« Non-violents, donc féministes ! »

Publié dans Casse-rôles, n° 14,
novembre 2020-février 2021

« Non-violents,
donc féministes ! »

C’est le titre du numéro 194, de mars 2020, de la revue Alternatives non-violentes, avec en couverture une peinture murale d’Isabelle Breitman, dite Zabou, qui représente Frida Kahlo ; ce numéro est presque entièrement écrit par des femmes qui « donnent leur éclairage sur les luttes féministes d’hier et d’aujourd’hui », notant que les droits des femmes reculent à travers le monde, en particulier le droit d’avorter ; ce qui permet de rappeler le Manifeste des 343 salopes 1, paru dans Le Nouvel Observateur en avril 1971.

Or les luttes non-violentes à la recherche de la cohérence entre la fin et les moyens ne sont jamais exclusives, car l’« un des principes clés de l’action directe non-violente est de permettre à chacun et chacune d’y participer d’une manière adaptée à ses attentes, ses capacités et son envie » et, en travaillant « sur tous les plans en même temps », il s’agit d’élaborer une « culture de l’égalité hommes-femmes ».
Ainsi est rappelé le propos d’Emma Goldman : « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas être dans votre révolution », l’autrice de cette citation négligeant seulement de mentionner qu’il s’agissait là d’une déclaration exprimée par une militante anarchiste.
Cohérente dans son anarchisme fut également l’exigence d’Emma Goldman qui prit ses distances avec la violence ; pareillement, c’est ce souci de cohérence qui conduit au féminisme les femmes non-violentes de cette revue, cohérence qui oblige à mettre en adéquation les idées et leur mise en pratique.
Mais on sait que les historiens, à quelques exceptions célèbres près, rendent les femmes invisibles. Il en est quasiment de même pour l’anarchisme, sauf dans ses aspects les plus violents sur lesquels par contre on braque l’éclairage. Le féminisme participait et participe encore de la même opacité ; et c’est le cas d’Hubertine Auclert (18481914), rappelle la revue, qui mit en pratique la non-coopération et la grève de l’impôt pour obtenir le droit de vote, brisant une urne et assumant son acte de désobéissance civile devant la presse et les autorités.
« Ne me libère pas, je m’en charge » est un court texte qui dénonce « une forme pernicieuse de domination-dépendance » exercée sur la catégorie dominée (minorités sexuelles, confessionnelles, ethniques, sociales, etc.) par ceux qui détiennent le pouvoir ; en général les hommes blancs.
« Reconnaissons-nous, les femmes, parlons-nous, regardons-nous », c’est, à propos de la « mixité choisie », un thème qui a pour conclusion :
« Parler avec d’autres femmes et refuser de faire valider cet acte simple par un homme, c’est déjà une émancipation, c’est déjà refuser de jouer le jeu du patriarcat. »
La nécessité d’une lutte commune contre la domination et l’exploitation, accompagnée obligatoirement d’une lutte féministe spécifique, s’affirme dans un texte consacré à l’« intersectionnalité », car dans tous les combats contre l’exploitation économique, le colonialisme, le racisme, etc., la femme est régulièrement assignée à un rôle secondaire, de la plus grande discrétion, comme cuisinière, infirmière, agent de liaison, etc.
De son côté, le mouvement Alternatiba développe dans ses réunions une pratique de même temps de parole entre femmes et hommes de façon que ce ne soient pas les grandes gueules masculines qui monopolisent le crachoir 2.
Devant la violence structurelle, « fondatrice de notre système, si ordinaire que généralement elle n’apparaît même pas comme de la violence », l’accent est mis sur la créativité pratique de l’action non-violente. Pour illustrer le propos, il est fait référence à l’Américaine Miriam Simos, dite Starhawk, qui raconte dans ses livres le combat enthousiaste des « sorcières » lors du blocage de l’Organisation mondiale du commerce, à Seattle en 1999.
On ne manquera pas d’aller chercher des exemples plus près de nous.

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Par ailleurs, puisque Emma Goldman est citée dans cette revue, nous invitons à lire Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions (L’Échappée éditeur, 2018, 1096 p.), son autobiographie dans la traduction intégrale de Living my life. Si nulle part dans ce livre on ne trouve le mot « non-violent », la recherche de cohérence que montra Emma Goldman lui fera exprimer à plusieurs reprises une critique très claire de plusieurs cas de violence anarchiste.

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1. Hélène précise : Le « Manifeste des 343 » est le titre original modifié par la presse en « Manifeste des 343 salopes » en référence à un dessin à la une de Charlie Hebdo dans lequel Michel Debré, opposé à l’avortement et à la contraception, demande « Qui a engrossé les 343 salopes du Manifeste sur l’avortement ? »

2. « Dans loptique de lutter contre la domination de la parole masculine, la CNT 87 (Haute-Vienne) a mis en pratique un système intéressant ; lors des réunions, il est noté qui prend la parole et pendant combien de temps. Ce qui met en évidence le fait que ce sont bien sûr les hommes qui parlent, et aussi que parmi eux, ce sont un, deux ou trois qui sont dominants… On peut constater que cette manière de procéder a permis de faire avancer légalité de parole. Le tour de table, plus classique, est tout aussi nécessaire : chacun·e son tour donne son avis, les timides aussi… », ajoute Solange.

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