Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Résistances

Victor Klemperer (1881-1960), fils de rabbin, donc juif, philologue, spécialiste de littérature italienne et française, enseignait à l’université de Dresde quand, en 1935, il fut destitué de son poste par les nazis. Mais, parce qu’il était marié à une «Aryenne », une « bonne Allemande », il ne tomba pas sous le coup des lois de Nuremberg de cette même année ; s’il fut provisoirement épargné, ce fut pour être réduit à une situation d’esclave.
La LTI, c’est la lingua tertii imperii, le jargon, l’objet de ce livre.
En effet, dès 1933, Victor Klemperer, étudia la langue et les mots employés par les nazis. Il nota quotidiennement, et ce jusqu’à la fin de la guerre, toutes les utilisations tendancieuses qu’en fera la propagande du IIIe Reich.
Dans la postface de ce livre, Alain Brossat parle d’un « manuel de résistance », d’un « manuel de survie intellectuelle ». En effet, le lecteur a peine à comprendre comment ce juif et sa compagne ont pu rester en vie pendant les douze années où Hitler exerça son pouvoir.
L’explication de cette survie s’expliquerait, en premier lieu, par ce que Brossat nomme la « liberté intérieure », notion bien légère face à la brutalité physique de la période ! Mais le lecteur aurait tort de ne pas s’attarder sur cette attitude mentale : la « liberté intérieure ».
Car cette liberté s’appuie sur la vigilance intellectuelle :
« Observe, étudie, grave dans ta mémoire ce qui arrive » ; il s’agissait « de maintenir et d’incarner la continuité de la raison, de la pensée critique, de l’identité du civilisé lorsque tout se défait ». Il s’agissait de durer…
Et ils durèrent ; et le pari du couple fut tenu.
Mais, le 13 février 1945 au matin, à Dresde, ordre est donné de regrouper les derniers juifs en vue de leur déportation. Le convoi qui les conduit à la mort est déjà hors de la ville quand celle-ci est détruite dans la soirée et aussi le lendemain par les bombardements de l’aviation alliée.
Dans le chaos et le sauve-qui-peut qui suivit, Klemperer et sa compagne purent s’échapper. Miracle et destin individuel ? Sans doute.
Cependant, on s’étonnera que ce livre ne mentionne pas la résistance collective de femmes aryennes pour sauver leurs maris juifs. Pour cela, il fallait revenir en arrière, en 1943. Le 27 février de cette année, les nazis raflèrent les derniers juifs de Berlin, les « Mischehen », c’est-à-dire des juifs mariés à des femmes allemandes, pour les déporter dans un camp d’extermination.
Ils furent, à cet effet, conduits dans des centres de rétention, entre autres au 2-4 de la Rosenstrasse, en face du service des affaires juives de la Gestapo.
Rapidement, les épouses se rassemblèrent devant le bâtiment en criant : « Rendez-nous nos maris ! » Menacées de mitraillage, elles persistèrent et, au bout d’une semaine, Goebbels se résigna à suspendre l’ordre, allant même jusqu’à faire revenir du camp d’Auschwitz vingt-cinq d’entre eux qui survécurent.
Pour plus de renseignements, on lira le livre de Jacques Semelin, Sans armes, face à Hitler, résistance civile en Europe, 1939-1945, Petite Bibliothèque Payot ; et on verra Rosenstrasse, le film de Margarethe Von Trotta, 2004.

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich,
Albin Michel, 2010, 280 p.

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Je vous avais dit, lors d’une précédente rubrique, que Raoul Vaneigem, l’ancien situationniste, semblait tenté par la désobéissance civile car la guérilla, écrivait-il, « chaque fois qu’elle l’a emporté, ce fut pour le pire. Le triomphe des armes aboutit toujours à une amère défaite humaine ». Ce tout petit livre, que je vous présente brièvement, a pour titre Conversation. Mais c’est une conversation très écrite car Vaneigem se «défie des mots que le vent des convenances et des préjugés emporte loin de leur sens ».
Désobéissance civile, ai-je dit ?
Dans cet opuscule, nous allons ainsi noter trois occurrences du terme, et ce en moins de cinquante pages.
À propos des zapatistes, il écrit : « J’en appelle à la désobéissance civile afin que les collectivités locales se constituent, se fédèrent et mettent en œuvre une autoproduction d’énergies naturelles, d’agriculture renaturée et de services gratuits, enfin affranchis de l’escroquerie des gouvernements de gauche et de droite. » (p. 7)
«La désobéissance civile consiste à passer outre aux décisions d’un État escroquant les citoyens pour renflouer les escroqueries du capitalisme financier. » (p. 16)
«La désobéissance civile envers un État qui nous spolie est un droit. » (p. 16)
Je ne vais pas vous citer tout le livre, il vaudrait mieux que vous y alliez jeter un œil, mais je ne résiste pas au plaisir de vous lire une tirade du plus grand optimisme :
« Nous nous acheminons vers la fin de l’exploitation de la nature, du travail, de l’échange, de la prédation, de la séparation d’avec soi, du sacrifice, de la culpabilité, du renoncement au bonheur, du fétichisme de l’argent, du pouvoir, de l’autorité hiérarchique, du mépris et de la peur de la femme, de la subornation de l’enfant, de l’ascendance intellectuelle, du despotisme militaire et policier, des religions, des idéologies, du refoulement et de ses défoulements mortifères. Ce n’est pas un constat, c’est une expérience en cours. »
Oui, on peut railler sa candeur mais, dit-il : « Le désir d’une vie autre est déjà cette vie-là. » (p. 37)

Raoul Vaneigem, Conversation,
Hans Ulrich Obrist éditeur, 2009, 48 p.

Achaïra, 8 septembre 2011

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