Habiter et lutter à NDdL

Après l’affrontement du Larzac (1971-1981), rappelons celui de Notre-Dame-des-Landes qui vit le recul transitoire et de l’État et d’une multinationale (Vinci). En Pays-de-la-Loire, en 1970, des bureaucrates avaient décidé de créer une « zone d’aménagement différé », une zad, avec pour projet la construction d’un aéroport, et cela au mépris d’un biotope de bocage, de mares, d’étangs et de haies, écosystème qui aurait dû être protégé en raison de la richesse de sa faune et de sa flore ; cette entreprise de bétonnage, à but essentiellement financier, était, à n’en pas douter, à classer dans les « grands projets inutiles » ; et, en tous lieux, à chaque fois que des opérations de ce genre se confirment et qu’elles sont estimées, par beaucoup, être une aberration écologique et économique , des oppositions s’expriment, car « cette démarche capitaliste relève d’un processus de marchandisation de la nature ».

C’est dès 1972 qu’un comité de contestataires se transforma en Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca), tandis que des riverains, rejoignant la lutte, créaient l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport). En quelques années, regroupements divers et autres opposants se multiplièrent et s’organisèrent dans une Coordination.
Qui étaient les premiers protagonistes opposés à cette entreprise ? Des paysans, des habitants, des riverains, des entrepreneurs, mais aussi des naturalistes et des… pilotes d’avion. Ne cachons pas que d’autres personnes, en fonction de leur activité, y étaient favorables, et que d’autres encore, à l’appréciation flottante, hésitaient à se prononcer. Il n’empêche que le président de région développera « 10 arguments en faveur du projet », tandis que, de leur côté, les opposants fourbissaient leur propre argumentaire, aidés par des juristes, des architectes, des ingénieurs, etc.
Ajoutons, comme l’écrivent les auteurs d’Habiter en lutte, que la « ferveur » était du côté des opposants qui n’hésitèrent pas à prendre un maximum de risques et à mettre leur ancienne vie de côté ; constatons de plus que l’apport de la jeunesse, vivier inépuisable, fut un facteur décisif.
C’est après avoir dormi pendant trente ans dans les cartons administratifs que l’idée d’aéroport resurgit en 2000 ; les contestataires se concertent alors devant le danger qui s’approche, et, en 2008, un appel à occuper illégalement la « zone à défendre » est lancé, appel à la désobéissance civile en quelque sorte, mais, déjà en 2007, la première occupation avait eu lieu ; puis, on vit arriver d’un peu partout des jeunes squatters néoruraux, des militants anti-système, mais aussi des moins jeunes qui venaient à la rescousse et qui furent bientôt tous qualifiés de zadistes. La cohabitation ne se fit pas sans heurts et cahots qui furent plus ou moins vite dépassés par une créativité sans pareille, par « une manière singulière de vivre et d’organiser un territoire en commun », par une façon de « penser ensemble », de décider « sans vote et sans hiérarchie » .
Graduellement, une économie de « non-marché » s’installa.
Il faut dire que dans la région – et dans d’autres –, le droit d’usage des terres, « en communs », relevait d’une longue tradition qui, avec le temps, fut supplanté par le droit de propriété individuelle, conforté par le système démocratique français très centralisé.
Lors d’un Camp Action Climat, en 2009, les « Habitants qui résistent » relancent l’appel à établir des campements, appel rapidement suivi de l’arrivée de militants aguerris, venant de la région de Bruges, qui acheminaient avec eux leur savoir-faire en occupation et en défense.
Les relations de l’Acipa et de l’Adeca avec les squatters ne furent donc pas toujours faciles, mais c’est là que se dessinera et que finira par être adoptée la diversité des tactiques quand il s’agit de légalité et de violence, comme par exemple lors d’actes de sabotage des machines d’une entreprise qui devait effectuer des forages et qui résilia son contrat par la suite. D’autres militants entreprirent une grève de la faim collective qui durera vingt-huit jours pour certains ; par ailleurs s’organisèrent d’importantes manifestations accompagnées de 225 tracteurs qui sillonnèrent la ville de Nantes.
Le 16 octobre 2012, au matin, afin d’expulser définitivement les squatters, les autorités lancent l’opération César ; 1 000 gendarmes sont mobilisés avec équipements anti-émeute, boucliers, casques et fusils d’assaut ; les maisons d’où on expulse les occupants sont détruites. Devant un tel déploiement de forces, il s’agira pour les zadistes de tenir le plus longtemps possible au moyen de barricades légères de branchages et de pneus qui sont enflammés à l’arrivée des forces de l’ordre, mais aussi au moyen de barricades faites de matériaux plus solides apportés par les tracteurs des paysans ; une des barricade sera faite de grilles soudées ; jets de pierres, de billes et de cocktails Molotov participent à la résistance. Radio Klaxon émet en permanence en prévenant de l’avancée policière, tandis que, sur le site de la zad, des informations sont diffusées.
Le 17 octobre, un mois et un jour plus tard, la décision de réoccuper les lieux et de reconstruire les bâtiments est prise par les zadistes et les collectifs solidaires ; c’est l’opération Astérix contre César. 40 000 personnes et 400 tracteurs prennent alors le départ du bourg de Notre-Dame-des-Landes ; c’est tout à la fois « une manifestation, un chantier, une fête et un acte collectif de désobéissance civile massif » qui verra encore la variété des techniques employées : jets de cailloux, de bouteilles incendiaires, jets de peintures, mais aussi de purin, également des sit-in, des chaînes humaines, des chants, des individus qui se mettent nus devant les gardes mobiles et sous les gaz lacrymogènes.
Les nouvelles installations seront détruites à plusieurs reprises et souvent reconstruites pendant la nuit, de même que les barricades. Manifestations et rassemblements ont lieu dans une vingtaine de villes ; nombre de gens de tous âges et de tous horizons se remobilisent prêts à des actions illégales parce qu’elles les estiment légitimes. Des attaques contres des chantiers de Vinci sont menées : « Vinci, dégage, résistance et sabotage ! »
À noter, au cours des événements la création d’une équipe juridique et d’une autre médicale.
Quant aux forces de l’ordre, habituées à une autre topographie de combat, elles trouvèrent là de réelles difficultés devant cette « forteresse diffuse » ; il est certain que ces regroupements disparates, et souvent discordants, capables d’inventer ensemble les formes d’engagements nécessaires au succès sont une clé pour les combats futurs quand, par ailleurs – et c’est essentiel –, un investissement personnel sans réserve est présent.
Il semble que le gouvernement, lui aussi, rencontra des difficultés de gestion du conflit. Des signaux contradictoires sont envoyés par les autorités ; d’un côté, on crée une commission du dialogue, de l’autre, on met en place de nombreux check-points pour verrouiller le territoire ; ce qui n’empêchera nullement les zadistes de continuer leurs constructions diverses en passant par de petits chemins ou carrément à travers les champs pour amener ravitaillement en nourriture et matériaux de construction.
Début janvier 2013, un FestZad organisé dans la gadoue pour ce « peuple de boue » accueille des arrivants de plus en plus variés.
C’est alors que des paysans réoccupent la ferme de Bellevue ; des vaches sont amenées. À la mi-avril, c’est le démarrage de plusieurs projet agricoles et de « Sème ta zad, occuper, cultiver, résister » pendant que certains ne viennent là que pour chercher un refuge et pour accéder à un lieu de vie en liberté, d’où des tensions qui sont quelquefois très vives ; le ton monte, on en vient aux mains. Se créent alors différents groupes de discussion et de conciliation avec tour de parole, limitation des interventions, etc.
En avril, la commission gouvernementale du dialogue rend un rapport qui reconnaît à demi-mot que l’enquête publique a été bâclée ; le coût de l’opération policière semble au demeurant disproportionné, et des gendarmes renâclent devant leur inefficacité démontrée par les constructions qui continuent ; bientôt, les forces de police devenues illégitimes plieront bagage, abandonnant la zad comme une « zone de non-droit » ainsi que la qualifient certains. Sans « droit », peut-être, mais avec des règles créées par les habitants eux-mêmes avec les difficultés inhérentes.
À partir d’avril 2013, il s’agit, avec encore de nouveaux arrivants, de « construire l’autonomie d’un territoire de luttes », et cela pour rester ; les occupants permanents sont environ deux cents, et le nombre des visiteurs est continu.
En février 2014, une énorme manifestation, à Nantes, avec 500 tracteurs verra pleuvoir des inculpations. Les tirs de Flashball éborgneront trois manifestants.
Fin 2015, tous les lieux évacués par l’opération César sont de nouveau habités. On s’installe, une éolienne est érigée et des panneaux solaires sont mis en place. Chemins et petites routes redeviennent praticables avec quand même la crainte de voir revenir les forces de l’ordre. Sans cesse, les lieux de vie apparaissent et disparaissent, on expérimente ; la multiplicité des imaginaires et le dynamisme d’une organisation en rhizome n’est pas sans provoquer d’autres heurts, mais l’envie de vivre hors des lois du capitalisme et de l’État est intense.
Cependant, en janvier 2016, la justice décide que les squatters de leur propre maison sont expulsables, d’où nouvel appel à manifester : et encore 400 tracteurs, des vélos sur le périphérique nantais et environ 20 000 personnes ! La solidarité avec les occupants « historiques » est très forte également à travers la France. Plus de 1 000 personnes rejoignent les chantiers de la zad. Quelques mois plus tard, ce seront environ 60 000 manifestants qui arpenteront l’axe Nantes-Saint-Nazaire.
Le pouvoir n’interviendra pourtant pas.
Et puis, le 8 octobre 2016, ce sera le « chant des bâtons » et le serment de revenir soutenir la zad si nécessaire, car le futur est toujours incertain. Pour autant, la vie continue sur la zone où les occupants s’affairent à gérer des décisions sans que la majorité écrase les minorités, « les décisions se dessinent plus qu’elles ne se décident » ; on aborde entre autres les problèmes liés aux drogues, aux « agressions sexuelles, au port ostentatoire d’armes et aux chiens », et on en arrivera à éloigner certaines personnes, à les expulser.
« Parce qu’il n’y aura pas d’aéroport », un texte collectif en six points sur l’avenir de la zad sera publié ; il s’agira de préparer la coexistence « des perspectives légales et illégales, politiques, agricoles, pour y développer tous types d’activités, de l’artisanat, à la culture et à la création tout en favorisant de nouvelles exploitations […], hors des parcours classiques ».
Quatre commissions seront créées : une juridique, une historique (pour la transmission des usages), une pour la gestion des conflits, inspirée des zapatistes, et une dernière pour préparer l’amnistie des condamnés.
Le 17 janvier 2018, annonce du Premier ministre : « En conséquence, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est abandonné. » C’est, après une quarantaine d’années de lutte, la victoire des opposants, « victoire de l’union improbable des barricades et des recours juridiques, des patients relevés naturalistes, de la mobilisation citoyenne et de la furie émeutière », mais c’est également l’obligation pour certains de faire le deuil d’une « zone de non-droit », car l’ État ne lâche rien quand il s’agit des expulsions.
Le 9 avril, les forces de police déploient un impressionnant dispositif militaire sur la route des Chicanes ; c’est de nouveau la destruction des lieux de vie, accompagnée d’actions de solidarité un peu partout en France. Le 12 avril, fin de l’opération expulsion. Est-ce qu’on entre dans une période de légalisation ?
Ce qui s’est gagné dans cette aventure, c’est une capacité à se réinventer continuellement ; ce qui s’est construit, c’est un imaginaire collectif durable faisant vivre une « propagande par le faire » supplantant la « propagande par le fait » traditionnelle.
Oui, encore nombreux sont ceux et celles qui veulent rester avec pour objectif « de ne pas rentrer dans les clous ».
« Nos rêves ne sont pas légalisables ! »

Collectif comm’un, Habiter en lutte,
ZAD Notre-Dame-des-Landes, quarante ans de résistance,
Le Passager clandestin, 2019, 256 p.

Sur deladesobeissance.fr, on pourra lire : « Le peuple de la boue », mais on pourra aussi consulter :
Collectif, ZAD partout, zone à défendre à Notre-Dame-des-Landes, textes et images, édité par l’Insomniaque, 2013, 144 p.
R. de Legge et R. Le Guen, Dégage !… On aménage aux éditions du Cercle d’or, 1976.
Collectif Sudav, C’est quoi c’tarmac ?, No pasarán éd., 2011.
<zad.nadir.org>

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