La non-violence, ça marche !

Cueilli sur la Toile

Compte rendu du livre de E. Chenoweth et M.J. Stephan : Why civil resistance works: The strategic logic of nonviolent conflict, 2011, Columbia University Press.

Les auteurs sont deux chercheuses en sciences politiques basées, pour la première, à l’Université Harvard, et pour la seconde à l’U.S. Institute of Peace (un institut indépendant fondé par le Congrès des États-Unis). Le livre compare l’efficacité des campagnes de résistance selon qu’elles ont été principalement violentes ou principalement non-violentes, selon deux dimensions : d’une part, ces mouvements ont-ils atteint leurs objectifs ? D’autre part, ces mouvements ont-ils été suivis de gouvernements démocratiques ou dictatoriaux, et y a-t-il eu une guerre civile ? La méthode combine approche quantitative et qualitative. La première se fonde sur une base de données de 323 campagnes de résistance, entre 1900 et 2006.

Ces campagnes sont classées selon plusieurs dimensions : leur caractère principalement violent ou non-violent, le fait qu’elles aient débouché sur un succès (au regard de l’objectif affiché), un échec ou un semi-succès, et l’objectif de la campagne : changement de régime, objectif territorial (autodétermination, lutte contre une occupation étrangère, etc.) ou autre (par exemple la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud). L’approche qualitative consiste en une étude approfondie de quatre campagnes principalement non-violentes : les campagnes pour un changement de régime aux Philippines (succès) et en Birmanie (échec au moment où le livre est sorti), la première Intifada (succès partiel) et la révolution iranienne (succès dans la mesure où le changement de régime a bien eu lieu, mais qui a débouché sur une dictature). Elle fournit des éléments explicatifs de la dynamique de ces campagnes, mettant en évidence l’absence de tout déterminisme, la difficulté à prévoir l’issue de ces campagnes, ou encore à éviter dans certains contextes la dérive vers un mouvement violent. Le résultat principal de la partie quantitative est clair : les mouvements principalement non-violents atteignent deux fois plus souvent leurs objectifs que les mouvements violents. Ce ratio est encore plus élevé pour la période récente (depuis 2000). Si l’on étudie les campagnes séparément par type d’objectif, il apparaît que la supériorité des campagnes non-violentes est très élevée lorsque l’objectif est un changement de régime (environ 60 % de succès contre moins de 30 %) et lorsqu’il est comptabilisé dans la catégorie « autres » (75 % de succès contre 0 %). En cas d’objectif territorial, les deux catégories de campagne rencontrent un taux de succès similaire et faible, environ 25 %. Les auteures ne se limitent pas à établir ces corrélations qui, en soi, ne peuvent suffire à établir une causalité : on pourrait en effet penser que les campagnes sont davantage violentes lorsque la perspective d’une victoire est particulièrement mince, et que les corrélations mentionnées ci-dessus sont le signe, non d’une efficacité plus grande de la non-violence, mais du fait que les campagnes sont plus souvent non-violentes lorsque les conditions d’une victoire sont meilleures. Les auteures déploient plusieurs approches qui toutes concluent que ce n’est pas le cas et qu’il s’agit bien là d’une relation de causalité. Non seulement les campagnes non-violentes sont plus souvent couronnées de succès que les campagnes violentes, mais elles sont beaucoup plus rarement suivies d’une dictature et d’une guerre civile. Il existe bien sûr des exceptions dans les deux sens (la révolution iranienne non-violente déjà mentionnée, et la révolution violente au Costa Rica, qui a débouché, non seulement sur la démocratie, mais sur la suppression de l’armée), mais ces cas sont rares. Lorsque des groupes armés ont participé à une campagne de résistance, la probabilité d’une guerre civile dans les dix ans après la fin de la campagne en question est de 49 %, contre 27 % dans le cas contraire. Qu’est-ce qui explique cette supériorité des campagnes non-violentes ? L’explication principale avancée par les auteures réside dans la capacité de ces campagnes à élargir la mobilisation à un grand nombre de personnes. Elles montrent que la probabilité de succès d’une campagne est nettement croissante avec la part de la population qui y participe – même si, là aussi, existent quelques exceptions. Or les campagnes violentes tendent à limiter la participation aux hommes jeunes, en bonne condition physique et non rebutés par la violence – forcément une petite minorité de la population. De plus, le succès d’une campagne passe souvent par l’ouverture d’une dissidence au sein de l’État auquel cette campagne s’oppose et des forces de répression, ce qui se produit plus souvent lorsque la répression s’applique envers des manifestants non-violents que lorsqu’elle vise des militants armés qui eux-mêmes s’en prennent aux forces de répression, puisque ces dernières ont alors tendance à se serrer les coudes. Quelle leçon le mouvement écologiste en France peut-il tirer de ce livre dans le contexte actuel ? Clairement, il faut assumer le choix clair et exclusif de la non-violence. Cette dernière n’est pas irréaliste, elle est efficace, plus en tout cas plus que la violence politique. Elle n’est pas moins « radicale » que cette dernière : de nombreux exemples de campagnes non-violentes montrent une grande radicalité de la part des participants – il en faut, pour rester non-violent face à la violence des forces de répression. L’une des causes des échecs des campagnes non-violentes est d’ailleurs de se faire déborder par des actions violentes, d’où l’importance de se distinguer de ces dernières autant que possible, faute de quoi l’élargissement de la mobilisation à une part significative de la population devient impossible, diminuant ainsi massivement les chances de succès de la campagne.

Philippe Quirion
3 octobre 2019

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