De la véritable révolution sociale

Texte de Voline extrait de Terre libre,
n°43 , 31 décembre 1937
Article mis en ligne le 15 février 2019
par ArchivesAutonomies
Introduction
Il s’agit des conditions indispensables pour que la révolution déclenchée dans un pays quelconque devienne la véritable révolution sociale et triomphe effectivement.

Trois points préoccupent surtout les anarchistes :
1°) La violence en général ;
2°) La dictature ;
3°) L’armée : son rôle, sa tâche, son organisation, son commandement suprême, ses maîtres réels, son attitude.
Toutes ces questions sont traitées, dans nos rangs, d’une façon différente. Leurs solutions sont variées. Aucune de ces solutions ne peut être considérée comme définitive.
La première question comporte deux solutions diamétralement opposées et toutes les deux ardemment défendues, à savoir : solution a) la condition essentielle d’une véritable révolution sociale triomphante est la non-violence absolue [c’est nous qui soulignons] ; solution b) la défense de la révolution sociale jusqu’à son triomphe oblige impérieusement d’opposer la violence à la violence. (J’omets les détails et l’argumentation de chaque solution. Le lecteur intéressé s’adressera à la littérature correspondante).

La deuxième question n’a pas encore abouti à une solution nette. La grande majorité des anarchistes rejettent toute espèce de dictature. Mais assez nombreux sont ceux qui admettent ouvertement ou d’une façon sous-entendue la nécessité ou, plutôt, l’inévitabilité d’une sorte de dictature révolutionnaire momentanée (naturellement, d’un genre autre que celui de la dictature russe bolcheviste).
La troisième question est la plus confuse. Elle tolère, pour l’instant, plusieurs solutions dont chacune est âprement soutenue par ses partisans : a) la nécessité, pour la défense et le triomphe définitif de la révolution, d’une armée moderne, disposant des mêmes moyens que la contre-révolution (ou l’intervention étrangère), organisée et centralisée militairement, fonctionnant comme toute armée digne de ce nom, avec des fronts de guerre établis, un commandement unique, une discipline de fer et des combats en règle, cette armée devant se trouver constamment sous le contrôle direct et étroit des organisations ouvrières et paysannes avec lesquelles elle aurait un contact permanent, vivant, effectif ; b) la nécessité d’une force armée bien organisée et outillée, mais dont l’organisation, les tâches, le fonctionnement et les méthodes seraient tout à fait spéciaux et très différents de ceux de l’armée antirévolutionnaire ; c) renoncement total à toute espèce d’armée et à tout emploi d’armes, recours à des moyens de lutte révolutionnaire absolument étrangers à la lutte armée.
J’ajoute que ces problèmes intéressent et inquiètent aujourd’hui, non seulement les anarchistes, mais tous ceux qui réfléchissent, qui cherchent à comprendre, qui prévoient à brève échéance la nécessité d’agir en pleine révolution et qui voudraient d’avance y voir clair.
Et j’ajoute encore que de jeunes camarades se plaignent assez souvent de ne pas pouvoir réfuter avec plein succès les thèses communistes : sur le rôle décisif de l’Armée rouge dans la révolution russe, sur la nécessité d’organiser une armée pareille dans tous les pays, sur l’impossibilité, pour une vraie révolution, de se passer d’une armée régulière, centralisée, disciplinée, etc.
C’est pour toutes ces raisons que le sujet doit être traité par nous le plus rapidement et aussi le plus clairement, le plus nettement possible. Il faudrait même — il est temps ! — qu’on puisse y apporter enfin, une solution définitive. De toute façon, que chacun ayant quelque chose de nouveau à dire là-dessus, apporte sa lumière !

* * *

Ayant, pour l’ensemble de ces problèmes, une méthode de recherches et un point de vue tout à fait personnels, je fais moi-même, le premier, écho à cette invitation. Je traiterai le sujet, rapidement, dans Terre Libre, tout en espérant pouvoir le traiter ailleurs d’une façon plus étendue.
Mais avant de passer au fond même du problème ; il serait peut-être utile que je mette le lecteur au courant de ma méthode personnelle : méthode que j’applique à certaines sortes de questions et que d’autres pourraient, peut-être, réaliser aussi avec profit.
Il y a longtemps de cela, j’ai constaté que, souvent, quelque parfait que soit notre raisonnement logique et théorique, notre appréciation ou notre pronostic, il existe des faits matériels, concrets qui, par leur nature même, échappent à ce raisonnement. Je me suis demandé, alors, s’il n’était pas possible de compléter, parfois, un raisonnement abstrait par une analyse spéciale de ces faits concrets. J’ai essayé de le faire et, fréquemment, j’ai obtenu d’excellents résultats.
Je procède de la façon suivante. Le raisonnement, l’examen théorique, une fois terminé, je me pose la question en dehors de tout raisonnement, en dehors de moi, de nous, comment, vraisemblablement, les choses se produiront-elles en réalité ? Me détachant alors complètement de toute “théorétisation”, de toute idéologie, de toute idée préconçue, je tâche de me représenter le plus objectivement, le plus fidèlement, le plus concrètement possible “comment cela se passera en fait”.
Naturellement, ce procédé ne peut pas avoir lieu dans toutes les questions. Il ne peut être appliqué que dans les cas où certains éléments présents nous fournissent des indications pour l’avenir. Dans ce dernier cas, c’est une sorte d’anticipation expérimentale. Mentalement, je me transporte dans l’avenir. Je vis les choses d’avance. Je procède comme si je me trouvais déjà en pleins événements auxquels nous nous attendons et que nous nous efforçons d’analyser à l’avance.
Et maintenant, ce point « méthodologique » établi, j’appliquerai mon procédé aux questions qui nous intéressent.

(A suivre)

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