la non-résistance au mal par la violence

À propos de
« l
a non-résistance au mal par la violence »

Le 15 août 1904, E. Armand (1872-1962) notait quelques réflexions pour servir à la rédaction de son autobiographie (il faut dire que son parcours était singulier). Ce texte fut publié par ses amis à l’imprimerie de la Ruche ouvrière en 1964, « avec de larges extraits de ses écrits, des essais et commentaires de divers auteurs, de nombreux documents, des photographies hors texte, et une vaste bibliographie ». Le livre avait pour titre E. Armand, sa vie, sa pensée, son œuvre.
En 1965, chez le même imprimeur, nous avions été quelques jeunes libertaires à lancer une petite revue trimestrielle : Anarchisme et non-violence ; cet imprimeur, nous l’appelions « Monsieur Jean », c’était un anarchiste d’origine arménienne du nom de Yervant Aprahamiantz.
Pour autant, à l’époque, nous avons complètement ignoré cette publication (la lecture se fit un peu plus tard), et nous aurions été bien étonnés d’y trouver des formulations proches de ce que nous cherchions. Rien d’étonnant à notre relative méconnaissance puisque tous et toutes nous connaissions partiellement les écrits d’Armand par les nombreuses brochures qu’il diffusa au cours de sa vie.

Le livre contenait, entre autres, un texte de présentation décrivant une évolution qui conduisit Armand, après une éducation tout à fait laïque, vers le christianisme, puis, continuant son parcours, comment il aboutit à un anarchisme individualiste original.
Nous, jeunes libertaires en recherche, nous aurions dû en particulier faire notre miel d’une note en page 21 :
« C’est dans ce sens que les amateurs d’étiquettes pourraient me dénommer “anarchiste chrétien”, bien que je sois loin d’être d’accord avec certaines idées émises par nos amis de Vrede en Hollande (sur la question sexuelle par exemple), ou certaines vues exprimées par plusieurs tolstoïsants absolus. Pour dire vrai, les termes “tostoïen”, “anarchisme chrétien”, “anarchisme non violent”, “anarchisme pacifique”, ne rendent qu’imparfaitement ma pensée, bien que, par différents côtés, ils répondent bien à mes sentiments actuels. »
Ce qui explique que des anarchistes, partisans de l’action violente, n’hésitèrent pas à accuser Anarchisme et non-violence de vouloir introduire une pensée religieuse dans l’anarchisme. Or nous étions tout simplement athées, et notre préoccupation d’alors était de vouloir approfondir la notion de « non-violence » dans son actualité et aussi de la retrouver dans notre histoire.
Armand, lui, citait par ailleurs l’expression tolstoïenne de « non-résistance » qui ne nous convenait pas du tout.
Il écrivait :
« Après les Quakers, Tolstoï a bien essayé de donner une solution applicable, même aux conditions de fonctionnement de la société actuelle, c’est “la non-résistance au mal par la violence”. […]
« D’ailleurs, tout en lui concédant une grande valeur d’exemple individuel, tout en lui reconnaissant un caractère élevé de propagande anti-autoritaire, la méthode de non-résistance – pratiquée sur une petite échelle – ne solutionne pas actuellement les difficultés lorsqu’on se trouve en présence de transgresseurs anonymes et irresponsables – tel un État, une administration, une institution d’ordre gouvernemental ou social – ou leurs fondés de pouvoir. […]
« Pour qu’actuellement la non-résistance ait une valeur effective, force est qu’elle se généralise, comprenne un grand nombre de réalisateurs. » (pp. 245-246)
Et Armand, qui avait une forte répugnance pour la violence, ne pouvait imaginer des actions collectives comme on en connaît de nos jours, cela pour la bonne raison que son répertoire se limitait, en nombre, du fait de son choix d’« anarchiste individualiste », ainsi qu’il se qualifiait. A-t-il mentionné Gandhi dans ces écrits ? Aurait-il pu entrevoir dans un futur proche les actions pour les droits civiques aux États-Unis ? Extinction Rebellion ? Le hirak algérien ? Et n’aurait-il pas été critique ? Bien qu’il écrive :
« Je le demande encore : Quelle fatalité a donc décrété que la violence, la haine ou la vengeance fussent l’unique tactique à employer pour amener l’avènement d’une société libertaire où, les hommes pensant par eux-mêmes, l’expérimentation sociale, morale, philosophique, serait rendue possible, une société, en un mot, où l’on ne connaîtrait ni exploitation de l’homme par l’homme ni autorité de l’homme sur l’homme ? La violence organisée a fait jusqu’ici que les hommes subissent l’autorité d’autrui. Le nombre grandissant de mentalités libertaires, l’éducation des individus, la révolte consciente et non violente (c’est-à-dire sans haine, brutalité ou effusion de sang inutiles) contre tout ce qui tend à perpétuer ce régime autoritaire et exploiteur, la propagande par l’exemple, les actes d’initiatives collectifs en matière économique, finiront par détruire l’édifice social érigé par l’autorité et la violence. » (pp. 19-20.)
On peut cependant rappeler qu’Armand, en supplément à L’Unique (1945-1956), publia une brochure (n° 13), consacrée à Henry David Thoreau, ce précurseur de la désobéissance civile, et Armand ne pouvait ignorer que, traduit par Léon Bazalgette, Civil Disobedience fut publié sous le titre de Désobéir, en 1921, chez Rieder à Paris (Nous serions d’ailleurs curieux de connaître cette version).
À n’en pas douter, les individualistes anarchistes avaient d’ores et déjà abordé les questions qui nous, jeunes libertaires, nous préoccupaient, mais c’est Hem Day (1902-1969), un libraire-éditeur de Bruxelles qui dégagea notre horizon ; Hem Day qui rejoignit d’ailleurs notre petite équipe ; Hem Day qui en 1954 republia, un des premiers, le Discours de la servitude volontaire de La Boétie.

 

E. Armand, sa vie, sa pensée, son œuvre,
à l’initiative d’un groupe d’amis,
La Ruche ouvrière, 1964, 498 p.

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