Du temps de la vasectomie illégale

Publié dans Casse-rôles,
n° 11, février-avril 2020

Annie Nicolaï
54, avenue de la Révolution
87000 Limoges

Vasectomie

Quand, à la saison des cerises, en 1963, Anita, ma compagne, et moi avons décidé de profiter de la première occasion qui se présenterait pour que je sois vasectomisé, c’était encore, à l’époque, une démarche parfaitement interdite en France, et ce pour cause d’automutilation ou « de coups et blessures faits volontairement, avec préméditation ». Ce n’est que par la loi du 4 juillet 2001 que la chose est maintenant autorisée.

Il convient de rappeler, ici, « l’affaire des stérilisés de Bordeaux » quand, en 1935, Aristide Lapeyre, André et Andrée Prévôtel et quelques autres, ainsi que le docteur Norbert Bartosek, médecin d’origine autrichienne qui procédait aux opérations de vasectomie, furent inquiétés par les autorités de justice. L’affaire fit grand bruit.
Rappelons encore que, le 19 juin 1973, Aristide Lapeyre fut condamné à cinq ans de prison pour un avortement suivi du décès accidentel d’une patiente ; cela, deux ans seulement avant la promulgation de la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse.
Quant à la vasectomie, ou stérilisation masculine, c’est une opération mineure qui consiste à couper, d’un côté, les canaux déférents porteurs des spermatozoïdes fabriqués par les testicules, de l’autre, à ligaturer les canaux pour empêcher ainsi le passage de ces mêmes spermatozoïdes.
Ce qui n’empêche nullement l’éjaculation. En effet, les spermatozoïdes ne représentent en moyenne que 2 à 3 % du liquide séminal. Si la production de spermatozoïdes par les testicules continue après la vasectomie, il se produit ensuite un équilibre entre les cellules élaborées et les cellules mourantes qui sont réabsorbées par l’organisme.
L’occasion recherchée se présenta donc pour moi quand on apprit par un ami de Genève qu’il était possible de se faire opérer en Suisse. À quatre, des jeunes libertaires, nous partîmes aussitôt que possible, en voiture, pour les bords du lac Léman ; rendez-vous avait été pris dans une clinique.
Le chirurgien, très scrupuleusement, nous expliqua en quoi consistait l’opération, insistant lourdement sur son côté irréversible. Après s’être assuré, individuellement, lors d’un tête-à-tête, de notre accord, il nous invita, l’un après l’autre, à passer dans la salle d’opération proche qui ressemblait à un cabinet de dentiste.
Anesthésie locale légère ; aucune douleur ; ça durait moins d’un quart d’heure pour chacun. Je n’ai pas le souvenir de ce que cela a coûté, mais pour nos maigres budgets de l’époque, c’était, semble-t-il, supportable.
Dans la foulée, pour nous détendre un peu, nous avions rendez-vous chez un copain. Dans son petit salon, alors que nous buvions un coup, l’anesthésie ne fit plus son effet avec un léger retard par rapport au premier à être passé sur la table d’opération. Nous étions alors seuls dans la pièce, et, pour calmer la douleur, qui n’était pourtant pas excessive, nous ne trouvâmes rien de mieux que de baisser nos pantalons et de nous ventiler le bas du ventre avec des journaux.
Imaginez le spectacle !
C’est à ce moment qu’une dame, plus toute jeune, venue de je ne sais où, entra dans la pièce, poussa un « Oh ! » grimaçant et s’enfuit prestement en claquant la porte.
L’incident en resta là.
Nous, illico, repartîmes en direction de la frontière. À un certain moment, l’envie de pisser se manifesta, et, du côté français, notre chauffeur arrêta la voiture dans un endroit relativement isolé. C’est alors que, pas loin d’un fossé, nos regards furent attirés par un cerisier chargé de magnifiques fruits rouges. Bien qu’un peu handicapés pour franchir aisément le ruisseau, nous avons quand même attrapé quelques cerises sur les branches basses, et, tout en les mangeant, nous sommes revenus à la voiture où… deux gendarmes nous attendaient. « Eh ! Eh ! C’est du vol, messieurs, fit l’un d’eux. Vos papiers, s.v.p. ! »
Nous ne pouvions qu’obtempérer.
Leur auto, où ils se rendirent nos papiers à la main, était plus ou moins camouflée à une centaine de mètres de la nôtre, et c’est de là qu’ils durent sans doute vérifier que nous n’étions ni des méchants gangsters ni des contrebandiers recherchés.
Au bout d’un moment, ils nous firent signe de venir récupérer nos cartes d’identité. Tout en marchant lentement, nous y allâmes les jambes légèrement et curieusement écartées ; cela sous l’œil suspicieux des deux pandores qui nous observaient interrogatifs, mais qui nous rendirent cependant nos papiers sans dire un mot.
Retour à la voiture avec notre démarche prudente, et cela toujours sous le regard de la maréchaussée qui semblait chercher à comprendre quelque chose…
Aussitôt assis dans notre véhicule, l’un de nous dit au chauffeur : « Roule, roule, ne traînons pas ! »
Après quelques jours, une amie vint pour enlever les fils qui restaient de l’opération. Rien n’y paraissait, les poils recommençaient à repousser. Anita et moi attendîmes encore prudemment quelque temps pour un premier contact amoureux sans risques d’enfant ; il y eut bien des essais « dans le vide » pour constater que tout fonctionnait comme à l’accoutumée.
Oui, une fois de plus, il avait fallu en passer par l’illégalité pour conquérir une liberté plus grande ; ce fut un succès.
En 1971 parut le « manifeste des 343 salopes ». À leur exemple, quelqu’un émit l’idée de publier un « manifeste des vasectomisés ». Cela ne se fit pas.

André Bernard,
novembre 2019

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