Les dits d’Arès

Les dits d’Arès

recueillis par André Bernard
en
2020

 

« Les choses ne sont pas ce qu’elles sont,
affirma d’entrée le balai. Une question
de manche », ajouta la serpillière.

Un savon tout nu réfléchissait
auprès d’une mare d’eau très sale quand il décida :
« Je vais attendre et me marier avec la pluie. »

Un marteau tapait sur un clou qui,
après s’être enfoncé au cœur du bois, lui dit :
« C’est malin ! Tu es seul maintenant. »

La clé qui ouvrait et fermait la porte lui cria :
« Sans moi, tu ne serais qu’une porte battante.
– Qui dort dans le lit de ma serrure », grinça la porte.
 


L’eau qui dormait dans une cruche
rêvait de vagues et de torrents ;
la cruche se brisa.



Les chaises se plaignaient de ne recevoir que des culs.
« Soye
z heureuses, leur dit la cuvette des toilettes,
que vos invités ne se déculottent pas.»

Le ciel noir de la nuit jalousait le ciel bleu du jour
qui lui dit : « Tu sais, je suis quelquefois couvert de nuages,
mais jamais je ne peux arborer les étoiles comme toi. »

La vie se plaignait de sa dureté auprès de la mort.
« Que dois-je dire, moi, qui n’ai ni repos ni vacances ? »,
répondit la deuxième.

« Tu prends des risques en traversant la piste,
dit le vélo à l’escargot.
Vivre est dangereux », répondit l’autre.

La craie écrivait sur la pierre
qui lui dit : « À quoi bon ?
La pluie et le temps effaceront tes mots. »

Une petite fille qui grimpait dans un arbre l’entendit dire
d’une voix très profonde : « Tu ne m’as pas vu naître,
et je te verrai sans doute mourir. »

Tout en jouant avec le vent,
un papillon tomba amoureux d’une bougie
que le vent éteignit.

« Qu’importent les mots, dit la voix,
nous avons partagé le pain, la route et la chambre.
Le reste n’est rien. »

« Puisque nous aimons tant dormir ensemble,
dit-il, nous pourrions tenter de le faire éternellement.
Sans doute, dit-elle, mais l’éternité n’a-t-elle pas une fin ? »

« Les pluies torrentielles ont emporté un cimetière !
On ne respecte même pas les morts ? »,
murmura le fossoyeur.

Sur un très grand mur gris,
un escargot se hâtait lentement,
tout en pensant : « Maintenant, il faut agir. »

Il était une fois, quelque part,
l’éternité qui prenait le thé avec l’immensité.
« On s’ennuie, dit l’une, tout est trop long, trop loin. »

L’oiseau laissa tomber une plume devant le marcheur
qui ricana : « Pour écrire ? Pour qui ? Pourquoi ?
D’abord, pour toi », dit l’oiseau.

« Je suis un animal, cria l’homme.
C’est certain, rétorqua son chat, mais,
quant à moi, je ne suis pas un être humain. »

S’éveillant, oubliant sa surdité, l’homme grogna :
« Tout est bien silencieux, ce matin.
Normal, il fait encore nuit, répondit sa compagne, aveugle. »

Au petit matin, l’oreiller nota consciencieusement
que le dernier rêve était porté disparu,
définitivement échappé de la mémoire.

« Mon cerveau est plus intelligent que moi,
remarqua le dormeur dans un demi-sommeil.
Et, comme en jouant, il crée. »

« La fourmi du bord de la route se soucie-t-elle
de ce qu’on dira de sa vie dans cent ans ? »,
se demandait une abeille sans nom.

L’un l’autre, thé et café ne s’estimaient guère.
L’eau, bonne fille, les accueillait tous les deux avec plaisir.
« Chacun a son charme et son pouvoir d’excitation », disait-elle.

« Vieillard, tu ne crains pas de mourir ?
Le virus couronné vole de bouche en bouche.
Ce que je crains, vivant, c’est de sentir mauvais. »

La nuit, dans le rêve,
le cerveau galope la bride sur le cou.
Le jour, la raison tente de reprendre les rênes.

En entendant le grincement familier de la porte,
la maison qui se croyait abandonnée
se prit à sourire de toutes ses fenêtres.

Dans une chambre à coucher,
un lit insomniaque cherchait en vain le sommeil
et rêvait de dormir avec la Belle au bois dormant.

Polythéisme, monothéisme, athéisme,
c’est un cheminement de l’être humain, certes,
mais qu’en est-il vraiment du dessous des cartes ?

Alors que l’historien,
la tête encombrée de documents, déchiffrait le passé,
le poète, à l’écoute du présent, disait l’avenir.

Devant le néant imperturbable, l’épouvante se figeait
tandis que la peur se sauvait à grands pas.
Le néant, comme en souriant, les avala tous les deux.

« La mort n’est pas le problème, disait le vieillard
à un jeune homme qui ne l’écoutait pas,
ce n’est qu’un apprentissage de plus, celui de la vieillesse. »

Au milieu de bouteilles d’eau minérale,
un tire-bouchon était au chômage et,
interloqué, contemplait un verre de vin.

Un cheveu, emporté par le vent,
s’entortilla autour de la plume perdue d’un oiseau :
« Aimons-nous, le temps presse », dit-elle.

Évier et lavabo constataient que sans eau
ils n’étaient rien.
« Et pas grand-chose sans moi », dit le robinet.

« Tu es bruyant et encombrant,
dit le balai à l’aspirateur.
Je suis moderne », répondit ce dernier.

« La vie est courte, maugréait le vieillard.
Encore faut-il pouvoir naître »,
dit l’œuf dans son coquetier.

« Je suis ton âme »,
dit le papillon séducteur à la fleur.
« Un esprit libertin, sûrement », répondit la fleur.

La pluie et le soleil débattaient de leurs bienfaits
envers les êtres vivants.
« Ouais, mais sans la terre, hein ?… », dit cette dernière.

Deux pieds philosophaient en marchant :
« Tous les chemins mènent quelque part…
Pourquoi y aller ? », murmurèrent les souliers.

Le présent, qui écoutait le passé dire au futur :
« Tu vieilliras toi aussi »,
se demanda si, lui, n’était pas immortel.

« Te souviens-tu de ma jeunesse ?,
demanda le présent à son miroir qui répondit :
Tu sais, moi, je vis sans mémoire, au jour le jour. »

Vent et pluie se disputaient à grand fracas dans un chêne
qui murmura : « Qu’importe quelques branches cassées !
J’ai semé et je sèmerai encore… »

Couteau et fourchette se consultaient autour de l’assiette :
« Sommes-nous correctement placés ? », puis,
dans l’eau de vaisselle, dirent : « C’était quoi la question ? »

Un chat se promenait la queue en l’air.
« Indécent ! », dit une dame.
Reproche-t-on aux fleurs d’être en bouquet ?

Pour laisser entrer la lumière,
les oiseaux, dans l’air, dessinaient des traits invisibles.
« Par politesse », dit l’hirondelle.

Sel, poivre, huile et moutarde
dansaient dans la salade.
« Et moi, cria le sucre, je compte pour du beurre ? »

La famine à ses trousses, un gros pain
tout frais et croustillant courait sur le trottoir.
Une bouche d’égout ouverte le mangea en passant.

La vie, cette grande envieuse,
jalousait la mort pour son éternité.
« Un peu de patience », dit la mort.

« De l’obstination des vagues contre la dune
j’en ai le dos moulu »,
dit le sable en crissant.

Sur un fil, heureuses comme des oiseaux,
des gouttes d’eau étincelaient.
Une main ménagère les essuya.

La solitude, inconsolable,
ne savait par quel bout prendre le vide.
Elle y plongea.

Le chèvrefeuille, fleuri et léger, enlaçait le troène
qui lui dit : « Tu m’étouffes…
Ainsi je vis, ainsi je meurs », dit le premier.

« Que m’importent tes heures et tes minutes,
dit le sablier à l’horloge,
je me retourne, et le temps recommence. »

Une pince à linge rêvait sur son fil :
« Je suis si seule, comment pourrais-je m’envoler ? »,
dit-elle à un oiseau posé à ses côtés.

L’eau et le feu étaient en guerre.
« Dans ma cuisine, ils collaborent »,
dit la grand-mère.

« Je sais que je ne sais rien, dit l’ignorant,
tandis que celui qui dit savoir, l’expert,
ignore son ignorance. »

De longtemps, la mort m’accompagne.
A-t-elle oublié que je suis un vivant ?
Es-tu si pressé ? répondit-elle gentiment.

Un Inuit et un végétalien débattaient
de véganisme sur une banquise.
Devinez lequel mourut de faim ?

Le “je” s’affichait immodérément dans un texte.
« Dire “nous” serait plus discret, sinon plus modeste »,
préconisa un lecteur.

Les livres, sur le qui-vive,
veillaient debout dans les bibliothèques
d’où s’élançaient des utopies.

La patience de l’herbe, l’allure de l’escargot
et l’entêtement de l’eau
apaisent ma colère, dit l’une.

La nuit dormait ; elle attendait le jour
qui, s’éveillant tardivement,
la chercha vainement dans son lit.

Tant ils avaient besoin de nuances
que nuit noire et plein jour attendaient
l’aurore et le crépuscule pour se parler.

Le temps, ce dévoreur, mangeait les jours
qui, toujours riants et espiègles,
renaissaient chaque matin.

Infiniment créatrice, de toutes parts,
la vie grouillait. « À quelles fins ? »,
se demandait le galet caressé par la rivière.

« Nous n’avons pas dit notre dernier mot »,
s’exclamèrent plume et encrier
devant le clavier de l’ordinateur.

« Nous sommes les fenêtres ouvertes sur le monde
et tout autant à l’écoute de la vie intérieure,
mais en révolte contre les volets qui nous infantilisent. »

« Je me fous du temps qui passe,
Je me fous du temps qu’il fait,
je me fous du temps », dit l’espace à un historien.

En quête de liberté, les objets quotidiens s’échappaient
des mains du vieillard qui pensa
que le temps de la séparation était venu.

Le vélo écoutait le frissonnement
de la route asphaltée et du pneu bien gonflé
qui jouissaient sous son passage.

« Je suis celle qui fait déborder le vase,
dit la goutte d’eau. – Oui, une prétentieuse
qui finira noyée dans l’océan », dit la nappe souillée.

En trinquant, deux verres dissertaient sur le fait
d’être à moitié vides ou d’être à moitié pleins,
d’être remplis à ras bord ou d’être bus cul sec…

« Pauvre chêne, t’es là, planté, sans jambes, dit la fourmi.
Oh ! Oh ! l’espace est limité pour toi aussi, chanta l’arbre.
Et, pour m’épanouir, j’ai du temps, moi. »

Ensommeillé, un cerveau s’activait en roue libre.
« C’est quoi ce foutoir ?, cria la tête.
Pas de dispute, je suis en train de naître », susurra une idée.

Vers l’étable, après boire, la vache
allait paisiblement se faire attacher.
« Quelle vie de bête ! », remarqua le chien.

La cuisinière cria à l’impudeur
quand la gousse d’ail déshabillée offrit
l’amitié de ses cuisses à la carotte.

« Tiens ! il y a une chaise près de l’abricotier,
dit le voisin étonné. – Sans doute
avait-il l’air fatigué », dit la jardinière.

« La vie foisonne ; elle seule est créatrice »,
se plaisait à penser silencieusement la forêt
dans sa méditation nocturne.

« La vie, seule créatrice ?
Et qui donc fournit le matériau ?, demanda la mort.
Sans moi, la vie ne serait qu’une pensée. »

« Ma fille ne sait rien faire de ses dix doigts, dit la mère.
Moi, osa avancer timidement l’artisan,
je m’étonne quelquefois de l’intelligence de mes mains ! »

Pontifiant, l’ego se haussait du col quand,
sans un regard,
l’indifférence passa son chemin.

« Nous avons faim !
menaçaient les dents.
Moi, j’ai soif », dit la bouteille vide.

« Pour que tu vives, il faut que je meure,
dit l’allumette à la bougie.
Certes, mais la nuit vaincra ma lumière. »

« Se brosser les dents
ou se laver le cul ?
Les deux », s’agaça le lit qui attendait.

« Les peuples, libérés de l’État
et de ses institutions, sont créateurs »,
constata le quidam après la tempête

« Feu, tu flambes et deviens cendres, moi, l’eau,
je me métamorphose en vapeur, en nuages, en océan,
en sueur aussi. »

« Qui parle sous mon crâne, la nuit,
quand ma raison est endormie ?
Ton cerveau sans contrôle développant la logique du rêve. »

« Il n’y a pas de sots métiers, dit l’autre.
Il n’empêche, râlèrent les poubelles,
nous faisons le trottoir. »

Le laurier, année après année,
faisait sa cour à la maison en lui offrant ses fleurs.
Les fenêtres baissaient les yeux.

« Tic-tac, tic-tac, tic-tac, tic-tac »,
dit l’horloge au silence
qui ne répondit pas.

Les feuilles de l’arbre frémissaient
sous la caresse du vent
qui ne fit que passer.

« Oui, faire la nique au néant est vain ; pour autant,
ne jamais rompre le charme de l’amitié et de l’amour
et se souvenir que, seul, on donne le sens. »

« Les murs ont maintenant la parole,
s’écria le président.
Que dit-il, demanda le pot. »

« De deux choses l’une ! », fut-il affirmé péremptoirement.
Celui qui s’estimait proudhonien répondit :
« Je prends les deux. »

« Non ! il n’y a pas de punitions ni de récompenses divines.
Et pour cause ! déclara l’athée.
De même, l’Histoire ne connaît ni justice ou injustice. »

« Il y a des métiers haïssables, affirma Sébastien.
Il faut bien vivre, dit le bourreau.
Justement, c’est de ça qu’il s’agit ! », dit un troisième.

La mort, habillée à l’ancienne,
était en quête d’un vieillard
qui se moqua : « C’est carnaval ? »

« Jamais nous ne pouvons être
l’une sans l’autre et l’autre sans l’une »,
dirent, embrassées, la vie et la mort.

« Je n’ai pas fait ce que je ne voulais pas faire,
dit-il, et ma compagne veut bien que je l’aime :
je peux donc regarder l’océan. »

 

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