Désobéissance dans le rail

Sur la Clé des ondes
lors de l’émission Achaïra
du 2 mai 2022
et dans Réfractions
numéro de mai 2022

Illégales, mais légitimes

Dans le rail, à la SNCF, le saviez-vous ? « tout agent […] doit obéissance passive aux signaux » ; c’est une règle d’ailleurs parfaitement admise qui permet la vie collective et la sécurité de tous, règle qui cohabite avec diverses instructions et consignes tout autant nécessaires. Par exemple, la nécessité de porter une marque distinctive, ou un uniforme, afin que l’usager sache qui est de la SNCF ou ne l’est pas, notamment pour donner le signal du départ des trains, etc. Toutefois, pour quelques esprits libres, ne pas accepter certains règlements injustifiés ou dangereux peut s’avérer parfaitement légitime.

C’est ce que développe, quoique brièvement, Christian Mahieux – syndicaliste à SUD-Rail – dans Désobéissances ferroviaires, texte riche d’exemples ; l’action étant « toujours liée à une organisation collective et à une pratique de masse », sans négliger pour autant « les initiatives minoritaires, voire individuelles ».
En remontant dans le temps, il cite le 11 avril 1871 quand les ouvriers d’un atelier de Périgueux, solidaires de la Commune, bloquèrent les wagons dirigés vers Paris et chargés de canons.
Mais, en tout premier, la plus courante des action de désobéissance, c’est la classique grève ouvrière qui fait pression sur une hiérarchie exploitant la force de travail des salariés. La grève ouvrière peut se décliner en grève du zèle ou « obstructionnisme » qui consiste à appliquer avec un soin scrupuleux, jusqu’à l’absurde, les différents règlements.
Le sabotage, lui, c’est le cran supérieur, il entre dans l’illégalité, mais, pour ces syndicalistes, il ne s’agit pas de « casser tout et n’importe quoi ». C’est pour cela, quant à nous, que le terme de « sabotage doux » sera préféré, et c’est Eugène Guérard qui écrit vers 1895 : « Avec deux sous d’une certaine matière, utilisée à bon escient, il nous est possible de mettre une locomotive dans l’impossibilité de fonctionner. »
En 1910, avec la mobilisation militaire de tous les cheminots de moins de 61 ans et l’occupation des gares par la troupe, la pratique du sabotage s’accentue : fils électriques sectionnés, pièces retirées sur le matériel roulant, déraillements pour obstruer les voies, déboulonnements des tire-fonds, etc.
Sans doute, est-ce pendant la Résistance que seront développées toutes les pratiques de sabotage, celles déjà citées et d’autres : « détournements de wagons dans les triages, réparations et entretiens bâclés, étiquettes des directions de transport modifiées, introduction de sable dans les boîtes à huile, un petit trou dans des citernes qui arrivaient vides à destination, incendie de wagons de fourrage, etc.
Et c’est à ce moment qu’apparaît le mot « terroriste » pour qualifier ces actions.
C’est en 1947, avec deux grandes grèves nationales à la SNCF, que l’on constate un durcissement des revendications, cela après une nouvelle réduction de la ration de pain. Sont exigées, entre autres, l’augmentation des salaires et la refonte de la grille syndicale. Là encore, diverses pratiques d’action comme l’occupation des gares et des standards téléphoniques, mais aussi des actions de sabotage : disparition de « robinets de frein », de clés diverses, rails déboulonnés, signaux restés ouverts, etc. ; un déraillements fera seize morts. Les sanctions pleuvent. L’action s’est donc dramatisée : à Valence, on compte trois morts tués par les gendarmes.
Pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), les gares furent les lieux publics par excellence où se déroulèrent, pour les appelés, des actions de refus de partir au combat colonial. Si ces jeunes souhaitaient la solidarité des usagers, ils ne se trouvèrent en général que devant une certaine indifférence. C’est en avion que la plupart furent embarqués.
En 1997, l’Algérie connaît une période de guerre civile. Nombre d’Algériens cherchent refuge en France ; ce qui leur est refusé par le gouvernement de la gauche plurielle. Autour de SUD-Rail, dans les gares, les aéroports et les ports maritimes sont menées des actions de soutien contre les expulsions.
Et puis ce petit livre nous expose d’autres cas de désobéissance : le refus de la veille automatique pour le conducteur du train quand il se voit privé d’un deuxième conducteur ; la grève de la pince : les contrôleurs rempliront leurs missions de sécurité, de renseignement, etc., mais « ne demanderont pas de titre de transport » ; la grève de l’astreinte contre l’obligation d’être disponible pendant les jours de repos et… la grève des réservations.
« Nous enlevons les rails parce que nous refusons que le train privé pille le service public ferroviaire », c’est le titre d’un tract qui développe une idée : « Face au capitalisme qui détruit : résistance et désobéissance civile. » En effet, il faut agir par des actions certes illégales mais légitimes : « Nous ne prônons pas l’action violente, minoritaire, irréfléchie, mais la résistance collective. »

Vocabulaire
 Résistance passive » est une expression reprise ici et qui se retrouve régulièrement dans les textes syndicaux et autres autour de 1900 ; il va de soi que cette expression est plus que dépassée, car chargée de passivité et non d’action.Le mot de « non-violence » n’apparaît pas, bien que les différentes actions de désobéissance soient, de notre point de vue, des déclinaisons de l’action non-violente. À la réflexion, c’est compréhensible, les actions violentes (c’est-à-dire physiquement contre les personnes) ne sont pas toujours jugées opportunes chez la plupart des ouvriers d’âge mûr. Ce comportement circonspect et de retenue avait déjà été observé lors du conflit du Parisien libéré à la fin des années 1970 ; longue grève de près de deux ans pourtant riche en actions diverses et musclées.
Quant au mot « libertaires », s’il est cité plusieurs fois, le mot « anarchie », lui, est curieusement remplacé dans la célèbre expression d’Élisée Reclus :
« ‘‘L’absence d’autorité’’ est la plus haute expression de l’ordre. »

Christian Mahieux, Désobéissances ferroviaires,
Syllepse, 2022, 96 p.

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