Non-violence ?

Publié dans Casse-rôles, n° 22
novembre 2022-janvier 2023

Non-violence ?

La non-violence se limite souvent à n’être qu’un champ sémantique imprécis, alliant philosophie et morale, mais elle peut se décliner, si nous voulons ouvrir les yeux, en une multitude d’actions rarement reconnues comme participant de ce champ non-violent. De plus, le mot de « non-violence » (de même que celui de « résistance passive ») porte en lui, par ailleurs, une bonne part d’inertie et d’immobilisme.

Ne rien faire d’un peu dangereux est une attitude des plus humaines ; on se contente seulement de mots, de paroles en l’air qui ne mangent pas de pain ; « dire non » à la guerre, uniquement, est vain ; agir demande de l’imagination et du courage.
Quelle est donc la place que peut prendre la non-violence contre la guerre ? Et comment peut-elle se décliner ?

D’abord en l’incarnant individuellement et surtout collectivement.
Historiquement, les mouvements non-violents (ou de désobéissance) ont développé un certain nombre d’actions comme la grève de la faim et le jeûne, la non-coopération, le boycott, le sabotage doux (comment rendre inutilisables outils ou matériel), la grève, l’occupation de locaux divers, l’occupation d’usines ou de prisons, le sit-in, l’enchaînement individuel ou collectif sur des lieux publics, la désobéissance civile de masse (comme le Hirak algérien), le refus de la conscription et de la politique de l’armement, le renvoi du livret militaire, le refus de l’impôt, etc.
Une caractéristique de ces modes d’action s’inscrit dans une articulation participative en fonction des limites de chacun, cela tout en valorisant l’action collective.

La guerre d’Algérie (1954-1962)
La réponse à cette guerre, organisée par l’Action civique non-violente, consista à se porter solidaire, physiquement, des jeunes gens obligés d’aller combattre et qui le refusaient. Ils ne furent qu’une trentaine (c’est peu !), mais il est intéressant de décrire leur démarche.
Autour de l’insoumis, du déserteur ou de celui qui avait fait un refus d’obéissance, se joignait un certain nombre de personnes, les « solidaires », soit un deuxième cercle de gens complètement démunis de papiers d’identité et qui déclaraient être « le réfractaire », puis qui attendaient leur arrestation lors d’un enchaînement public ou de tout autre manière. Naturellement, cela se terminait par des inculpations et des emprisonnements de plus ou moins longue durée. Ajoutons que la presse provinciale relatait régulièrement actions et procès.
Un troisième cercle de solidaires, moins engagés physiquement, gravitait autour des deux premiers et apportait une aide morale et financière ; ces personnes écrivaient également des lettres de réconfort aux familles, permettant ainsi à l’entourage du réfractaire de modifier un point de vue quelquefois hostile.
Pour gérer l’ensemble de ces actions, un secrétariat, sorte d’état-major, fut mis en place près de Paris dans l’appartement d’un ami où s’élaboraient projets d’actions et de manifestations, préparation des procès, comptes rendus à la presse ; là, se faisaient des rencontres de toute sortes…
Cet ensemble d’actions que l’on peut qualifier de dérisoire face à cette guerre, constitua, en France, le tout début de la désobéissance civile ; associées à d’autres actions contre les camps d’assignation à résidence pour les Algériens « suspects » et, précédemment, à des jeûnes contre l’armement atomique.

L’invasion de l’Ukraine
Actuellement, la guerre fait rage en Ukraine, pays envahi par son voisin russe. Tout un chacun pourra penser légitime la défense armée. Parce que la France participe à ce conflit avec des envois d’armes et de munitions, nous, Français, sommes concernés.
Dans un article de François Vaillant, publié par Alternatives non-violentes (n° 203 de juin 2022) – que l’on peut retrouver sur le site deladesobeissance.fr, et ici largement pillé –, il est avancé que si la « résistance armée du peuple ukrainien et celle non-violente du peuple tchécoslovaque en 1968 ne sont pas à comparer. Il est toutefois possible de les mettre en relation ».
« Dès le premier jour de l’invasion de l’Ukraine, le président Zelensky a voulu que son pays se défende par les armes. Il en fut tout différemment quand les armées du Pacte de Varsovie ont envahi la Tchécoslovaquie », nous rappelle François Vaillant.
Rappelons qu’en janvier 1968, Alexandre Dubcek, nommé secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque, avait entrepris des réformes : abolition de la censure, libération des prisonniers politiques, liberté de la pratique religieuse, etc., avec la volonté de réaliser « un socialisme à visage humain » ; ce fut le fameux Printemps de Prague.
Tout aussitôt, les dirigeants russes, par la voix de La Pravda, parlèrent de contre-révolution et de révisionnisme et craignirent que d’autres pays de l’Est ne suivent cet exemple.
Dans la nuit du 20 au 21 août 1968, pour en finir avec ce printemps-là, les armées du Pacte de Varsovie (RDA, Hongrie, Roumanie et Pologne) envahissent la Tchécoslovaquie.
« Les Tchécoslovaques se réveillent avec 250 000 soldats étrangers sous leurs fenêtres. Dubcek ne veut pas de bain de sang, il ordonne à l’armée de son pays de rester dans les casernes. Sont encore dans toutes les mémoires les massacres de milliers de Hongrois perpétrés par les Soviétiques à Budapest en 1956, suite à des émeutes violentes contre le régime communiste hongrois. »
Comme il n’est pas question de fraterniser avec l’occupant et pour lui faire comprendre qu’il est indésirable, une foule assise et déterminée occupe les avenues et les places, un dialogue s’installe avec les soldats qui pensaient ne participer qu’à de simples manœuvres, tandis que d’autres croyaient avoir en face d’eux des contre-révolutionnaires de la CIA.
Ils ne se trouvèrent devant aucune résistance armée pouvant légitimer des représailles, mais une population se disant « socialiste » et attachée aux directives de son Parti communiste. Ce qui provoqua un certain désarroi du côté des soldats.
L’humour a tenu une grande place dans l’action, écrit François Vaillant : par des slogans écrits sur les chars et les camions militaires, sur les murs, sur des tracts, et très souvent en russe :
« Staline applaudit, Lénine désapprouve » ; « On ne construit pas le socialisme avec des chars » ; « Vous avez des tanks, mais nous avons le droit pour nous » ; « Américains, quittez le Vietnam !, Soviétiques, quittez la Tchécoslovaquie ! » ; « Nous avons survécu à Hitler, nous survivrons à Brejnev » ; « Seul peut être libre un peuple qui ne prive pas un autre peuple de sa liberté (Karl Marx) », etc. » Partout, les panneaux indicateurs ont été modifiés, avec des inscriptions comme : « Moscou, 1 800 km ».
« Tout cela eut pour conséquence de démoraliser les forces d’occupation qui ne comprenaient plus le sens de leur mission en Tchécoslovaquie. Plusieurs régiments devenus peu fiables durent être rapatriés, des soldats désertèrent, y compris de nombreux équipages de chars… »
La population continua à vivre normalement et à travailler et manifesta sa résistance par l’intermédiaire des radios libres ; ce à quoi Moscou répond aussitôt en envoyant, par le rail, un matériel sophistiqué pour les brouiller.
Aussitôt, une annonce fut partout répétée : « Camarades cheminots, empêchez le train d’atteindre Prague ! Empêchez-le d’avancer ! Bloquez les voies ! » ; train qui se mit à tourner en rond avec une partie du convoi filant vers la RDA… Puis, il fut demandé aux habitants de retirer toutes les plaques de rues, les numéros sur les immeubles et les noms sur les boîtes aux lettres.
Ce qu’il y a de commun entre la résistance armée ukrainienne et la résistance non-violente tchèque a été que ces deux nations se sont retrouvées soudées et unies dans leur forme de résistance », tient à préciser François Vaillant.
On fit croire à Dubcek, emmené contre son gré à Moscou le 23 août et coupé de toute information, qu’on se battait dans les rues et que le sang coulait ; la seule issue pour sauver des vies était la capitulation. Si bien que, dès son retour, le 27 août, il lut un communiqué rédigé par le Kremlin annonçant la capitulation qui cassait par là toute résistance.
« Les observateurs étrangers furent unanimes à dire que la résistance non-violente adoptée spontanément par la population aurait pu se prolonger plus longtemps et conduire à une situation bien différente si Dubcek n’y avait pas mis fin. »
Si la résistance non-violente fut stoppée, elle resta dans les mémoires et déboucha, en janvier 1977, sur un appel de quelques dizaines de personnalités avec parmi les signataires un certain Vaclav Havel –, appel connu maintenant comme la Charte 77 « pour le respect des droits civiques et des droits de l’Homme dans notre pays et dans le monde » ; appel qui défiait ouvertement le pouvoir communiste.
Accusés d’activités subversives, les signataires connurent la prison, mais, au fil du temps, et malgré la répression, la Charte 77 continua à engranger des noms et à éroder le pouvoir du régime communiste.
Le Mur de Berlin n’est pas tombé tout seul ; on constate une certaine filiation des luttes sans armes quand est apparu en Pologne, en 1980, Solidarnosc, animée par Lech Walesa, et que des intellectuels comme J. Kuron et A. Michnick s’inscrivirent dans une confrontation directe mais sans violence avec le pouvoir communiste polonais.
Actuellement, en Russie, on a pu voir des manifestants brandir des pancartes « Non à la guerre ! ») tout en sachant que leur acte pouvait leur coûter l’emprisonnement. Depuis sa prison, Alexis Navalny a pu faire passer une vidéo où il condamnait la guerre en Ukraine.
« Le 8 mars, journée de la femme, des dames, parfois âgées, ont voyagé dans le métro, habillées d’un ciré jaune et d’un foulard bleu sur la tête, aux couleurs du drapeau ukrainien. » En plein journal télévisé, Marina Ovsiannikova a eu le courage de brandir une pancarte : « Non à la guerre ! Ne croyez pas la propagande ! On vous ment ici. Les Russes sont contre la guerre. »

Imagination et courage ! Des qualités à cultiver.

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