2021 De nouveaux refuzniks en Israël

7 janvier 2021

Soixante lycéens et lycéennes israéliens signent une lettre refusant leur conscription obligatoire dans l’armée israélienne : « La politique sioniste de violence brutale envers les Palestiniens et d’expulsion de leurs maisons et de leurs terres a commencé en 1948 et n’a pas cessé depuis. »

Lettre

Nous sommes un groupe d’Israéliens et d’Israéliennes de 18 ans, à la croisée des chemins. L’État israélien demande notre conscription dans l’armée. Elle est censée être une force de défense supposée sauvegarder l’existence de l’État d’Israël. En réalité, l’objectif de l’armée israélienne n’est pas de se défendre des armées hostiles, mais d’exercer son contrôle sur une population civile. En d’autres termes, notre engagement dans l’armée israélienne a un contexte politique et des implications. Il a des implications, d’abord et avant tout, sur les vies des Palestiniens qui ont vécu sous une violente occupation depuis 72 ans. De fait, la politique sioniste de violence brutale envers les Palestiniens et d’expulsion de leurs maisons et de leurs terres a commencé en 1948 et n’a pas cessé depuis. L’occupation empoisonne aussi la société israélienne elle est violente, militariste, oppressive et chauvine. Il est de notre devoir de nous opposer à cette réalité destructrice en unifiant nos luttes et en refusant de servir ces systèmes violents et tout d’abord le premier d’entre eux, l’armée. Notre refus de nous engager dans l’armée n’est pas l’acte de tourner notre dos à la société israélienne. Au contraire, notre refus est un acte témoignant de notre prise de responsabilité sur nos actions et leurs répercussions.

L’armée ne fait pas que servir l’occupation, elle est l’occupation. Pilotes, unités de renseignements, employés administratifs, soldats au front, tous exécutent l’occupation. L’un la fait avec un clavier, l’autre avec une mitrailleuse à un checkpoint. Malgré tout cela, nous avons grandi dans l’ombre de l’idéal symbolique du soldat héroïque. Nous avons préparé des paniers de nourriture pour lui pendant les grandes vacances, nous avons visité le tank dans lequel il a combattu, nous avons prétendu que nous étions lui dans les programmes pré-militaires du lycée et nous avons honoré sa mort lors de la journée de commémoration. Le fait que nous sommes tous accoutumés à cette réalité ne la rend pas apolitique. La conscription, tout comme le refus, est un acte politique.

Nous avons l’habitude d’entendre qu’il n’est légitime de critiquer l’occupation que si nous avons pris une part active dans son application. Comment ferait-il sens que pour protester contre la violence et le racisme systémiques nous devions d’abord faire partie du système d’oppression même que nous critiquons ?

Le chemin sur lequel nous nous engageons dès l’enfance, celui d’une éducation enseignant la violence et la revendication sur le pays, atteint son point culminant à l’âge de 18 ans, avec l’engagement dans l’armée. Nous avons l’ordre d’endosser un uniforme militaire tâché de sang et de préserver l’héritage de la Nakba et de l’occupation. La société israélienne a été construite sur ces racines pourries et cela est apparent dans toutes les facettes de la vie : dans le racisme, le haineux discours politique, la brutalité policière et bien d’autres choses.

Cette oppression militaire va main dans la main avec l’oppression économique. Alors que les citoyens des Territoires palestiniens occupés sont appauvris, les élites fortunées deviennent encore plus riches à leurs dépens. Les travailleurs palestiniens sont systématiquement exploités et l’industrie des armes utilise les Territoires palestiniens occupés comme banc d’essai et comme vitrine pour stimuler ses ventes. Quand le gouvernement choisit de soutenir l’occupation, il agit contre notre intérêt en tant que citoyens de larges portions de l’argent de nos impôts finance l’industrie dite « de sécurité » et le développement des colonies au lieu de notre bien-être, de notre éducation et de notre santé.

L’armée est une institution violente, corrompue et corruptrice jusqu’au cœur. Mais son pire crime est de renforcer la politique destructrice de l’occupation de la Palestine. Des jeunes gens de notre âge sont obligés de prendre part au renforcement des clôtures comme moyens de « punition collective », à l’arrestation et à l’emprisonnement de mineurs, au chantage pour recruter des « collaborateurs » et plus encore toutes ces choses sont des crimes de guerre qui sont exécutés et couverts chaque jour. La domination militaire violente dans les Territoires palestiniens occupés est imposée par des politiques d’apartheid impliquant deux systèmes juridiques différents : un pour les Palestiniens et l’autre pour les juifs. Les Palestiniens sont constamment confrontés à des mesures non démocratiques et violentes, alors que les colons juifs qui commettent des crimes violents d’abord et avant tout contre des Palestiniens mais aussi contre des soldats sont « récompensés » par l’armée israélienne, qui ferme les yeux et couvre ces transgressions. L’armée a appliqué un siège sur Gaza depuis plus de dix ans. Ce siège a créé une crise humanitaire massive dans la Bande de Gaza et est l’un des principaux facteurs qui perpétue le cycle de violence d’Israël et du Hamas. À cause du siège, il n’y a ni eau potable ni électricité à Gaza pendant la plus grande partie de la journée. Le chômage et la pauvreté sont généralisés et le système de santé manque des moyens les plus basiques. Cette réalité est le fondement au-dessus duquel le désastre du Covid-19 n’a fait qu’empirer la situation à Gaza.

Il est important de souligner que ces injustices ne sont pas des dérapages ou des écarts isolés. Ces injustices ne sont pas une erreur ou un symptôme, ils sont la politique et la maladie elles-mêmes. Les actions de l’armée israélienne en 2020 ne sont rien d’autre que la continuation et le maintien de l’héritage du massacre, de l’expulsion des familles et des vols de terres, l’héritage qui a « rendu possible » l’établissement de l’État d’Israël, comme État démocratique légitime, pour juifs seulement.

Historiquement, l’armée a été perçue comme un outil qui servait la politique du « melting pot », une institution qui traversait les divisions de classes sociales et de genre dans la société israélienne. Mais cela ne pourrait pas être plus loin de la vérité. L’armée met en œuvre un programme clair de « canalisation » ; les soldats issus de la classe moyenne supérieure sont dirigés vers des positions dotées de perspectives économiques et civiles, tandis que les soldats issus de milieux socioéconomiques inférieurs sont dirigés vers des positions à haut risque mental et physique et qui ne leur fournissent pas le même tremplin vers la société civile. Simultanément, la représentation des femmes dans des positions violentes, comme pilotes, commandantes de tanks, soldates et agentes de renseignement, est commercialisée comme une réalisation féministe. Comment ferait-il sens que le combat contre l’inégalité de genre soit réalisé par l’oppression des Palestiniennes ? Ces « réalisations » éludent la solidarité avec la lutte des Palestiniennes. L’armée cimente ces relations de pouvoir et l’oppression des communautés marginalisées en cooptant cyniquement leurs luttes.

Nous appelons les lycéens et lycéennes de notre âge à se demander : que servons-nous et qui servons-nous quand nous nous engageons dans l’armée ? Pourquoi nous engageons-nous ? Quelle réalité créons-nous en servant dans cette armée d’occupation ? Nous voulons la paix et la paix réelle exige la justice. La justice exige la reconnaissance des injustices passées et présentes et de la Nakba, qui se poursuit. La justice exige une réforme : la fin de l’occupation, la fin du siège de Gaza et la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens. La justice demande la solidarité, la lutte commune et le refus.

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