« On peut faire autrement » (3)

« Le patriotisme et le militarisme engendrent l’armée
qui doit défendre la nation »,
écrivions-nous précédemment.

9. L’opinion publique

L’armée, c’est l’outil de violence de l’État et du gouvernement. Et c’est parce qu’il sait lutter contre elle, parce qu’il peut disposer de moyens de destruction impressionnants, que la violence, même contestataire, fait l’affaire du gouvernement ; de plus, cette violence détourne la plus grosse partie de la population de nos idées que ce soit par la crainte de perdre le peu de ce qu’elle a acquis ou simplement parce qu’elle est soucieuse de sa « petite » tranquillité.


C’est ce qu’on peut lire dans un texte publié par « paris-luttes-info » :
« Nous savons que Marcelin [ministre de l’Intérieur de 1968 à 1974] avant hier, Valls [idem, de 2012 à 2014] hier, Macron aujourd’hui savent tourner à leur avantage cette façon d’agir, voire de l’utiliser pour justifier des tours de vis sécuritaires. Nous pouvons craindre que cette violence fasse tomber des hésitants du côté du rejet du mouvement social en cours. Nous n’avons pas d’illusion sur l’efficacité « militaire » d’une telle tactique toujours mise en échec par les forces du pouvoir toujours plus fortes. Nous nous méfions du virilisme de ce mode d’action, nous nous inquiétons d’une violence sûre d’elle-même et de sa légitimité, une violence qui oublierait qu’il y a une personne sous l’armure du CRS. Nous savons que la violence est un poison pour ceux qui l’utilisent, pour ceux qui la subissent, pour la communauté humaine. C’est d’ailleurs pourquoi il est bon de rappeler que la violence dans notre société n’est pas d’abord dans la rue mais dans les conseils d’administration, dans les réunions paritaires, dans les lois votées à l’assemblée nationale. »

« Nous, non-violent·e·s dans le cortège de tête… »
Publié le 10 mai 2018 sur paris-luttes-info.

Nous avons tous des habitudes de penser et de vivre, des façons de faire, des rituels, des manières d’être ; et il ne nous viendrait pas à l’idée que l’on puisse faire autrement ; comme il est dit plus haut, toute notre culture est basée sur la violence et sur l’obéissance, dans la famille, à l’école, à l’armée. Il y a là les clés d’une efficacité que l’on ne remet pas en cause.
En ce début de XXIsiècle, dans le monde entier, la montée de mouvements populaires (printemps arabes, parapluies jaunes, ZAD en tous genres, le Chiapas, etc.) a montré une force considérable avec moins des armes que des actions diversifiées de désobéissance civile, de boycott, etc., accompagnés d’alternatives économiques, éducatives, de soins, etc.
Partisans de la violence ou d’options plus pacifiques, nous serons cependant d’accord, de part et d’autre, pour ne pas contester l’intention morale et militante de chacun ; également pour ne discuter que les opinions qui conduisent nos vies. Le respect est réciproque, il n’y a pas à en douter.
Il est vrai, pour autant, que nous sommes plusieurs à nous poser des questions et à dire également nos craintes quant à notre identité d’anarchiste. De même que Juan García Oliver ne se considérait plus anarchiste quand il était ministre de la Justice, nous nous demandons à quel moment de l’utilisation de la violence, nous cessons d’être anarchistes. Et comme nous pensons que l’avenir est toujours ouvert pour de nouvelles manières de faire et que de par le monde, surtout ces dernières années, des expériences de désobéissance civile non-violente ont vu le jour, nous nous pensons en droit de réfléchir à la question tout en restant anarchistes. D’ailleurs, par le passé, nous avons vu que les anarchistes n’ont pas toujours été des tenants de la violence. Tous, nous savons cela. La seule différence, c’est que maintenant nous avons donné des noms à des pratiques qui jusqu’alors étaient noyées dans l’ensemble des combats.
Loin de nous l’idée que nos compagnons qui contestent nos propos seraient « immatures » et « incapable de développement émotionnel ou intellectuel ». Si cela avait été le cas, nous aurions coupé les ponts avec eux depuis longtemps.

10. Le salut est en nous

Et nous sommes en droit de nous demander si le souvenir de la Commune ne joue pas un rôle dans cette attitude générale face à la violence. Le 15 septembre 1871, une affiche – rouge – fut apposée sur les murs de Paris. Elle appelait à la résistance contre les Prussiens qui assiégeaient la ville. Elle appelait le peuple à sauver la patrie, parce que « la capitulation n’est pas seulement encore et toujours la famine, mais la ruine et la honte » ; et elle ajoutait :
« C’est l’armée et la Garde nationale transportées prisonnières en Allemagne, et défilant dans les villes sous les insultes de l’étranger ; le commerce détruit, l’industrie morte, les contributions de guerre écrasant Paris : voilà ce que nous prépare l’impéritie ou la trahison. »
Ce texte de l’Affiche rouge qui émane des délégués des Vingt Arrondissements de Paris témoigne d’un acharnement vers la mort qui advint quelques mois plus tard. Les Prussiens étant restés alors hors champ.
En ce qui concerne notre interrogation de base à propos de la violence, Yvetot a une position tranchée :
« Aussi de la caserne on rapporte le culte de la force brutale, la religion de la violence. »
L’auteur, par la suite, n’oublie pas qu’il n’est pas seulement antimilitariste mais surtout secrétaire général des Bourses du travail qui sont la pointe avancée des luttes syndicales en France. Il rappelle que ce sont les soldats qui sont envoyés à chaque fois que des grèves éclatent dans le pays. Ce sont les prolétaires eux-mêmes, une fois sous l’uniforme, qui répriment plus que violemment leurs frères et leurs sœurs en lutte.
Dans une comptabilité horrible, il met au jour le nombre des morts, conséquence des engagements militaires français dans le monde, en commençant par Napoléon Ier et sa désastreuse campagne de Russie et en finissant par les guerres coloniales : Indes, Mexique, Algérie, Abyssinie, Transvaal, Java, Madagascar. Il arrive à 15 millions de morts. La question n’est pas de savoir si ces statistiques sont exactes, mais de souligner à quel point la France a payé un lourd tribut au militarisme.
Clairvoyant, lucide, il nous dit que la violence armée du peuple pour le peuple ne résoudrait pas la question du militarisme. Il importe de citer cette partie en entier, et ceux qui prônent la prise armée du pouvoir devraient en prendre connaissance.
« La Paix ne peut venir non plus de ceux qui rêvent de voir l’armée remplacée par des milices. Il y aurait à cela, il faut le reconnaître, une économie de 287 260 fr. Mais c’est tout l’avantage, car le service de trois ans supprimé serait remplacé sans doute par l’éducation militaire théorique et pratique des jeunes gens, et l’entretien de cet enseignement parmi les milices durerait toujours pour ceux qui en feraient partie. L’esprit militariste ne serait guère amoindri. D’ailleurs, les milices belges n’ont-elles pas tiré sur les grévistes et les manifestants qui réclamaient le suffrage universel ? Les milices suisses n’ont-elles pas fait de même contre les grévistes, employés de tramways et autres ? »
Le Manuel du soldat se termine par une série d’exhortations :
« Désertez, ne tirez pas, ne soyez pas fratricides, révoltez-vous ! Eh bien, camarades, votre raison doit vous interdire de tuer d’autres hommes, vos semblables. […] Votre conscience de travailleurs vous défend de tirer sur d’autres travailleurs. »
Arrivé au bout de cette brochure, le lecteur d’aujourd’hui sent que le cœur n’y est plus. Il ne reste plus à Yvetot, qui paiera par de nombreux séjours en prison le prix de ses écrits, de déclarer avant d’autres et plus tardivement :
« Il n’y a que les travailleurs qui peuvent imposer la paix. Puissions-nous enfin avoir démontré que le salut est en nous ! »

11. La violence révolutionnaire

Il est sûr que notre questionnement et nos convictions remettent en cause des certitudes militantes quant aux diverses formes de violence jamais ou si peu questionnées.
Certains de nos ancêtres ont longtemps vécu avec l’idée que la terre était plate (n’était-ce pas évident ?). Puis, grâce à une meilleure connaissance du monde qui nous entoure, on en est venu à se dire que l’on n’avait pas raison. Mais, plate ou ronde, cela ne changeait en rien l’identité des Terriens.
Certains comparent la révolution à un enfantement ; nous voulons bien reprendre cette image et rappeler que les femmes jusqu’à il y a peu étaient condamnées par le diktat biblique et par l’usage commun à « enfanter dans la douleur ». Cependant, certains se sont efforcés de rendre moins pénible, sinon sans souffrances, cet accouchement. La nouvelle manière tendait à adoucir le travail.
Et, en quelque sorte, c’est vers quoi nous voulons aller quand nous proposons une désobéissance non-violente qui, cependant, n’évitera nullement les affrontements − donc souffrances et douleurs − avec les pouvoirs.
Il n’est pas faux de dire que la violence révolutionnaire est une conséquence inévitable de la violence structurelle de la société hiérarchique qui nous opprime. Mais nous dirons que c’est inévitable quand on ne trouve pas d’autres moyens. Si la violence révolutionnaire peut être une réponse à l’oppression, nous demandons d’analyser toutes les conséquences de cette violence-là.
Et comme nous ne sommes pas dogmatiques, nous ne disons pas que nos solutions réussiront à cent pour cent, seulement qu’elles peuvent éviter certaines retombées catastrophiques.
Se poser des questions, essayer de refaire une histoire qui a mal tourné, ruminer ce passé qui est le nôtre, c’est pourtant ce qu’a fait, quoique très brièvement, l’anarchiste Louis Lecoin au détour d’une page de son autobiographie :
« Maintenant que nous savons que ni la FAI ni la CNT, alliées par la suite aux antifascistes de différentes nuances, ne purent empêcher les hordes franquistes de triompher à la longue, j’en suis à me demander s’il n’eût pas été souhaitable que Franco l’emportât sans coup férir.
« Son triomphe n’eût été qu’éphémère, le temps seulement d’empêcher Hitler et Staline de s’en mêler.
« Toute l’Espagne du progrès restait ainsi disponible, et sa revanche ne pouvait tarder. « Des milliers de militants et l’avenir du syndicalisme libertaire n’eussent point succombé dans les batailles avec tant d’autres combattants sincèrement antifascistes. Cottin et Berneri ne seraient pas morts ! Ne seraient pas morts non plus Ascaso, Durruti. »
Non, il n’y a pas là une expression de désespoir et de démission. Ce serait très mal connaître cet homme qui a milité jusqu’à son dernier jour. Il faudrait sans doute mieux tenir compte de son propos et ne pas botter en touche en expédiant trop vite son point de vue. Nous avions simplement noté une réflexion d’un militant actif, aguerri qui n’a jamais prétendu être non-violent et qui a souffert de ne pas voir mieux ses espoirs aboutir.
Oui, s’exposer à l’ennemi sur son propre terrain avec les mêmes armes que lui, affronter des professionnels de la violence armée, n’était-ce pas partir déjà battus ?

Louis Lecoin, Le Cours d’une vie, 1965 (disponible à l’Union pacifiste de France).

Et, de nos jours, nous pouvons nous demander si ce sont des raisons d’efficacité qui ont amené l’IRA, l’ETA, les FARC à faire leurs adieux aux armes ?

12. S’insurger

Effectivement, les uns après les autres ces mouvements de guérilla ont déposé leurs armes. Ils formaient les derniers feux des mouvements de libération nationale qui virent pour la plupart le jour au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.
Il y eut dans certains pays développés des mouvements insurrectionnels non nationalistes qui amenèrent les pouvoirs à justifier un développement accéléré des moyens de répression. Ce fut les Brigades rouges en Italie, la bande à Baader en Allemagne, Action directe en France, le MIL entre France et Espagne, les GRAPO dans ce dernier pays, les Weathermen aux Etats Unis etc. Avec quelques autres ils reçurent le nom d’« opposition armée ». Ces groupes produisirent nombre d’écrits qui marquèrent profondément la génération post-68.
Malgré leurs échecs, ils ravivèrent l’espérance révolutionnaire armée.

http://revueperiode.net/guide-de-lecture-la-lutte-armee-en-france-et-en-europe/

Les organisations nationalistes telles que l’IRA, l’ETA, le FLNC, l’OLP, l’ANC déposèrent les armes les unes après les autres reconnaissant que les temps étaient passés. Dans les faits, le monde s’était globalisé. Leur discours avait perdu son sens. Les guérillas ne perdurèrent que dans des pays où l’emprise du capitalisme transnational était encore faible. Elles s’inscrivaient dans l’héritage du foquisme cher à Ernesto Guevara.
En revanche, il faut reconnaître au soulèvement zapatiste du Chiapas une compréhension élevée de leur situation. Le passage d’un mouvement guévariste marxiste-léniniste à une fusion avec les communautés indiennes vers une auto-organisation est unique dans l’histoire des guérillas. Jérôme Baschet dans une interview décrit ainsi la situation actuelle :
« On peut donc parler de sécession, mais aussi de destitution, au sens de ce qui rend le pouvoir inutile. De fait, dans leurs territoires, les zapatistes ont œuvré – c’est-à-dire lutté durement – pour rendre les institutions mexicaines parfaitement inutiles (même si, comme on l’a vu, celles-ci ne se laissent évidemment pas faire). La destitution suppose donc la résistance, la lutte contre, mais aussi un art de faire croître des formes d’organisation propres, pour que puissent se déployer les manières de vivre que les gens considèrent leurs ».
Tous les groupes précédemment cités fonctionnaient avec l’espoir plus ou moins avoué de former l’avant-garde de la révolution. L’écroulement de l’URSS et de l’idéologie marxiste-léniniste dans les années qui suivent marque la fin de cette conception du combat révolutionnaire. Pour autant, l’espérance insurrectionnelle armée continue d’exister dans certaines parties du monde, comme on le voit avec les Kurdes du PKK dans le Rojava, même si la pratique insurrectionnelle islamiste a fortement brouillé les cartes.
Entre-temps, les préoccupations environnementales ont donné naissance à des manifestations de masse. Partout, ces mouvements empruntent leurs façons de faire aux mouvements de lutte non-violents en faveur des droits civiques aux États-Unis d’où émergea Martin Luther King, un pasteur noir protestant.
Il se réclamait du satyagraha, l’action politique incarnée par Gandhi. Le fait que tous les deux aient été assassinés montre, s’il en était besoin, que la non-violence n’est pas sans danger ; le courage qu’elle affiche n’est pour autant pas une garantie que la partie adverse n’utilisera pas la totalité de ses outils de répression. Car la non-violence, quelle que soit son expression : individuelle, comme sur la place Taksim, le 17 juin 2013, à Istanbul quand le chorégraphe Erdem Gunduz, « l’homme à l’arrêt » est resté seul, debout pendant des heures pour protester contre la dictature d’Erdogan, ou collective quand il s’agit d’occuper une mine de lignite en Allemagne en août 2017, remet en cause profondément l’exercice du pouvoir. Ceci est alors insupportable pour ceux qui sont aux commandes.

13. Boycotter

Le boycott est une façon d’éviter le danger direct de la répression, une façon de lutter utilisé par des groupes politiques, des syndicats, mais également par un individu tout seul.
Il est certain que le boycott donne à l’individu une liberté d’agir, l’ouvre à des initiatives ; dans le boycott, l’individu ne s’efface pas derrière un collectif, derrière une organisation, il s’en affranchit ; pour autant, il est de la plus grande évidence que le succès dépend de son articulation avec le collectif. On ne réussit pas seul ; néanmoins, le boycott demeure un acte individuel qui se valorise au sein d’un collectif même quand il ne reste qu’« un choix silencieux, effectué seul, dans l’allée bondée d’un supermarché » ; le boycott peut être un acte minimal. Il n’empêche, comme l’écrit Gandhi en 1920, qu’« un boycott pratiqué par une poignée d’hommes revient à frapper un éléphant avec un fétu de paille ».
Le boycott redonne à la base une marge de manœuvre en se détournant des directives de l’organisation politique ou syndicale trop encombrée du passé militant ; l’individu l’emporte ainsi sur une quelconque hiérarchie. Si un dirigeant syndical peut, sans doute, arrêter une grève, en aucun cas il n’a le pouvoir d’arrêter un boycott ; avec le boycott, on se trouve devant une façon d’agir par en bas, une manière de faire aux perspectives ouvertes et qui ne repose pas sur une verticalité structurée, sur un encadrement autoritaire, sur une discipline obligatoire ; rien n’est demandé à qui entre en boycott, même pas un engagement physique à risques ; l’adhésion au boycott n’implique donc aucune astreinte ; chacun s’engage selon ses possibilités, selon ses forces, et choisit sa façon de s’impliquer.
Et comme l’écrivent Eyal Sivan et Armelle Laborie dans Un boycott légitime :
« Avec trois lettres pour seule identité visuelle et des directives d’action accessibles à tous, le BDS [Boycott, désinvestissement, sanctions] est un label mondialement connu qui fonctionne sans organisation centralisée, sans organigramme ni chef. » Cet engagement individuel serait la caractéristique d’un « nouveau militantisme » horizontal, antibureaucratique et antihiérarchique qui se concrétise autour de projets éphémères et immédiats ; le boycott, par une action économique, mais pas seulement, peut retrouver un pouvoir que l’action politique a dévoyé, créant une désaffection caractérisée envers les démocraties représentatives occidentales qui se manifeste clairement dans l’abstentionnisme électoral ; le boycott cherche ainsi  d’autres voies. Le boycott, généralement, déplace le conflit du lieu de production vers le lieu de la consommation car, le capitalisme étant maintenant largement mondialisé et le prolétariat fortement atomisé, le combat du prolétaire se doit d’envisager de lutter autrement ; ainsi la lutte des classes prendra-t-elle d’autres formes. Il faut bien constater que, de par le monde, toutes les grandes aspirations sociales se voulant émancipatrices et qui ont accédé au pouvoir étatique ont échoué à concrétiser leur projet ; une nouvelle manière de faire se présente, nouvelle dans la mesure où on connaît de mieux en mieux ses ressorts et, maintenant qu’on l’a nommée et analysée, on la maîtrise davantage. Ainsi se dessine entre les producteurs, d’une part, et les consommateurs et usagers, d’autre part, une possible entente pour la construction d’un moyen de pression appuyé par l’ensemble des citoyens.
Allons-nous assister dans les temps à venir à la formation d’un contre-pouvoir mondialisé de la société civile ? Le boycott, mode d’action postindustriel, remplacerait – ou bien accompagnerait – la grève, mode d’action industriel car, si le capitaliste peut licencier sans trop de souci les producteurs salariés, les multinationales ne peuvent pas licencier les consommateurs.
Si nous ne savons pas toujours ce qu’il faut faire, nous portons presque toujours en nous la certitude de ce qu’il ne faut pas faire, qu’il y a ainsi des limites que l’on ne peut franchir, autrement dit que l’individu recherche dans sa vie, plus ou moins consciemment, une cohérence.

14. Cohérence

C’est cette recherche qui me pousse à toujours aller plus loin dans la compréhension de ce monde qui semble bouger de plus en plus vite. Au départ, il y a bien des années, la cohérence n’était pas un souci. Il y avait d’abord un désir, celui d’être entier, vivant, fidèle à un passé. Aujourd’hui domine le refus de me laisser emporter par le courant. Pour alimenter cette résistance je ne peux me satisfaire d’écrits, d’ouvrages qui me sont sympathiques et ils sont nombreux. S’ils m’apportent des éléments, des briques qui me sont utiles, ils ne remettent pas en questions mes positions. En me confrontant, en analysant, en critiquant des écrits de gens qui semblent apparemment proches je me renforce et j’éclairci des choses qui pouvaient me sembler allant de soi. C’est ce qui s’est passé en découvrant un certain nombre de textes en provenance des Etats-Unis, mais pas seulement. L’homme qui fait référence dans le domaine de la critique libertaire de la non-violence a pour nom Peter Gelderloos. Hors la critique de cette forme d’action, vue comme une idéologie, tous ces textes et auteurs reconnaissent la validité de l’action directe non-violente et la nécessité de la reconnaître comme un des moyens de luttes légitimes au même titre que la violence, armée ou pas. Illustrant cette problématique, dans un autre texte, il est possible de faire le parallèle entre le bris de vitrines au cours de manifestations ouvrières et le démontage d’un magasin McDonald le 12 août 1999 à Millau. Je crois que nous avons là tous les éléments qui peuvent nous aider à répondre à cette possible alliance.
Il est clair que pas plus la vitrine brisée que ce McDo de Millau n’ont souffert. Pourtant des différences notables se font jour quand on observe de près les choses. L’édifice a été démonté, la vitrine ou le distributeur de monnaie ont été cassés. Ceux qui ont démonté l’édifice, certains parlent de son saccage, l’ont fait aux yeux de tous, publiquement et comme José Bové, l’ont revendiqué. Ceux qui ont cassé les vitrines se sont dissimulés, se sont éparpillés, restent inconnus. Une vitrine a par ailleurs un statut spécial. Elle est transparente. Elle laisse voir. La casser, brise ce fait. Le bris de vitrine fait peur à ceux qui l’observent, le regardent, en prennent connaissance. Ceux qui le font expriment une colère tout à fait justifiée, mais masqués, casqués, noirs souvent, ils font peur. Dans un texte publié après la manifestation du 1er mai 2018 on trouve ces mots : « … comme si le fait de casser en nombre des vitrines égalait un but marqué par son équipe de foot préférée ». Alors au lieu de les casser pourquoi ne pas les masquer, les boucher ? Qu’elles ne soient plus transparentes !
Donc nous voyons ici que dans ce cas, dans la société telle qu’elle est aujourd’hui, il y a plus qu’une opposition mais une contradiction dans cette façon de faire. Quand une action est lancée il importe de se demander comment elle va être reçue. On peut très bien ne pas être d’accord avec le démontage ou bien le fauchage d’OGM mais cela ne fait pas peur. Cela peut être même une marque de fierté. Un socle pour rebondir.
Une action directe non-violente n’a pas besoin d’une infrastructure particulière pour avoir lieu. Rappelons-nous l’homme, debout, sur la place Taksim en Turquie. La désobéissance civile est possible par tout le monde, quel que soit l’âge, le sexe, etc. Pour s’attaquer aux vitrines, aux policiers, aux forces de sécurité quelles qu’elles soient il faut au contraire force, entrainement à la violence et autres qualités qui sont gages de réussites. Ces deux types d’attitudes illustrent aussi des choix de société à venir différents si ce n’est divergent. La pièce de théâtre « Ça ira (1) Fin de Louis » de J ; Pommerat montre la conversion des hommes armés qui mirent la monarchie à bas en police politique.
Il est clair qu’actions directes non-violentes peuvent coexister avec des actions violentes. Rappelons-nous qu’elles sont contradictoires non seulement dans les faits mais aussi dans les fins. Un acte non-violent qui n’aboutit pas peut trouver son sens en lui-même, un acte violent sans lendemain positif est un échec.

Textes d’André Bernard et de Pierre Sommermeyer écrits en alternative.

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