La CNT dans la révolution espagnole 3

José Peirats,
La CNT dans la révolution espagnole,

Le tome 3, 520 p., 2020,
Noir et Rouge éditeur

 Volume 3

À la mi-janvier 1938, un nouveau congrès régional des paysans eut lieu en Catalogne. Au programme, un Conseil supérieur de l’agriculture composé de représentants de tous les secteurs syndicaux et politiques catalans, conseil qui avait, selon Peirats, une formation politique contraire à son caractère technique ; on lui reprochait de freiner la solution des problèmes de l’agriculture au lieu d’en fournir une.


« Un décret dit de redistribution des terres avait été promulgué. Lors de la mise en place de la redistribution”, ce décret donnait la préférence aux cultivateurs individuels qui avaient occupé des terres. Or, dans de nombreux villages, on avait retiré des terres aux collectivités, car on les considérait indûment légalisées », précise Peirats.
« Les entreprises industrielles et les collectivités paysannes contrôlées par la CNT seront gérées par le conseil national d’économie confédérale », avait décidé un plénum. Il soufflait, semble-t-il, un certain vent centraliste et étatique.
Si le salaire familial était la norme au début des collectivisations, Mariano Vázquez, secrétaire de la CNT, déclara par la suite « que le salaire unique et familial est antihumaniste (sic) car préjudiciable à l’économie ». Cela démontrait pour le moins une évolution « managériale », indique une note ; surtout si on ajoute à cela la création d’une échelle des salaires et « des postes d’inspecteurs du travail chargés d’orienter et de sanctionner les ouvriers et les entreprises soumis à leur juridiction ».
Puis les fédérations locales, après discussions, décidèrent de la création d’une banque syndicale ibérique.
Par manque de papier, et pour leur donner une « orientation homogène », il fut aussi question de réduire le nombre des publications syndicales et anarchistes ; ce qui provoqua l’opposition de certains militants.
C’est le 6 février que la Fédération ibérique des jeunesses libertaires inaugura les travaux de son IIe Congrès qui dut se prononcer sur une motion de centralisation suivie par la majorité des mandatés ; cela contre un vote du représentant de la 119brigade mixte (de la 26division) qui reflétait les aspirations fédéralistes de la Catalogne. Les délégués de Catalogne, appuyés par la majorité des délégations du front d’Aragon, déclarèrent ne pas être obligés de suivre le résultat de la loi de la majorité, étant donné le fondement fédéraliste de l’organisation de jeunesse, et vouloir rester sur une position anticirconstancialiste et ne pas abandonner leurs principes.
De son côté, le 20 février 1938, Solidaridad Obrera ouvrait ses pages à Luis Araquistáin, militant et journaliste socialiste :
« Le parti socialiste s’est radicalisé comme le prouve le projet de réforme du vieux programme que le groupe socialiste madrilène a approuvé en mars 1936. L’UGT s’est également radicalisée sur le plan politique et syndical, la majorité des syndicats a adopté le socialisme révolutionnaire et la mission révolutionnaire qui, selon l’avis de Marx, reviennent aux syndicats dans la période de transition du capitalisme au socialisme. La CNT s’est socialisée dans le sens de reconnaître la nécessité de l’État comme instrument de lutte et de consolidation des conquêtes révolutionnaires à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Quelle joie pour un socialiste de lire le programme de nationalisation, de municipalisation et de collectivisation, contenu dans la proposition de la CNT ! […] Bakounine et Marx se donneraient une accolade sur ce document de la CNT. »
Effectivement, la CNT et l’UGT s’engageaient à défendre un régime social de véritable démocratie, en combattant quand même toute prétention totalitaire de classe ou de parti, et décidaient de renforcer toutes les mesures qui faciliteraient la création d’une armée régulière efficace, garante du triomphe, en particulier en nationalisant les industries spécifiquement productrices de matériel de guerre. De même, devaient être nationalisés les mines, les chemins de fer, l’industrie lourde, la banque, les téléphones, les télégraphes et la navigation en haute mer.
La déroute de l’Aragon commença le 9 mars 1938 par une offensive terrestre et un déploiement formidable de l’aviation franquiste.
« À Barcelone, écrit Peirats, où le gouvernement central avait déjà son siège, les répercussions du désastre furent énormes. Les rumeurs les plus alarmantes circulaient dans toutes les couches de la population. Ces rumeurs étaient aggravées par la présence de soldats fugitifs des fronts qui avaient pu tromper la surveillance de la police militaire. Le 13 mars, les représentants nationaux de la CNT et de l’UGT rendaient public un manifeste. [Solidaridad Obrera] de la même date s’efforçait de stimuler les travailleurs en déclarant que les deux centrales syndicales étaient arrivées à un accord sur tous les points du programme d’unité. »
Par ailleurs, un rapport du comité péninsulaire de la FAI, daté du 1er avril 1938, commençait par ces mots :
« Les causes expliquant l’écroulement du front de l’Aragon peuvent être classées en diverses catégories : une strictement militaire ; d’autres à caractère politico-moral, mais toujours dépendantes du complexe politique et social qui a entraîné la persistance dans l’Espagne antifasciste d’une lutte sourde et violente entre des partis et des secteurs en dépit des demandes répétées qu’on faisait sur l’unité et sur le front antifasciste, front qui n’a jamais été une réalité, précisément parce qu’il y a eu des partis et des groupes qui ne poursuivaient et qui ne poursuivent encore que leur propre hégémonie aux dépens des intérêts vitaux de la grande masse du peuple. »
Peirats ajoutait que « l’énorme supériorité matérielle de l’ennemi figurait dans les causes militaires », ce que confirmait la note 37 :
« Cette supériorité franquiste en matériel militaire de pointe s’explique par la baisse soudaine et persistance des armes russes à partir de janvier 1938. Les tractations entre les dirigeants nazis et soviétiques étaient en cours. Les Soviétiques démontraient leur bonne volonté à leurs futurs alliés en limitant spectaculairement leur aide militaire. En août 1939, l’alliance entre Hitler et Staline avait été garantie sur le sol espagnol par le sang des antifascistes, même celui du PC d’Espagne et du PSUC catalan ! »
Cependant, en dehors de l’Espagne, les internationales ouvrières se réunissaient.
L’AIT avait tenu un congrès à Paris du 8 au 17 décembre 1937 avec une proposition de la CNT d’« examiner la situation de l’Espagne et [d’]adopter des résolutions décidant l’intervention directe du prolétariat international en solidarité et en défense de la cause du prolétariat espagnol ».
Parmi les représentants présents, on notait, « en plus de la CNT espagnole, la SAC de Suède, la CGT du Portugal, la CGT-SR française, la NSV de Hollande, l’USI d’Italie, la CGT chilienne, la FAUD d’Allemagne, les groupes anarcho-syndicalistes de Belgique, la Fédération anarchiste et les groupes anarcho-syndicalistes de Pologne et la FORA argentine. L’IWW nord-américaine et la FORU d’Uruguay envoyèrent leur adhésion ».
À en juger par la presse, le seul résultat de cette réunion fut la remise par la représentation de l’AIT à la FSI d’un plan technique de boycott et d’embargo des marchandises des pays fascistes. Une fois le document étudié par les destinataires, on devait concrétiser ses aspects définitifs en vue de son application.
« Jamais de si bonnes intentions n’ont pu être réalisées », écrit Peirats.
Devant la situation militaire catastrophique, on espérait un miracle, comme celui du printemps 1918 quand « les armées allemandes marchaient d’un pas décidé vers l’ouest, débarrassées du cauchemar du front oriental par leur traité de paix avec la Russie. Le 21 mars, elles brisaient le front anglais et en quatre jours elles arrivaient à Amiens. Le 14 juillet, elles traversaient la Marne en direction de Paris ». Le 18 juillet, la contre-offensive alliée commençait. Et, en trois mois, la guerre était gagnée… avec l’aide nord-américaine. Mais, en Espagne, il n’y eut pas de miracle.
La mauvaise situation militaire s’accompagna du manque de nourriture et d’une hausse des prix des denrées pour la population civile. Et, le 30 avril 1938, l’événement politique fut la publication des «13 points du docteur Negrín » sur les objectifs de guerre du nouveau gouvernement, cela sans que le comité national de la CNT en ait eu connaissance.
Le 3 mai, le comité péninsulaire de la FAI envoyait une circulaire à ses comités régionaux en disant :
« C’est surtout ce qui manque dans le document qui est significatif. Nous n’y trouvons même pas la plus discrète allusion au 19 juillet, aux forces contre-révolutionnaires qui se sont soulevées en armes contre le peuple et qui ont été éliminées radicalement de la voie publique ; nous n’y trouvons pas non plus une formule garantissant les conquêtes de la classe ouvrière et paysanne, le droit à l’exploitation collective et au contrôle ouvrier de la production. En revanche, l’État s’engage à garantir la propriété, l’initiative individuelle, le libre exercice des pratiques religieuse, impulser le développement de la petite propriété, indemniser le capitalisme étranger, etc., etc. »
Peirats écrit que, « sur le plan militaire, on soupirait nostalgiquement en pensant aux guérillas du passé » remises en mémoire par des textes de la FAI :
« Une armée de guérilleros devant un groupe d’éclaireurs s’infiltrant dans le camp ennemi, coupant les communications, faisant sauter les ponts, attaquant les convois, les points d’eau et les villages, formant des groupes à l’arrière de l’ennemi […]. Nous avons besoin d’une armée régulière, qui en doute ?, mais aussi de guérilleros qui, en tenant l’ennemi constamment sur le qui-vive, le démoralisent et le désorientent, l’obligent à déplacer ces forces. » (Servicio de información de prensa del Comité peninsular de la FAI, du 27 mai 1938.)
Et il remarque :
« La crise interne du mouvement libertaire, toujours latente, s’était aggravée à la suite des faits de mai 1937 […]. Des militants commençaient à prendre conscience que, en suivant cette voie, ce qui restait des conquêtes et de la vie même du mouvement libertaire était condamné. De jour en jour, on perdait de plus en plus de positions importantes. […] Des militants finirent par se demander s’il restait encore quelque chose à sacrifier et à quoi bon le sacrifier. »
La bataille de l’Ebre proprement dite commença début août. Selon le général Rojo, dans son España heroica, cette bataille « a été un combat très cruel, une lutte menée durant trois mois et demi avec de brefs intervalles sur terre et sans arrêt dans les airs ; une bataille de matériel dans laquelle toutes les armes et les engins, sauf les gaz, sont intervenus sur des fronts étroits et avec une puissance dévastatrice ».
En s’appuyant sur des documents publiés après la Seconde Guerre mondiale (il s’agit du Journal politique, 1937-1938, du comte Ciano, et du troisième volume des Archives secrètes de la Wilhelmstrasse : l’Allemagne et la guerre civile espagnole, publié chez Plon en 1952), Peirats aborde dans le chapitre XXXII ce qu’il nomme « la politique franquiste ».
Ces documents montrent toute l’habileté de Franco « dans l’art difficile de nager entre deux eaux ». Par exemple, l’Allemagne et l’Italie, qui commençaient à douter des capacités militaires du général, le soupçonnaient de vouloir négocier une paix qui ne serait ni rouge ni blanche, mais rose. Par rapport à la France, à l’Angleterre et à la non-intervention, Franco se montrait également moins intransigeant que ses alliés qui menaçaient plus ou moins de retirer leur aide en hommes et en matériels militaires.
Les bombardements du 18 mars sur Barcelone, qui eurent une grande répercussion à Londres, furent, paraît-il, personnellement ordonnés par Mussolini. La correspondance diplomatique allemande établit qu’ils provoquèrent « une grande indignation de Franco ».
Du côté franquiste, les désaccords ne manquaient pas, comme le montre le cas Yagüe, ce très haut gradé qui ne se privait pas de critiquer Franco et qui « avait prononcé un discours en faisant des allusions à la nécessité de profondes réformes sociales, à une justice honnête et incorruptible, au patriotisme anti-étranger, à la charité chrétienne et à l’esprit chevaleresque espagnol », selon ce que rapporte Peirats.
D’autres dissensions se manifestaient ; aussi, Franco, chef sans parti, prit la décision, le 19 avril 1937, de se mettre personnellement à la tête d’une phalange espagnole regroupant monarchistes, traditionalistes et la Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista (JONS).
De plus, devant le risque de conflit sur la crise tchécoslovaque, Franco était prêt à se déclarer neutre en espérant le maintien de la non-intervention française ; d’ailleurs, un télégramme de Stohrer à Ribbentrop informait que « l’état major général français était prêt à n’entreprendre aucune action contre l’Espagne nationaliste si Franco se déclarait neutre ».
Le chapitre XXXIII analyse, toujours à l’aide de nombreux documents, le mouvement de saisie des industries par le gouvernement, décrit comme « une tendance réactionnaire naturelle de l’État ». Ce mouvement se caractérise pour Peirats comme « une véritable revanche » contre la capacité syndicale à gérer les entreprises et comme la volonté délibérée de s’emparer des conquêtes ouvrières. Ce qui provoqua une sorte d’« écroulement moral » chez les travailleurs et tout autant chez les combattants.
À ce moment, les manœuvres du Komintern ne se dissimulaient même plus.
Manœuvres largement détaillées dans le chapitre XXXIV, surtout au niveau guerrier où était en train de s’installer une « caste militaire », écrit Peirats, avec « ostentation des uniformes et des galons ».
Jesús Hernández, dans son livre de repenti Yo fui un ministro de Stalin (México, 1953), raconte comment un certain bureau politique « était une boîte aux lettres recevant des dispositions transmises depuis Moscou ». « Une des principales consignes du Parti communiste était de s’emparer des postes de commandement de l’armée. »
Selon un rapport de Pedro Puig Subinyá, membre de la Gauche républicaine de Catalogne : « Le meilleur soldat n’est pas celui qui obéit parce qu’il comprend que l’ordre donné est juste, mais celui qui obéit sans penser pourquoi il le fait, sans savoir que ce qu’on lui a ordonné est juste ou injuste. […] Le soldat indispensable aujourd’hui est celui qui ne sait rien, ne saisit rien et ne comprend rien : le soldat automate, le soldat machine ». Il ajoute :
« Nous pensons n’avoir rien découvert si nous disons que l’armée est instrumentalisée par le Parti communiste d’Espagne. »
Un rapport du comité péninsulaire de la FAI d’octobre 1938 convient que « de la prédominance indiscutable que nous avions dans la direction de la guerre contre le fascisme nous sommes passés à la catégorie de simple chair à canon ».
C’est le 15 août 1937 qu’avait été créé le SIM (Service d’investigation militaire), un service de contre-espionnage qui avait carte blanche et qui dégénéra très vite en instrument de répression du Parti communiste, appendice du Guépéou, mais qui fut également infiltré par des militants franquistes. « Santa Úrsula, annexe des commissariats où se faisaient les interrogatoires, était la synthèse machiavélique de toutes les tortures imaginables », peut-on lire dans un rapport des Archives CNT-FAI. Un très long passage décrit ainsi les plus extrêmes horreurs subies par les malheureux qui passèrent dans ces endroits.
Un des événements de la fin de l’année 1938 a été le plénum du Mouvement libertaire tenu à Barcelone du 16 au 30 octobre qui traitait, entre beaucoup d’autres sujets, de la ligne suivie par le mouvement libertaire depuis le 19 juillet 1936. Les débats furent de la plus grande franchise, pour ne pas dire plus ; il s’agissait des positions prises par les uns et par les autres durant toute cette période.
Mais Barcelone tomba aux mains des franquistes le 26 janvier 1939.

*

Pour ne pas conclure

Pouvait-il en être autrement de Barcelone et de l’Espagne tout entière ?
Bien sûr, parce que l’on connaît la suite des événements et la fin de l’histoire – et aussi parce que, malgré tout, un certain nombre de réalisations sociales libertaires ont démontré leur possibilité, marquant en cela profondément notre imaginaire –, il est naturel de tenter de se représenter d’autres issues que cette défaite.
Tout au long des trois volumes, la lucidité de Peirats reste admirable, même quand il constate un « certain fatalisme, conséquence directe des tragiques réalités de la guerre ».
Il semblait pourtant clair à la plupart des militants anarchistes de cette époque qu’il fallait d’abord gagner cette guerre civile avant de faire la révolution ou, pour certains, ne pas séparer les deux approches ; cette guerre imposée par les franquistes fut largement approvisionnée en armes, en munitions et en volontaires par Mussolini et Hitler. Par ailleurs, il n’était pas dans l’intérêt des démocraties capitalistes (Grande-Bretagne, France, etc.) d’apporter une aide au communisme libertaire en gestation ; de son côté, l’URSS de cette période avait la volonté de saboter toutes les expériences libertaires contraires à son idéologie. Il faut ajouter que, seules régions largement libertaires, la Catalogne et l’Aragon affichaient cependant une opposition importante de la part des catalanistes, des partis de gauche, de l’UGT contrôlée par les staliniens, des petits propriétaires, des métayers et de la bourgeoisie, de la plupart des commerçants, artisans, techniciens et autres fonctionnaires, sans oublier la cinquième colonne franquiste. Oui, si l’idéologie libertaire semblait hégémonique, sinon prépondérante, pour autant elle n’était pas majoritaire. La révolution libertaire ainsi « prise en étau » aurait-elle été possible isolée dans une seule région ?
« Cette possibilité était nulle », affirme François Roux dans une recension (À contretemps de novembre 2019) du livre de Myrtille (Nouveaux Enseignements de la révolution espagnole).
Gagner la guerre contre une armée factieuse de professionnels supérieure en nombre imposait donc de s’allier aux forces républicaines et de participer à l’État : le peuple en armes devait se militariser ; toutes conditions peu cohérentes avec un anarchisme classique. Durruti et quelques autres pensèrent même à organiser une armée révolutionnaire pour s’emparer du pouvoir et créer en quelque sorte une dictature anarchiste ; idée qui fut repoussée par les militants. Et on peut se demander encore, honnêtement, s’il est possiblement réalisable d’édifier une société libertaire par des moyens violents et autoritaires …
François Roux se pose toutes ces questions et quelque autres et conclut que, « dans ces conditions historiques de 1936, leur cause [celle des libertaires] était perdue d’avance ». Il ajoute, par ailleurs, que « jamais dans l’histoire une guérilla [autre éventualité] n’était venue seule à bout d’une armée régulière ».
Propos inacceptables pour beaucoup de militants qui persistent à se maintenir sur des positions figées.
Dans une note 21, François Roux, par deux fois, emploie les termes de « non-violents » pour qualifier les militants « profondément marqués par la Grande Guerre ». Le mot de « pacifistes » aurait été plus heureux, mais François Roux montre par là son peu de familiarité avec ces pratiques et ces idées. Un pacifiste est d’abord contre la guerre, mais il peut être partisan de la violence dans certains cas. François Roux n’est pas seul à ne pas vouloir distinguer des façons de penser et de militer qui peuvent être proches, mais qu’il est bon de distinguer pour ne pas dire n’importe quoi.
Rappelons, une fois de plus, la vie de Louis Lecoin, pacifiste exemplaire, qui se décrit plutôt comme un anarchiste « de la vieille école », qui portait en lui des valeurs, des intuitions, proches de la non-violence, mais dont la culture militante n’avait rien à voir avec la non-violence qui, elle, se décline, pour résumer, tout autrement : en désobéissance civile, boycott, non-coopération, etc. Son livre autobiographique, Le Cours d’une vie, en témoigne.
Mais c’est Lecoin qui, à propos de la révolution espagnole de 1936, se prend à penser que si Franco l’avait emporté « sans coup férir » son triomphe eût été éphémère ; et que des milliers de militants de la liberté auraient été disponibles par la suite : il était, avec le temps, devenu plus prudent devant l’idée de révolution, ce moyen « semblable à l’arme à deux tranchants ».
On rappellera l’Allemagne de 1920 et la tentative de putsch de Wolfgang Kapp qui échoua grâce à la grève générale des ouvriers allemands, mais qui sera pourtant suivie une dizaine d’années plus tard par la prise du pouvoir par Hitler au cours d’élections tout à fait légales.
Oui, nous, anarchistes, avons été constamment vaincus dans nos marches en avant.
Heureusement, peut-être !
Le capitalisme récupérateur n’en finit pas de s’adapter et de prospérer jusqu’à produire – à n’en pas douter – ce que certains annoncent pour des temps proches : un effondrement généralisé de nos sociétés ; un futur très sombre qui se profile devant nous. Mais d’autres pensent pouvoir prendre appui sur la catastrophe attendue pour développer des pratiques d’entraide et de solidarité.
Pour autant, tout en cherchant avec patience le bon chemin, nous gardons intacte notre volonté de transformer le monde.

 

José Peirats, La CNT dans la révolution espagnole,
tome 1, 2017, 526 p., tome 2, 2019, 474 p.
Le tome 3, 520 p., est en cours d’impression.
Noir et Rouge éditeur

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