Louise Michel, une « artiste en révolution »

Publié dans Casse-rôles, n° 10, 2019

« L’art […], c’est le frémissement du futur. »

« Il n’y a de beau que la lutte », déclara Louise Michel lors d’un entretien avec un journaliste ; et « dans un sens fort, pleinement esthétique », ajoute Claude Rétat, autrice et éditrice de deux livres qui donnent à ceux et à celles qui ne veulent voir en Louise Michel que la combattante de la Commune une image des plus nuancées de cette femme qui écrivit poèmes – très imprégnés de Victor Hugo –, contes, prose poétique – où elle se libère –, récits divers, romans, légendes, etc.
Hugo, assurément, mais elle coudoya aussi les symbolistes, les décadents et les « incohérents » de Jules Lévy, assure Claude Rétat qui, à propos de Louise, nous dit encore :
« Elle montre avec surévidence qu’un militantisme peut s’enraciner dans un terreau d’imaginaire et d’art, et qu’il y a rapport direct, échange substantiel, entre l’un et l’autre. »


« L’esprit révolutionnaire se communique par un travail obscur et qu’on ne peut suivre. »
Louise Michel dessinait (un certain nombre de reproductions sont données dans La Révolution en contant) ; elle aimait la musique, et Wagner en particulier.
« Les nerfs montés comme des harpes, le cerveau hanté de songes grandioses, le cœur plein d’amour », c’est ainsi que Louise trace un portrait de l’artiste.
Plus tard, Louise Michel écrira :
« La musique canaque avec ses quarts de ton ressemble au vent, aux bruits de bois, aux flots, souvent elle est douce, quelquefois rauque, parfois on dirait des gouttes d’eau tombant sur les feuilles. »
Mais rappelons sa profession : institutrice et, de plus, une enseignante très moralisatrice – un peu datée, peut-être – comme le montre Le Livre du Jour de l’An. Historiettes, contes et légendes pour les enfants, textes écrits dans la prison d’Auberive avant son départ pour la Nouvelle-Calédonie.
D’autres contes et d’autres récits présentent un aspect plus rude comme cette référence à Gilles de Rais quand elle parle des ogres ; de même l’histoire de la Vieille Chéchette, créature sauvageonne qui finira sa vie en s’offrant généreusement en sacrifice, personnage qui porte sans doute en lui bien des aspects de Louise Michel elle-même.
Ainsi peut-on ne pas craindre la mort : « Les pères ont bu la vie […]. Dormez, ô pères ! Dormez longtemps, le rêve est bon, ne plus rêver est meilleur. »

« Les parfums sont plus doux quand les fleurs sont coupées,
Il est d’acres senteurs dans les herbes fauchées. »
(
Chanson de printemps)

C’est de Nouvelle-Calédonie, dans les Légendes et chants de gestes canaques, que Louise rapportera des récits où elle n’hésitera pas à intégrer des mots autochtones, comme ceux désignant la femme, la « popinée », ou encore la « nemo », c’est-à-dire rien, ou alors un « objet d’utilité », car « la femme en Calédonie ne compte pas », nous dit Louise qui, très à l’écoute de la parole kanak, se fera pour eux l’institutrice du dimanche en abordant tous les sujets possibles dont, semble-t-il, il ne reste pas de traces.
Elle n’hésitera pas dans ses textes à mettre en parallèle les légendes des îles océaniennes où elle a vécu environ sept années avec les nôtres, que ce soit celle de Faust ou celle d’Orphée ; cette dernière à partir d’une légende iroquoise. Et puis d’autres encore…
Pour son caractère par trop simpliste et parce qu’on ne pense pas avec des slogans, nous avions critiqué par ailleurs la magnifique formule attribuée à Louise Michel : « Le pouvoir est maudit, c’est pour cela que je suis anarchiste » ; cela en avançant la distinction qu’il faut faire entre le « pouvoir sur » et le « pouvoir de », autrement dit entre la domination et la possibilité individuelle d’agir librement. Sans doute était-ce là pinailler…
Embarquée, à Saint-Martin-de-Ré, sur le Virginie le 9 août 1873, elle ne reviendra à Paris qu’en novembre 1880 ; en 1878, elle sera solidaire des révoltés kanak et du « grand chef » Ataï qui sera assassiné par un traître et dont le crâne séjournera longtemps dans un musée parisien.
Pour finir – ou pour n’en pas finir –, ajoutons que Louise ramena de Nouvelle-Calédonie des mots kanak par poignées ; et, constatant que les mots passent d’une langue à l’autre, tout en conservant leur vitalité, elle rêvait de voir se construire une langue qui deviendrait lentement universelle.
Dans le pays où elle avait été envoyée de force, elle contemplait, de jour, de nuit, le spectacle des cyclones – qu’elle comparaît à des révolutions – ; devant l’océan, devant les montagnes et les bouleversements géologiques, elle s’enthousiasmait et se mettait à rêver à d’autres chambardements, libertaires et égalitaires, ceux-là.
Quoi qu’on en dise, nous adopterons le propos de Verlaine dans sa Ballade et dans son refrain : « Louise Michel est très bien. »

Claude Rétat, Art vaincra !
Louise Michel, l’artiste en révolution et le dégoût du politique,
Bleu autour éd., 2019, 272 p.

Louise Michel, La Révolution en contant,
Histoires, contes et légendes,
textes réunis et présentés par Claude Rétat,
Bleu autour éd., 2019, 560 p.

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