La forêt usagère

Publié dans Chroniques Noir & Rouge, n° 13, juin 2023
et dans IPNS, n° 83, juin 2023

La forêt usagère,
les communs, etc.

En juillet 2022, les incendies qui ont ravagé les forêts de la Nouvelle Aquitaine, en particulier à La Teste-de-Buch, ont permis à la presse de raviver un terme, celui de « forêt usagère » ; dénomination qui recouvre des droits populaires régulièrement remis en cause par ceux qui se sont appropriés certains espaces forestiers. La forêt usagère permet en effet de jouir d’avantages, tels que le droit de pâturage, le droit au bois de chauffage, de même qu’au bois de construction. Sans doute, il n’y aurait qu’un pas à franchir pour reconnaître dans ce vieil usage comme des vestiges largement oubliés : en Angleterre, une Charte des forêts, adoptée en 1225, formalisait le droit coutumier des paysans sans terres à l’accès aux forêts communales pour assurer la couverture de leurs besoins ; il s’agissait des commons.

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« ‘‘Les communs’’ et leurs impasses », c’est un chapitre du livre de Charles Reeve : Le Socialisme sauvage qui rappelle qu’aux origines du capitalisme, en Angleterre, « à partir du XVIIe siècle, les commons, les terres et autres biens fonciers communs, ont subi l’accaparement des propiétaires privés par leur mise en clôture : le mouvement des enclosures ».
« Aujourd’hui, pour certains auteurs et activistes, le concept de communs réunit, bien au-delà des traces extrêmement minces d’un passé communal qui subsiste, toutes sortes d’activités et de solidarité alternatives, de règles d’organisation et d’exploitation de ces ‘‘ressources communes’’, allant des coopératives de production et de consommation à la sphère des logiciels libres et aux jardins partagés, initiatives qui, installées dans les interstices du système capitaliste, cherchent à échapper à la cruauté de l’économie néolibérale. »
Si ces pratiques « font un contrepoids au discours prônant l’insurrection », « elles représente peu et ne dérangent en rien l’économie du profit », écrit Charles Reeve.

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Les communs existent depuis la nuit des temps. C’est ce que nous expose Édouard Jourdain dans un petit livre, Les Communs, qui a l’ambition de cerner en ses multiples configurations une démarche sociale d’une grande complexité. C’est ainsi qu’au début de son travail il cite :
Les sociétés premières ou autochtones qui organisent la gestion des ressources « sans que le marché ou l’État n’interviennent », tout en soulignant une différence entre les biens personnels et les biens communs.
Dans l’Antiquité grecque, on distingue les communs inclusifs des communs exclusifs, « la part collective indivise et la part individuelle liée à l’égalité de distribution ».
L’Antiquité romaine délimitait les « choses sans maître » dont un premier occupant pouvait s’emparer ; à ne pas confondre avec les choses communes ou publiques, accessibles à tous, comme l’air, la mer, l’eau, les rivages, les fleuves, etc.
C’est au Moyen Âge que « la coutume va consacrer l’idée de droits collectifs – les communaux –, reconnus à une communauté villageoise concernant l’agriculture ou l’accès aux pâturages », mais aussi les possibilités de pêche, de glanage, de cueillette, etc.
Si, avec le Code civil napoléonien, le droit de propriété n’est plus relativisé par le droit d’usage, il reste cependant limité par l’intérêt général ; et ce qui était propriété publique ou propriété de la nation devient, en fait, propriété de l’État. Or, le commun, le collectif, ne peut se comprendre dans l’institution de l’État qui se révèle être la « forme de propriété privée des fonctionnaires du gouvernement ».
Avec l’introduction d’un droit administratif, la capture des communs par l’État s’aggrave. Et, « parce qu’elle est propriétaire, l’administration peut procéder au déclassement de ce bien [commun] et le désaffecter pour l’aliéner, d’où la possibilité des privatisations ».
Quant au droit social qui s’amorce, « il s’agit, d’une part, de concevoir le droit comme émanation de collectifs qui se différencient du législateur et, d’autre part, de montrer de manière empirique le droit en train de se faire à l’ombre de l’État et du marché ».
Un droit qui dirait que les biens communs – écosystèmes, milieux de vie, zones écologiquement sensibles, mers, etc. – doivent « être protégés exactement comme le sont les sujets de droit ».
« Le droit, du fait de sa dimension relationnelle, se pose alors contre toute forme d’absolutisme propriétaire ou étatique… », ce qui débouche sur un droit des communs avec ses règles permettant de concevoir une « démocratie davantage participative ».
« De nombreuses règles ne sont pas écrites et de nombreuses ‘‘lois’’ écrites ne sont pas suivies. »
Et si l’on en revient à la coutume ouvrière (référence est faite à La Coutume ouvrière de Maxime Leroy), on constate que les Bourses du travail, les syndicats, les coopératives et les mutuelles, plus que des organismes destinés à améliorer le sort des travailleurs, constituent des « écoles de coopération et d’autogestion qui préfigurent le monde à venir ».

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Pour le libertaire Landauer (Gustav Landauer, un anarchiste de l’envers), « l’anarchie n’appartient pas à l’avenir, mais au présent ; elle n’est pas affaire de revendications, mais affaire de vie ».
Il s’agissait pour lui de mettre en œuvre, « présentement, des espaces de vie », des « espaces soustraits au pouvoir et dans lesquels il soit possible de créer une réalité tendant vers l’anarchie, et de vivre le présent au plus près des valeurs anarchistes ».
Tout simplement, au quotidien, Landauer souhaitait « ardemment que l’on se rassemble, que l’on œuvre en faveur du socialisme municipal, en faveur de colonies coopératives, de coopératives de consommation ou d’habitation ; que l’on crée des jardins et des bibliothèques publics, que l’on quitte les villes, que l’on travaille avec des bêches et des pelles, que l’on réduise sa vie matérielle à l’essentiel afin de gagner de l’espace pour le luxe de l’esprit » ; à l’exemple de l’expérience de Monte Verità dans le Tessin, en Suisse.
Sans doute ce programme négligeait-il la force de récupération et du capitalisme et de l’État.
Landauer écrivait encore : « Seul le présent est réel, et ce que les hommes ne font pas maintenant, ne commencent pas à faire dans l’instant, ils ne le font jamais, de toute éternité. » (« La colonie », Der Sozialist, 1910.)

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L’actualité a répondu à cet encouragement ; il y a peu lors du combat de Notre-Dame-des-Landes. Aujourd’hui, des mouvements sociaux ont entrepris de mener des actions offensives de désobéissance civile et de sabotage. Les Soulèvements de la terre appelle à reprendre des terres contre l’artificialisation, l’accaparement et l’extension de l’agro-industrie qui épuisent les sols et les ressources, tandis que l’Atelier paysan revendique des mesures pour freiner la compétition destructrice sur les prix avec la volonté de socialiser l’alimentation.

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Le Monde du 30 mars 2023 titrait : « L’État veut dissoudre Les Soulèvement de la terre ».

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– Édouard Jourdain, Les Communs, Que sais-je ?, 2021, 128 p.
– Charles Reeve, Le Socialisme sauvage, essai sur l’auto-organisation
et la démocratie directe dans les luttes de 1789 à nos jours.
L’Échappée éditeur, 2018, 320 p.
Gustav Landauer, un anarchiste de l’envers,
Contributions de Gaël Cheptou, Walter Fähnders, Freddy Gomez,
Christoph Knüppel, Michael Löwy, Guillaume Paoli, Helmut Rüdiger
suivies de Douze écrits « anti-politiques » de Gustav Landauer.
Éditions de l’Éclat, revue À contretemps, 2018, 214 p.
Revue S!lence, n° 519, mars 2023,
« Reprendre les terres à l’industrie ».

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