Carola la désobéissante

Publié dans Chroniques Noir & Rouge,
n° 5, mai 2021

Capitaine et désobéissante

En tant que responsable de navigation, Carola Rackete a effectué des missions tant dans l’Arctique que dans l’Antarctique, ainsi que des expéditions dans certaines forêts primaires, cela avec des scientifiques. Elle constate que malgré les rapports adressés aux politiques, ces derniers n’en tiennent aucun compte. Écologiste avertie de la destruction de la planète, elle constate encore que la responsabilité en incombe au « système économique fondé sur la croissance », un modèle de développement bénéfique à une petite partie de l’humanité, catastrophique pour le reste qui ne voit comme solution, pour survivre, que l’émigration, et qui se réfugie, « chez nous », en Europe.

« Si les élections changeaient réellement quelque chose, elles seraient interdites » ; c’est une citation relevée par Carola Rackete dans son livre, mais, pour autant, ça n’en fait pas une abstentionniste et, si elle est devenue célèbre, c’est par un acte de désobéissance civile.
Abstentionniste, non, puisqu’elle écrit : « Nous devons engager les gouvernements à agir pour le bien de tous. » Mais elle constate que « la puissance de l’alliance entre la politique et l’économie et la manière dont, ensemble, elles déjouent toute action adaptée à la situation deviennent ici manifestes ».
Cependant, elle ouvre une perspective : « Les élections ne sont pas la seule voie possible pour faire participer les citoyens à la prise de décision politique dans le cadre d’un système démocratique. »
Le 29 juin 2019, à seule fin de sauvegarder la vie d’une quarantaine de migrants, à bord du Sea-Watch 3, cette capitaine de bateau, après avoir épuisé tous les recours politiques et juridiques et être restée immobilisée deux semaines durant dans les eaux internationales, a bravé l’interdiction d’accoster son navire dans le port de Lampedusa. Cette expérience lui a permis de vivre, de très près, le problème des migrants qui ne peuvent plus rester chez eux et risquent la mort sur des embarcations de fortune. On a accusé Carola Rackete d’aide à l’émigration clandestine alors qu’il ne s’agissait pour elle que d’appliquer le « droit de la mer », de porter secours aux personnes en détresse. Déjà, l’ONG Sea-Watch avait sauvé plus de 25 000 migrants en perdition.
« Ce n’était pas un acte de violence », écrit-elle. « Le problème, c’est l’obéissance civile, pas la désobéissance civile. »
Aussi, titre-t-elle son livre : Il est temps d’agir.
« Allons donc perturber ces gouvernements dont le plus grand souci est de maintenir la croissance ! […] Allons perturber les entreprises du secteur de l’énergie qui déboisent des forêts restées intactes… ! »
« Protester et être créatifs […]. Nous devons troubler l’ordre et créer par là même la possibilité d’un monde plus juste. »
« Rien n’est plus efficace que les gens qui descendent dans la rue et qui prennent des risques pour défendre leurs droits et leur liberté. »
Une des raisons d’émigrer, c’est quand une catastrophe naturelle ou l’effondrement d’un pays amène le FMI ou la Banque mondiale à octroyer des crédits, créer des dépendances et à ouvrir la voie aux entreprises étrangères qui achètent les terres et les biens publics, créant ainsi la misère.
Hindou Oumarou Ibrahim, la préfacière de son livre, géographe et militante tchadienne, explique que, sous les effets du changement climatique – causé par la surconsommation des pays riches –, dans presque tous les pays d’Afrique, la température moyenne a augmenté de 1,5 °C, que les terres fertiles se changent en déserts, que les arbres brûlent tandis que les glaces fondent et provoquent des inondations, mais que les réserves d’eau se tarissent, que le lac Tchad, en une trentaine d’année, a perdu 90 % de sa surface, etc.
Par ailleurs, lors du premier trimestre 2019, quelque sept millions de personnes ont dû fuir leurs terres à cause des cyclones et des inondations.
« La recherche de la prospérité et de la croissance continue a depuis toujours amené les nations industrielles à exploiter les territoires et les hommes des régions pauvres du monde. À l’époque coloniale, celles-ci ont été privées de leur autonomie politique, économique et culturelle, le signe le plus visible étant le tracé arbitraire des frontières, aujourd’hui encore souvent source de conflit. L’hégémonie économique se poursuit : on introduit des monocultures qui épuisent les sols et exigent des pesticides et des engrais. Lesquels dégradent la nature du terrain et la diversité des espèces, et sont responsables d’une steppisation croissante et de la formation de déserts. L’espace de vie qui constitue la forêt disparaît, des peuples autochtones sont chassés de leur territoire. »
Oui, ce ne sont pas les migrants qui provoquent la crise, mais ils en sont les premières victimes ! C’est nous les plus gros pollueurs.
Dans nos pays tempérés, la plupart des gens n’ont pas encore pris conscience du danger de ce que les collapsologues ont nommé l’effondrement, la fin d’une civilisation qui ne serait que la fin d’un monde, mais pas la fin du monde.
Comme pour Greta Thunberg, on reprochera à Carola Rackete de faire le jeu du capitalisme vert, mais c’est elle qui écrit :
« C’est le moment où, toutes générations confondues, nous nous rendons compte que le système politique est défaillant. Où nous n’allons plus continuer à croire aux promesses de bonheur pseudo-vertes des entreprises et des multinationales. »
« Qui dit croissance, dit toujours exploitation des ressources et de la main-d’œuvre, donc dégâts écologiques et humains. »
« Nous devons agir – nous, la société civile. »
« Remettre le système en cause » est un titre de chapitre.
« Les manifestations, révoltes et révolutions que l’on a appelées le printemps arabe ont échoué dans la mesure où, tout en ayant réussi à renverser les régimes, elles n’ont pas su construire quelque chose de nouveau. »
En conclusion, nous pouvons dire avec Carola Rackete :
« Tant que nous considérerons la nature comme une marchandise et que nous appréhenderons les phénomènes naturels dans une langue technocratique, nous ne sortirons pas de ce phénomène destructeur. »

Carola Rackete, Il est temps d’agir,
L’Iconoclaste, 2020, 286 p.

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