André Arru

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Jean-René Saulière, né à Bordeaux, militait avant la guerre 39-45 aux côtés d’Aristide, de Paul Lapeyre et d’autres personnes moins connues ; cela, au sein du groupe Sébastien-Faure de cette ville. Un père mort sur le front en 1916, lors de la précédente guerre, une mère plutôt absente, Jean-René fut élevé par sa grand-mère maternelle et son deuxième mari, tous deux athées. Cependant, ce n’est pas l’entente entre eux et, à 15 ans environ, Jean-René quitte ses grands-parents pour travailler. Période de « désarroi », de « désespoir », qui l’amène, presque, à s’engager dans l’armée. Plus tard, et déjà antimilitariste, il fera onze mois de service militaire dans des conditions pas trop désagréables. Mais c’est un grand lecteur…

Puis, vers 1933, une « révélation » − c’est son terme −, une conférence de Sébastien Faure, place Gambetta, à Bordeaux, donnée devant deux mille personnes. C’est la rencontre avec le milieu libertaire. Il devient anarchiste et adhère au groupe après l’« Affaire des stérilisés » qui éclate en avril 1935. Puis, fin 1936, il se fera lui aussi vasectomiser.
Deuxième révélation, il découvre l’Unique et sa propriété, l’œuvre de Stirner, qui l’enthousiasme. Paul Lapeyre lui demande − un des bons usages de l’époque − de présenter « sa » lecture de l’œuvre au groupe ; ce qui fut fait, en vingt minutes et en toute inconscience, dira Jean-René. Mais il reconnaîtra que ce travail lui fut largement bénéfique.
À l’approche de la guerre de 39, il décide qu’il sera insoumis à l’armée mais aussi insoumis à toute arrestation volontaire. Ils étaient ainsi une bonne douzaine d’anars, à Bordeaux, dans ces dispositions, mais il se retrouva seul, à la fin, à refuser.
Un ami, André Arru, réformé définitif, lui donne ses papiers ; et Jean-René, devenu André Arru, débarque en février 1940 à Marseille, ville qu’il juge plus favorable à sa nouvelle vie. Il y trouvera rapidement un gagne-pain comme employé gérant d’une pompe à essence, commerce qui se transformera par la suite en un atelier de réparation de cycles ; atelier qui deviendra le quartier général d’un groupe anarchiste clandestin où figurait Voline, ce grand militant russe d’origine juive et compagnon de Makhno.
Le 3 août 1943, c’est l’arrestation ; en avril 1944, c’est l’évasion et l’arrivée à Toulouse avec d’autres faux papiers. En octobre, c’est le pré-congrès d’Agen qui préparera le congrès constitutif du Mouvement libertaire qui devait permettre « à toutes les tendances d’œuvrer vers un but commun, tout en conservant leurs caractères affinitaires ainsi que le maximum possible de liberté, sans que l’unité du mouvement soit diminuée ».
Et cet « individualiste » militera alors « comme un forcené » − le feu sacré est en lui − pour diverses organisations libertaires internationales et pour mettre sur pied l’organisation anarchiste « synthésiste » à la hauteur des ses idées ; comportement étrange pour des esprits rabougris, enfermés chacun dans sa petite idéologie censée sauver le monde. Militantisme qui l’amènera souvent à prendre la parole publiquement sur nombre de sujets et à écrire dans la presse libertaire.
En 1952, il est exclu de la Fédération anarchiste par l’équipe de Fontenis − c’est un épisode de l’histoire du mouvement bien détaillé dans le livre − ; cette organisation qui devint la Fédération communiste libertaire dura, elle, jusqu’en 1956. Puis la Fédération anarchiste (synthésiste) sera reconstituée à la fin de l’année 1953, et André Arru continuera à militer pour l’unité des anarchistes, pour la paix entre les peuples, pour la Libre-Pensée et pour l’individualisme anarchiste.
Mais par moments, devant les difficultés militantes, le découragement d’Arru sera à la hauteur de son engagement de « forcené ». S’y ajoutent des problèmes personnels et financiers.
Il fait part de ses désillusions à son vieil ami Aristide Lapeyre :
« Tu as toujours été un peu une énigme pour moi et c’est à la lumière de l’expérience acquise qui me fait comprendre ton comportement que je crois pouvoir définir ainsi : semer et attendre la récolte ; cette dernière ne sera bonne que si le terrain est bon, la graine bonne, les engrais bons ; la plante ne sera toujours que ce qu’elle peut être. Indiscrétion : Est-ce que je me trompe ?
− […] En gros, c’est bien cela. Tu as vu juste », répond Aristide. (p. 353)
S’y ajoutent des interrogations, fruits d’une pensée active, non dogmatique, sans doute à comparer avec la démarche d’un Tomás Ibañez dont je vous ai parlé il y a peu ; Ainsi Arru en arrive à penser que « tout est à réviser dans la pensée anarchiste », « qu’une société sans autorité n’est pas viable ». (p. 124)
Sur la « révolution », il écrit à Jeanne Humbert en 1981 :
« L’erreur des anarchistes (de la plupart) est de vouloir construire de toutes forces une société, de vouloir faire la révolution. Ah, cette sacro-sainte révolution qui doit changer les êtres humains du jour au lendemain d’un coup de baguette magique. Je m’y suis laissé prendre un temps, tout en gardant tout de même un peu de recul… » (p. 348)
Pourtant, André Arru lutte toujours pour l’avènement d’une société libertaire mais « refuse d’y accéder par la violence, fût-elle qualifiée de «révolutionnaire» ». Il écrit également : « Je juge que la violence pour quelque raison que ce soit ne résout jamais rien. » (p. 102)
Mais, en toute objectivité, il déclare : « Les pacifistes intégraux refusent toute violence serait-elle révolutionnaire ; bon nombre d’anarchistes et particulièrement l’anarcho-syndicalisme acceptent de répondre à la violence autoritaire, policière, dictatoriale, par le soulèvement spontané des masses. »
Le 8 avril 1959, André fait un exposé sur le pacifisme ; le 13, Camille Drevet parle des « Chemins de la non-violence ».
Mais il est clair que la non-violence n’est pas dans la culture militante d’Arru. D’abord parce que souvent associée à la religion ; et rappelons qu’André est un farouche anticlérical et qu’il a dû regarder cette non-violence qu’avec la plus grande méfiance ; mais rappelons, également, que la première action de non-violence « collective » contre la guerre d’Algérie ne date que de la fin de l’année 1960, après les actions non violentes contre les camps d’assignation à résidence. Cependant, lui, l’individualiste ne pouvait ignorer les publications de l’anarchiste belge individualiste non violent Hem Day ?
Par ailleurs, E. Armand, l’autre individualiste pour qui il avait une grande admiration avait fait connaître le texte de H.D. Thoreau sur la désobéissance civile. Mais on admettra que désobéissance civile et non-violence peuvent ne pas coïncider.
Cependant, en 1976, Arru écrivait dans le journal de la Libre Pensée des B.-du-R. un article intitulé : « La violence ne résout pas les problèmes », qui se terminait par : « Il faut trouver autre chose. » En 1977, écrivant à C.-A. Bontemps, il lui disait : « J’ai la conviction que le refus est la méthode de progression des individus dans la société. » (p. 346) En 1983, écrivant à Marc Prévôtel : « Il reste le refus individuel et collectif. C’est lui et lui seul qui bloque l’autorité et, bien organisé, peut la faire reculer. Le refus organisé c’est, me semble-t-il, le seul moyen d’aller vers une société à caractère libertaire. » (p. 362)
En 1959 l’Union des pacifistes de Provence propose un « Pacte du pacifiste », pacte que l’on peut qualifier de « non violent » et qui pour cette raison ne plaira pas au pacifiste Émile Bauchet qui écrit à Arru que « votre position sur la non-violence n’est pas la nôtre ».
Cependant, bien que « refusant de façon catégorique tout recours à la violence », il est certain que Arru a dû se sentir en décalage avec ces pacifistes qui ne partageaient pas ses préoccupations sociales : anticapitalisme, antiétatisme, anticléricalisme, etc. On le comprend trop bien. Nous serons quelques-uns, quelques années plus tard, à faire cette expérience. Mais il faut dire aussi que les temps avaient changé. Il y a ainsi des « sauts » d’une génération à une autre.
Il est à noter que l’on trouvera dans ce livre nombre de documents très éclairants sur le mouvement anarchiste, son fonctionnement et ses dysfonctionnements ; également sur les démêlés entre la Libre Pensée nationale et celle qui est devenue autonome.


Sylvie Knœrr-Saulière, Francis Kaigre,
Jean-René Saulière, dit André Arru.
Un individualiste solidaire (1911-1999),
Les Amis d’André Arru – Libre Pensée autonome – CIRA
2004, 416 p.

Achaïra, 27 janvier 2011

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