Civils, irréductiblement !

Civils, irréductiblement !
par Jo Rutebesc
(anagramme du mot « objecteurs »)
Objecteurs en service civil
Service civil et refus de servir 1964-1969
Editions libertaires et
la Libre Pensée autonome,
2018, 400 p.

« Les lits sont mal faits », morigène le directeur. Où sommes-nous ? À l’armée, au pensionnat, en colonie de vacances, en prison ?

En fait, il s’agit du directeur du Service de la Protection civile s’adressant à des objecteurs de conscience cantonnés à Brignoles. Ces lits « mal faits » ne sont qu’une toute petite partie de ce qui se produit lors de la rencontre entre d’anciens militaires, reconvertis dans la Protection civile, et des objecteurs de conscience.
La première loi sur l’objection de conscience fut votée le 22 décembre 1963. C’était l’aboutissement d’une longue grève de la faim de Louis Lecoin et, en 1964, les objecteurs furent regroupés à Brignoles, dans le Var, au sein de la Protection civile pour lutter contre les feux de forêt.
Mais rien n’était réellement prévu pour occuper ces jeunes, sinon qu’on tenta de leur imposer une discipline militaire et l’obligation de travailler pour la Défense nationale. Devant le refus de certains, les CRS les embarquèrent et les enfermèrent dans une caserne. Un jeûne de quinze jours s’ensuivit…
Par la suite, les objecteurs purent choisir leurs affectations (Affaires culturelles, bidonvilles, hôpitaux, animations rurales, etc) et continuer à demeurer civils et à être responsables de leurs actes avec la possibilité de discuter les consignes, etc.
Volontaires pour un service civil dans un premier temps, certains orientèrent leur action vers un refus total de servir… Cette lutte se situe dans la continuation d’un autre refus : celui de participer à la guerre d’Algérie, marqué par une pratique de désobéissance civile et d’action non-violente.
Cette aventure est connue par les « Lettres » et « Courriers » ronéotés que les objecteurs envoyèrent à leurs amis et publiés ici.
Le 28 mai 1997 est annoncée la « professionnalisation » des armées ; en 2002, la conscription prend fin.

Temporairement ?

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Texte d’Alain Eludut paru dans Le Monde libertaire, n° 1795, de mai 2018

Civils, irréductiblement !

« Toute objection est objectivement politique
puisque c’est une critique en actes du système »

  1. Sur fond de guerre d’Algérie, de la fin des années 1950 au début des années 1960, des jeunes appelés au service militaire refusèrent de porter et faire usage des armes et de participer à la guerre. Il fallut attendre le 22 décembre 1963 pour que soit votée la première loi sur l’objection de conscience qui obligea néanmoins ces jeunes appelés à travailler sous le contrôle de la Protection civile en attendant, progressivement, que certains d’entre eux puissent être versés dans des affectations civiles qu’ils pouvaient eux-mêmes choisir.
    Le livre de Jo Rutebesc (nom collectif, anagramme du mot « objecteurs », car il s’agit d’une production et de témoignages collectifs), Civils, irréductiblement ! vient rappeler les convictions qui animaient alors ces jeunes hommes convaincus, obstinés à ne rien lâcher malgré les contraintes qu’ils rencontraient, des violences de l’emprisonnement, aux jeûnes et grèves de la faim qu’ils durent assumer : pendant la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, les jeunes appelés qui s’opposaient à la conscription étaient jetés en prison.
    Louis Lecoin, engagé dans la défense des objecteurs de conscience passa une dizaine d’années en prison pour ses positions pacifistes et libertaires. Après les accords d’Évian mettant fin à la guerre d’Algérie, il entama à 74 ans un jeûne afin d’obtenir la libération des objecteurs maintenus en détention. C’est ainsi qu’en octobre 1962, 59 objecteurs furent transférés de la prison de Fresnes au centre de Mauzac en Dordogne.
    La loi de décembre 1963 qui fait suite à de très nombreuses manifestations individuelles et collectives du refus de la guerre et du service militaire autorisa les appelés à ne plus porter les armes en raison de leurs convictions religieuses ou philosophiques mais n’eut pour but ni pour effet de leur permettre de refuser toute obéissance hiérarchique. Une solution voit le jour en juin 1964, par « bienveillance envers les intéressés » d’un travail d’intérêt général, avec la création du Groupement de secouristes-pompiers (GSP) rattachés au ministère de l’Intérieur, avec cependant le doublement du service militaire passant de 16 à 32 mois. Le désir d’un travail civil permettant un travail utile hors de tout lien avec l’organisation de la défense va rapidement devenir l’objet de leur démarche. Mais, on s’en doute, les obstacles vont s’enchaîner et, à la notion de non-violence alors défendue, ils doivent faire face au fonctionnement administratif qui leur interdit critiques ou appréciations. Les appelés du contingent qui exécutent leurs obligations de service au titre de la loi doivent demeurer de simples exécutants dont toute responsabilité leur est déniée laquelle revient au seul chef de corps.
    En 1965, le service « militaire » devient « national » et les objecteurs sont alors regroupés à Brignoles dans le Var et mis à la disposition de la Protection civile. La discipline, l’encadrement et l’esprit de caserne posent problème, ce qui va en conduire un certain nombre à être incarcérés, tandis que d’autres pourront trouver une affectation diversifiée plus ou moins choisie, au sein d’organisations indépendantes correspondant à un travail civil pour servir auprès des populations en zones rurales ou défavorisées dans des bidonvilles comme Noisy-le-Grand. C’est ainsi qu’une vingtaine des 50 objecteurs de conscience vont être conduits dans la caserne des CRS d’Uzès en octobre 1965 pour refus de participer aux travaux de construction à l’intérieur même de leur camp.
    Entre novembre 1968 et mars 1969, des objecteurs se mettent en grève suscitant des comités de soutien. L’objection de conscience et l’antimilitarisme forment dans la société un courant qui s’exprime par la production d’affiches, de tracts, de brochures informant sur le statut d’objecteur. En 1972, sous Pompidou, des conditions encore plus restrictives pour obtenir ce statut sont imposées ainsi que l’instauration d’un régime quasi disciplinaire.
    Il faut attendre août 1981 pour que Mitterrand prononce l’amnistie de près de 500 jeunes incarcérés dans les prisons françaises pour refus d’obéissance. En juillet 1983 est voté un nouveau statut de l’objection de conscience qui autorise le service au sein d’associations choisies par les objecteurs ; la durée du service civil va peu à peu se réduire au cours des dernières années, jusqu’à sa suspension en novembre 1997.
    La conscription va ainsi être remplacée par la journée d’appel de préparation à la défense, puis par la journée défense et citoyenneté pour tous les citoyen·ne·s âgé·e·s de 17 à 25 ans.
    Ce livre va ainsi nous conduire au quotidien des jeunes appelés, à leurs luttes, aux épreuves qu’ils rencontrent par l’écriture des « Lettres de Brignoles », puis de divers lieux d’affectation dans lesquelles ils nous font part de leurs activités, de leurs réunions, mais aussi des jeûnes, des grèves, des séjours en prison au travers des « Lettres des objecteurs ». Ce sont des récits parfois inattendus, mais toujours poignants sur les travers qui sont les conséquences du refus de servir l’État par une action directe non-violente de désobéissance civile. On peut mesurer l’évolution des effectifs qui passeront de moins d’une trentaine en 1965 à près de 15000 en 1996 ! Notons qu’entre 1964 et 1982, il y eut près de 12000 demandes d’objection pour un peu plus de 8000 acceptées et qu’entre 1983 et 1996, l’obtention du statut étant automatiquement acceptée, le nombre d’objecteurs atteignit plus de 65000. Enfin, dernier chiffre, celui des objecteurs refusant totalement le principe d’un service national, militaire ou civil, représentera un total de 960 jeunes entre 1975 et 2001.
    On peut se demander si certaines pages ne devront pas à nouveau être écrites, suite aux déclarations du président Macron qui a récemment réaffirmé son souhait d’instaurer un service national universel. L’histoire pourrait-elle à nouveau se répéter ? Nous ne sommes jamais bien loin de revivre la farce.

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