Sylvia Pankhurst

Paru dans Chroniques Noir & Rouge,
n° 3,
décembre 2020

Beaucoup plus qu’une suffragette

Pour cette biographie, Marie-Hélène Dumas, qui n’est pas historienne, a principalement utilisé les propres livres que publia Sylvia Pankhurst née en Angleterre en 1882, morte à Addis-Abeba en 1960 , et qu’elle qualifie ainsi de féministe, d’anticolonialiste et de révolutionnaire ; une révolutionnaire qui prit d’abord la défense des femmes, puis très rapidement celle du monde ouvrier et de l’anticolonialisme, tout cela avec passion. Par ailleurs, elle s’engagea pour la cause irlandaise et aussi contre l’invasion de l’Éthiopie par les troupes de Mussolini. Il est à noter que Silvio Corio, son compagnon, était italien et anarchiste.
Sylvia Pankurst était « consciente de ce que les différentes formes de domination sont indissociables les unes des autres et qu’elles fonctionnent les unes avec les autres, les unes grâce aux autres, etc. », nous précise Marie-Hélène Dumas.
Dès 1914, n’étant pas pour autant pacifiste, elle prit position contre la guerre, cela à l’encontre de la plupart des suffragettes qui, par patriotisme, arrêtèrent de militer.
Ajoutons, pour compléter le portrait, que, sortie diplômée du Collège royal des arts, elle souhaitait consacrer sa vie à l’art, à la peinture, au dessin, à la décoration et qu’elle était fortement inspirée par l’œuvre de William Morris (1834-1896), tout particulièrement par Comment nous vivons, comment nous pourrions vivre. Morris qui écrivait :

« Pour la plupart des gens, le mot révolution, que nous autres socialistes sommes si souvent obligés d’employer, évoque d’affreuses images. Mais nous ne voulons pas nécessairement dire par ce mot un changement qui s’accompagne d’émeutes et de violences de toutes sortes, et encore moins un changement prémédité, qui s’accomplirait sans l’assentiment de l’opinion publique et serait le fait d’un groupe d’hommes ayant réussi, d’une manière ou d’une autre, à s’emparer provisoirement du pouvoir exécutif. Nous employons plutôt ce terme de révolution dans son sens étymologique de changement touchant les fondements de la société. »
Si Emmeline, la mère de Sylvia, fut la fondatrice du mouvement des suffragettes qui militaient pour le droit de vote des femmes, de même le furent Cristabel et Adela, ses sœurs ; mais, pour Sylvia Pankhurst, le vote n’était pas un but en soi, « uniquement un moyen d’émancipation éventuelle ».
Ses talents plastiques seront bientôt remplacés par l’écriture ; sans doute, pensait-elle, un meilleur outil de lutte contre le système. En 1911 est publié The Suffragette, 500 pages qui racontent le combat féminin de 1905 à 1910. Elle éditera également de nombreux journaux comme Women’s Dreadnought qui devint Workers’ Dreadnought ; journaux auxquels collabora le militant, poète et romancier, Claude McKay, « premier Noir à écrire pour un journal anglais ».
Elle rencontra Louise Michel, alors réfugiée à Londres, et « croyant comme elle qu’il y a assez longtemps que la finance et le pouvoir font leurs noces d’or à chaque nouveau gouvernement », écrit Marie-Hélène Dumas qui continue en notant que Sylvia Pankhurst voulait « changer le monde sans prendre le pouvoir ».
En 1912, lassée de se heurter « au mur des mentalités si lentes à évoluer », lassée du militantisme des suffragettes dirigé par des femmes privilégiées – « le vote pour les ladies » –, Sylvia Pankhurst, après des décennies de revendications sans résultats, lance dans l’East London ce qu’elle souhaite être un « mouvement de masse » animé par des travailleuses : « ouvrières, serveuses, vendeuses ou domestiques ».
« Accordez le droit de vote », hurlaient les femmes dans les manifestations ; elles résistent aux policiers qui veulent les arrêter, s’enchaînent aux grilles du parlement, lancent des pierres, brisent des vitrines, allument des incendies, etc.
Cependant, Sylvia Pankhurst resta persuadée que les mouvements de masse sont plus efficaces que les gestes individuels de violence.
La répression contre les suffragettes sera terrible ; enfermées dans l’infâme prison d’Holloway, elles se mettent en grève de la faim, de la soif et du sommeil. Elles seront nourries de force lors d’ignobles séances de gavage ; la description que rapporte Marie-Hélène Dumas en montre toute l’horreur. Sylvia Pankhurst se retrouvera de huit à douze reprises derrière les sinistres murs.
Elle fut chassée du Parti communiste anglais qu’elle avait contribué à créer ; il faut dire qu’elle avait une conception plutôt libertaire de l’action : elle voulait « penser par elle-même, agir par elle-même et parler pour elle-même », comme elle engageait toutes les femmes à le faire. Lors de son voyage en Russie, elle ne craignit pas de s’opposer directement à Lénine. Si elle était partisane des soviets, ce qu’elle préconisait ce sont les « soviets sociaux », les conseils ; aussi, pourrait-on dire qu’elle était également influencée par les « communistes de conseil ». Ainsi, dans le Dreadnought, elle publia la réponse d’Herman Gorter, à la Maladie infantile du communisme de Lénine.
En 1926, Sylvia Pankhurst publia, à Bombay, India and the Earthly Paradise (sans que le livre parut en Grande-Bretagne) ; plus de 600 pages sur la lutte menée par Gandhi pour l’indépendance de l’Inde « dans sa phase d’agitation non violente et de désobéissance civile ». Il serait intéressant d’en savoir plus…
Marie-Hélène Dumas conclut en écrivant que Sylvia Pankhurst fit partie « de la nébuleuse anarchiste et révolutionnaire européenne des années 1910-1920 ».

 

Marie-Hélène Dumas, Sylvia Pankhurst,
féministe, anticolonialiste, révolutionnaire,
Libertalia, 2019, 216 p.

 

 

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