de continuer son œuvre en sefforçant, soit par des brochures soit autrement, de familiariser les travailleurs avec la tactique du boycottage, du sabotage et des marques syndicales.

Le rapporteur, Émile Pouget,
Les membres de la Commission :
Auvray, Maynier, Brisse, Brousse, Cauchois, Beausoleil.

Ce rapport est adopté à l’unanimité.

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