L’origine de la démocratie

Publié dans Casse-rôles,
n° 24, mai-juillet 2023

La Démocratie aux marges de David Graeber est en fait un article tiré d’une sorte de conférence qui s’efforce de décrire les origines de la démocratie et qui précise que là où on a le moins de chance de les trouver, c’est « dans les proclamations officielles d’États qui ont largement mis fin aux formes locales d’autogouvernement et de délibérations collectives ».

Car, en réalité, à travers le monde et durant l’histoire, nombre de sociétés ont développé des procédures collectives de décision qui consistaient à rassembler la communauté et à discuter pour rechercher le consensus sinon l’unanimité avant toute entreprise ou mise en œuvre ; cela sans pour autant voter. Il s’agissait, dans la mesure du possible, de ne pas contraindre une minorité en désaccord. D’ailleurs, ces sociétés se caractérisaient par l’absence d’un pouvoir de coercition, par l’absence d’État.

Nous aimons rappeler que Nelson Mandela dans Un long chemin vers la liberté explique que sa sensibilité politique est précisément née à l’écoute des palabres sans fin des réunions tribales avant de prendre une décision.
Le vote ou une quelconque représentation – il n’est pas question dans ce texte de mandat impératif – étant le critère essentiel de la démocratie, telle qu’on l’entend actuellement, ces autres formes de gestion de la société disons libertaires , ont été ignorées ou dénigrées par la culture occidentale, car, au départ, selon Graeber, « démocratie signifiait littéralement la ‘‘force’’, voire la ‘‘violence’’ » et que « toute forme de prise de décision par le peuple [était] vouée à la violence, au chaos et à l’arbitraire congénital de la populace ». La démocratie serait le règne de l’émeute populaire permanente, « la forme de gouvernement la plus instable et la plus tumultueuse » qui faisait courir des risques pour les droits des minorités parmi lesquelles se trouvaient… les riches. On ne s’étonnera donc pas que de nombreux conservateurs tiennent à préciser que « l’Amérique n’est pas une démocratie mais une république ». Et il est avancé par certains historiens que l’écriture de la Constitution américaine, quoique rédigée pour l’essentiel par des propriétaires fonciers, fut quand même fortement influencée par la structure fédéraliste de la Ligue de six nations iroquoises.
Avec le temps, l’idée de démocratie sera réhabilitée, cela en édulcorant sa force première.
Nous vivons maintenant avec l’idée que la démocratie est une création occidentale et que les Grecs furent les premiers à la promouvoir. Or, à Athènes, seuls les hommes en capacité de porter des armes avaient la prérogative de diriger l’administration de la cité ; ce qui était refusé aux femmes, aux étrangers et aux esclaves.

A contrario, un exemple est donné à propos de cette Ligue des Iroquois qui fonctionnait « au consensus et accordant une place importante aux femmes ».
Aujourd’hui, écrit Graeber, « un nombre croissant de mouvements sociaux ne recherchent le consensus intégral qu’au sein des petits groupes et recourent à différentes formes de ‘‘consensus qualifié’’ au sein de coalitions plus larges » ; ces mouvements qui préconisent l’association volontaire, l’auto-organisation horizontale, l’aide mutuelle, le refus du pouvoir de l’État, etc, répugnent pour autant, voire carrément refusent, la qualification d’anarchistes. Thème déjà abordé avec des qualifications diverses : anarchisme extra-muros, anarchisme sans dogmes, et autres expressions « aux confins de l’anarchisme » comme les différentes mouvances antiautoritaires, autonomes, horizontalistes, etc.
« Quelque chose est en train d’émerger », nous dit David Graeber pour qui « démocratie pure » et « anarchisme » sont parfaitement synonymes.

*

Dans la préface d’Alain Caillé, on trouvera une citation intéressante, pas reprise dans le texte de Graeber, à propos de Pierre Clastres et de son Archéologie de la violence quand ce dernier énonce que chez les sauvages « la guerre et l’État sont des termes contradictoires, qu’ils ne peuvent exister ensemble, que chacun des deux implique la négation de l’autre : la guerre empêche l’État, l’État empêche la guerre ».
« La machine de guerre, c’est le moteur de la machine sociale, l’être social primitif repose entièrement sur la guerre, la société primitive ne peut subsister sans la guerre. Plus il y a de la guerre, moins il y a de l’unification, et le meilleur ennemi de l’État, c’est la guerre. La société primitive est une société contre l’État en tant que société-pour-la-guerre. »

Bien sûr, il serait bon de revenir sur cette thématique et de retrouver d’autres textes de Graeber traitant de cette question. Qui voudrait et pourrait rebondir sur ce sujet en se référant à d’autres textes de Clastres et de Graeber ?

David Graeber, La Démocratie aux marges,
Flammarion éd., 2018, 126 p.



Ce contenu a été publié dans Chroniques 2023, États-Unis. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *