Proudhon, un socialiste libertaire

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

C’est donc un petit livre qui tente une approche de la pensée de Proudhon ; entreprise difficile parce qu’il y a là un penseur paradoxal et pas tellement facile d’accès… Avec des formules provocatrices comme : « Qu’est-ce que la propriété ? C’est le vol ! » « Dieu, c’est le mal ! » Cela dit, Proudhon n’était pas athée, et ses positions sur la propriété ont été des plus nuancées. On lui a reproché d’avoir produit une œuvre très contradictoire où tout un chacun se retrouve dans un éventail qui va de l’extrême droite à l’extrême gauche. À quoi Proudhon peut répondre que c’est la réalité qui est contradictoire.


Et Proudhon refuse de se tenir dans le juste milieu de la médiocrité. Car Proudhon est révolutionnaire, anarchiste même. Il fut, en effet, le premier à employer, de manière positive, le terme « anarchiste ». Il affirme ainsi en 1849, dans la Voix du peuple, que « le plus haut degré d’ordre dans la société s’exprime par le plus haut degré de liberté individuelle, en un mot par l’anarchie ».
Anarchiste, oui, mais socialiste. Pas socialiste utopique à la façon des Fourier, des Saint-Simon, etc., car Proudhon combattra tous les systèmes de projection sur l’avenir, « composé de toutes pièces », comme « le plus damné mensonge qu’on puisse proposer aux hommes ».
Mais socialiste scientifique, oui : Marx lui-même écrira dans la Sainte Famille qu’avec Qu’est-ce que la propriété ? Proudhon a posé pour la première fois la possibilité d’une véritable science de l’économie, que l’ouvrage est un manifeste scientifique du prolétariat français.
D’après Édouard Jourdain, la pensée de Proudhon, consciente de la complexité du réel, se déploie sur trois lignes de forces qui peuvent faire l’objet d’une critique systématique :
1. L’économie politique avec la propriété capitaliste qui aliène le travailleur.
2. L’État qui s’approprie la puissance publique par la force en cantonnant le citoyen à sa sphère privée. Sont critiqués le système représentatif, le contrat, la loi, etc.
3. La religion, ou toute idéologie, qui au nom d’un absolu justifie tout système reposant sur une transcendance quelconque.
Cette critique systématique entend redonner toute sa puissance au droit afin que ce dernier se rapproche au plus près de la justice :
« Pour qu’il y ait société entre des créatures raisonnables, il faut qu’il y ait engrenage réciproque : ce qui ne peut se faire qu’à l’aide [du] principe mutuelliste du droit. » Ce qui autorise à dire que la philosophie de Proudhon est une philosophie du droit avec pour base la justice…
La justice − une métaphysique en action − est l’axe fondamental de la philosophie de Proudhon ; c’est une force spirituelle sur laquelle repose l’ordre humain, c’est une « manifestation immanente » de la conscience, indépendamment de tout commandement transcendant. La justice est ainsi « réalité et idéalité » ; fait et idée s’engendrant mutuellement : l’idée, avec ses catégories, surgit de l’action et doit revenir à l’action. Cette « pratique » provient des « êtres collectifs », en « association », et leur permet d’exercer leur puissance avec d’autre êtres collectifs pour ainsi transformer la nature, le monde…
Mais ces puissances sont conflictuelles ; il s’agit de les équilibrer, non de les anéantir. L’approche de Proudhon se fait par sa dialectique des antinomies ou « dialectique sérielle », qui n’est en rien la dialectique hégélienne : thèse-antithèse-synthèse, mais qui établit un équilibre des puissances.
Ainsi, « découvrir une série, c’est apercevoir l’unité dans la multiplicité » ; la multiplicité peut sombrer dans le chaos en l’absence d’unité, mais l’unité, en voulant tout ordonner, sans que rien lui échappe, en bannissant tout conflit, devient totalitaire. Multiplicité et unité sont donc indispensables pour que les forces s’équilibrent dans un antagonisme fécond. D’où la notion de progrès chez Proudhon.
La synthèse hégélienne, en détruisant thèse et antithèse, conduit à la dissolution de toute individualité, elle détruit la pluralité du réel, elle est gouvernementale.
La justice est aussi en lutte antagonique avec les idéologies prônées par les religions de toutes sortes, de l’idéalisme de Platon au messianisme prolétarien de Marx, en passant par le christianisme ou l’idéologie capitaliste. Il y a ainsi mouvement et possibilité de progrès…
Je ne suis pas sûr d’avoir tout bien compris, en particulier quand il est question de sa théorie du « droit de la force », clé de voûte de ce qu’il nomme la « raison collective ».
On pourrait continuer la réflexion sur sa vision de la guerre et de la paix, c’est-à-dire sur le conflit par excellence et l’équilibre des antinomies.
Mais, sans pour autant clôturer − car le temps m’est compté −, disons que la pensée de Proudhon débouche sur la notion de « fédéralisme intégral », tant politique, économique que social.
Le Monde libertaire, qui publiait, il y a peu, assez régulièrement des textes de Jacques Langlois, un spécialiste de Proudhon, aurait pu ainsi nous faire connaître un texte intitulé « La violence chez Proudhon ».
D’ailleurs, ces lectures un peu difficiles m’amènent à penser que nous pourrions organiser des sortes de cours pour les approfondir, c’est-à-dire de créer quelque chose qui pourrait ressembler à une université populaire. Qu’en pensez-vous ?

Édouard Jourdain, Proudhon, un socialisme libertaire,
Michalon éditeur, 2009, 112 p.

Achaïra, 3 décembre 2009

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