Reprise sans lâcher

Paru dans le numéro 18 (mai 2019) de
Chroniques poétiques et,
précédemment publié par
Le Manoir aux dictions.
Les collages sont à retrouver dans
Ma chandelle est vive, je n’ai pas de dieu,
Atelier de création libertaire,  2008.

*

Le dernier invité à boire la soupe au sang
ne porte pas de nom.
Sous un ciel vide – paupière fermée –
qui dort comme une page blanche,
l’attention aux signes demeure vive.

Advienne ce ciel muet pour qu’un crabe délicat
puisse écrire, sur le sable noir,
le frémissement mouillé de l’huître,
quand la moto joue du tambour.

L’oiseau Sans-Nom sera-t-il égorgé
alors que l’on cueille des mûres ?
Mon impatience, sans doute, l’a perdu.

L’aimant d’Elseneur se désagrège,
et le cri des papillons m’éveille,
et le crapaud lui aussi va se perdre.
Mais c’est la guerre, madame !

Nous n’achèverons pas
l’extraction de la pierre de folie
ni l’énonciation des quatorze vertus cardinales.
Nous ne dirons plus que : « Rien ne change ! »

Il en sera déduit
que la disparition de l’archet dogmatique
dépendra de l’invention de la morale.
Il s’agit de passer à l’acte, de franchir le pas :
nous n’avons pas épuisé toutes les erreurs possibles.
Car je suis comme un arbre sans oiseaux.

Mais, enfin, couronné de silencieux rapaces,
qu’en sera-t-il au point du jour ?
Entendra-t-on ce petit tocsin
pour l’insurrection du mystère ?
Et un peu de turbulence agitera-t-elle
l’œil qui dort quand la tension des montgolfières
se maintient, suave,
et gonflée aussi d’une légère musique de décadence ?
Accès dès lors permis à une conscience bleue
où l’œil, pourtant poisson, glisse dans l’espace.

Soudaine,
l’insomnie se déprend d’un dernier rêve rouge :
l’impasse de la lune noire n’est pas loin du porteur d’utopies.
Oui,
j’ai cherché la femme errante
dans la zone de quiétude réservée aux oiseaux et,
longtemps, j’ai dormi sans paupières ;
mes yeux bâillaient comme une bouche ouverte
alors que le cœur de la Dame aux hippocampes –
soumis à la colère des œufs – brûlait…

Clairière illuminée de libellules lasses,
signes de singes autour d’une orange bleue.
Aux frontières légères de ce cœur,
les quatre mains de l’amour premier
découvraient le vivant ouvrage lors de rencontres attendues.
Et dans ce labyrinthe, entre mille sources noires,
j’écouterai l’océan très jeune qui repose sous l’herbe.

 

S’en vient la compagne aimée,

débâcle des glaces du printemps,
cheveux en essaim de guêpes folles,
feu de ronces sous la pluie.

Tant joue la poupée seule que la paille se meurt
lors de la parade nuptiale du célibataire,
et l’adolescente énigmatique retient précieusement
le sommeil des allumettes.

Dès lors, la poupée écolière boira l’encre d’avril :
baiser de l’abeille lors de la canicule.

Mes compagnons boivent le vin, bon an mal an,
et je cueille et disperse
les fruits de mes arbres spirituels
qui délieront les langues amies :
poètes seront ou mourront !

Tenté, sans résistance, je suis entré par les fenêtres
sans maison où naissent d’étranges papillons
qui troublent encore le cœur des femmes.

Qu’importe l’autoportrait incertain avec erreur,
et un autre presque vaniteux, mais aussi un peu triste !
Oui, je serai dévoré…
Qu’importe cela et le reste !
Eh ! qu’importe l’énigme irrésolue :
les chiens du néant attendent patiemment leur proie.

Athée de tous les dieux, ma chandelle reste vive
Et la clé se rouille sur la porte battante…

 

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