L’antimilitarisme en débat

Chronique radiophonique
du lundi 3 décembre 2018 lors de l’émission Achaïra sur la Clé des ondes à Bordeaux

Ce sont là les premiers éléments d’une discussion publique organisée par la Libre Pensée de Haute-Vienne et qui a eu lieu à Limoges le 14 novembre 2018. Une publication donnant l’ensemble des débats devrait paraître.

*  *  *  *

L’antimilitarisme, nous dit le Petit Larousse, c’est « l’hostilité de principe à l’égard des institutions et de l’esprit militaires ».

– L’esprit militaire, c’est essentiellement le conditionnement à la discipline et à l’obéissance. On suivra donc le conseil de La Boétie qui écrit : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. »
– L’institution militaire, c’est l’armée, aux ordres du capitalisme (exploiteur) et de l’État (dominateur) qui, lui, détient le monopole de la violence.
D’où la question : est-ce qu’on peut être antimilitariste sans être antiétatiste ?

« La guerre, nous dit Pierre Ramus, c’est une violence de masse contre une violence de masse. [C’est] le combat d’une collectivité contre une autre, combat organisé depuis un centre qui le dirige consciemment. Et ce signe n’apparaît [dans l’Histoire] que tardivement ; il se développe en même temps que le pouvoir organisé apparaît au sein de la communauté sociale : ce pouvoir, c’est l’État. C’est seulement avec lui qu’apparaît ce que nous nommons le militarisme, et c’est seulement le militarisme et uniquement le militarisme qui peut produire la guerre. »

En France, actuellement, est-ce que nous sommes en paix ?
Non ! L’État et le capitalisme, appuyés par l’armée et la police, nous imposent une « violence structurelle » contre laquelle, par différents moyens, luttent les classes dominées et exploitées.
Par ailleurs, la France est actuellement en guerre, ou c’est tout comme, dans plusieurs pays du monde (au Mali, en Syrie, à Djibouti, au Sénégal, au Gabon, aux Émirats arabes unis, etc.).
Que penser des ouvriers français qui fabriquent du matériel de guerre utilisé contre d’autres peuples ?
À ceux qui affirment spontanément : « Il faut bien se défendre quand on est attaqués » on peut leur demander ce que doivent faire les civils bombardés par la France.
D’autres demanderont, de façon automatique : que faire si on attaque votre mère, vos enfants, etc.? Il serait bien, sans doute, d’être tous armés d’un colt, comme le préconisent certains Américains.
On peut rire ! Mais, si nous voulons la paix, nous voulons aussi changer la société.

Et notre démarche actuelle va dans le sens d’une décolonisation de nos imaginaires encombrés par la violence armée, même quand elle ne se veut qu’une « contreviolence » légitime.
Quelques-uns d’entre nous ont été des « traîtres » à la patrie ; on nous accusera également d’être des « traîtres » à notre passé révolutionnaire. Et, pourtant, nous voulons changer le monde… par l’action non-violente. Non-violence, terme inapproprié, sans doute mal nommé, qui risque, comme l’écrit Camus, d’« ajouter au malheur du monde ».

Nous nous souvenons des groupuscules violents (et que nous n’avons pas soutenus) : Action directe française, Brigades rouges italiennes, Fraction armée rouge allemande, etc.
Mais, maintenant, il serait temps de mieux comprendre pourquoi des groupements armés d’importance : ETA basque, FARC colombiennes, IRA irlandaise, etc., ont plus ou moins abandonné la lutte armée.

Autre exemple encore plus intéressant : après l’insurrection armée du 1er janvier 1994, les guérilleros zapatistes, qui occupèrent en grand nombre plusieurs villes, se sont retirés dans les montagnes et ont ensuite lancé le processus de construction de l’autonomie du pays qui, selon de nombreux analystes, représente aujourd’hui un exemple pratique pour un « autre monde possible ».
Deux raisons avancées pour mettre bas les armes : la demande de négociation de la part du gouvernement, d’une part ; de l’autre, la demande du peuple chiapanèque lui-même d’arrêter les combats ; ce que firent les guérilleros zapatistes ; un de leurs mots d’ordre étant de « commander en obéissant au peuple ». Des armes ont toutefois été gardées prêtes à servir en cas de légitime défense.
Dans Pistes zapatistes (600 pages), nous avons relevé une seule fois le terme de « désobéissance », avec la nécessité de « s’organiser » ; et l’affirmation du sous-commandant Marcos qu’à un moment ou à un autre il faudrait supprimer l’armée zapatiste.

D’accord, me direz-vous, mais tout ça, ce n’est pas de la non-violence.
C’est sûr ! La non-violence n’est surtout pas le contraire de la violence.
Il semble que la non-violence ne puisse être comprise que par rapport aux formes innombrables de la violence : structurelle, défensive (légitime défense), historique (accoucheuse de l’Histoire), cathartique (comme purgation), révélatrice (de la violence du pouvoir), violence populaire, violence sacrificielle et mystique, millénariste, exaltée, symbolique comme la publicité sexiste contre les femmes, violence des faibles, etc.
Est-ce qu’il y a violence quand il y a souffrance physique de l’être humain ?
Est-ce que briser une vitrine peut être considéré comme un acte non-violent parce que la vitrine ne souffre pas ? Entre en jeu, à ce niveau, l’intérêt, ou pas, de tenir compte de l’opinion publique…
Sur un axe imaginaire qui va de la violence à la non-violence, on trouvera une zone « sans violence » qui n’est pas pour autant de la non-violence.
Et sans doute est-ce là qu’il faut chercher ce que nous nommons la « non-violence » et qui se décline en de multiples formes d’action : non-coopération (exemple norvégien), boycott (actuel au Maroc, BDS contre Israël), sabotage « doux », désobéissances diverses, refus de l’impôt, sit-in, objection de conscience, grèves en tout genre, etc. Il en est d’autres. Soyons créatifs !
Pour certains militants, de plus en plus nombreux, il ne s’agit plus de prendre le pouvoir politique par les armes ou par les urnes ; il s’agit d’organiser la société par d’autres moyens. Certains ont déjà commencé (comme les Chiapanèques). Une créativité sociale est née en plusieurs endroits du monde : villages en Espagne et en France, Rojava, dans les ZAD et autres squats, etc. Chaque jour, nous apprenons la création d’initiatives, sans doute de moindre importance mais qui disent en actes qu’il faut changer la vie.

Il s’agit, seul, d’aller puiser sa force au fond de son ventre et d’agir collectivement…

♦♦ ♦♦

Ce contenu a été publié dans Antimilitarisme, Boycott, Chroniques 2018, Non-violence, Pratiques. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *