L’associationnisme

L’Histoire, bien qu’elle soit reconstruite avec partialité par les vainqueurs, doit pourtant, et d’abord, retenir notre plus grande attention, car il reste en mémoire suffisamment de matériaux pour notre enseignement ; puis notre regard se portera vers le futur, surtout quand naissent autour de nous, propulsées par la vie – inextinguible en ses aspects les plus étranges –, des initiatives sociales de toutes sortes ; nous pensons au Rojava, au Chiapas et, bien sûr, à toutes les ZAD ; nous pensons aussi à ce qui se passe à Marinaleda, en Andalousie ; oui, telle pourrait être notre façon stimulante d’être dans le présent.

Pierre Bance, dans Un autre futur pour le Kurdistan ?, dit-il autre chose en posant cependant un doigt critique sur notre imaginaire paralysé et encombré par le passé ?
« Aussi, plutôt que nous complaire dans la destruction de toute pensée qui n’est pas dans la ligne de l’héritage ancestral, peut-être ferions-nous preuve de maturité politique en remisant nos conservatismes révolutionnaires, notre histoire plus fantasmée qu’héroïque, pour retenir le mieux de nous-mêmes et des autres afin de moderniser une idée émancipatrice qui, elle, n’a rien perdu de son actualité. En un mot, sortir des catacombes, comme là-bas [au Rojava] être présents dans le présent. »
Julien Vignet, dans « Égoïste point ne seras », ne craint pas, lui, de se replonger dans le passé et trace modestement une « esquisse » d’une histoire qu’il estime principalement « séditieuse », celle de l’associationnisme, une histoire du socialisme naissant, une histoire en partie « occultée », mais surtout récupérée par l’intervention étatique qui a limité ou mis en tutelle les expériences. « Ces événements ne cessent d’éclairer le présent et potentiellement de l’inspirer pour qui sait les écouter », écrit-il.
Et encore :
« Une association peut bien mourir, ce qu’elle porte peut résonner à travers les âges. »
Il fut un temps, rappelle l’auteur, où « les secours mutuels se faisaient à la base » sans l’intervention de l’État, en confréries ; l’associationniste s’inscrivait alors dans une tradition contestataire et révolutionnaire. Les lieux de sociabilité populaire étaient le cabaret où les hommes boivent ensemble ; le lavoir, la fontaine où se tenaient les femmes ; les places des villages où s’organisaient les foires ; par ailleurs, les divers compagnonnages participaient et anticipaient l’idée et la pratique de l’associationnisme. De même que les corporations où, très vite, se fera sentir l’intervention royale qui, en octroyant des droits, maintenait son contrôle.
Cependant, dans le peuple, vont se mettre lentement en place des alliances plus soucieuses de bien commun, de secours mutuel, d’entraide, d’aide médicale, de pensions pour les anciens, d’allocations aux veuves ; en bref, des caisses communes qui pouvaient, de plus, servir de soutien aux grévistes.
Si l’idée d’associationnisme fit un bond en avant grâce aux Lumières et à la Révolution de 1789, cela ne profita qu’à la bourgeoisie qui se réunissait dans ses clubs et ses cafés.
C’est William Godwin, en Grande-Bretagne, qui développera l’expression théorique la plus aboutie de l’associationnisme. Quant à la « plèbe », aux « gens de bras », s’ils s’inspireront des pratiques bourgeoises, il n’en reste pas moins qu’ils s’appuieront sur des traditions populaires anciennes, sur des associations et des sociétés le plus souvent clandestines.
C’est en 1790 que les compagnons imprimeurs créent la Société typographique qui accorde assistance à ses membres. Mais, dès 1791, la loi Le Chapelier interdit les associations entre gens de même métier ; puis la loi napoléonienne de 1810 « impose la dissolution de toute association de plus de vingt personnes non autorisées préalablement par les pouvoirs publics… »
Mais l’idée d’association continuera de se propager de façon discrète au sein des classes populaires tandis que vont émerger des théoriciens comme Saint-Simon, Fourier, Cabet, Proudhon, Déjacque, Leroux dont Julien Vignet décrit les particularités. Pour ces socialistes associationnistes, qualifiés d’« utopistes », il s’agit « moins d’en découdre avec le monde tel qu’il est » que d’essayer, ici et maintenant, de mettre en pratique leurs idées.
Mais c’est en 1848, lors des journées révolutionnaires de février, qu’au grand jour « les ouvriers armés réclament le droit de s’associer entre eux pour jouir directement du bénéfice de leur travail ». Différents projets et expériences se mettent en place en rupture avec l’essor du capitalisme ; desseins qui se termineront en juin dans le sang et la répression.
Puis l’associationnisme, selon Julien Vignet, encadré juridiquement, « se diluera » dans l’économie sociale à l’exemple du familistère de Godin ; ainsi, les associations auront « tendance à reproduire des logiques marchandes et bureaucratiques » avec certaines qui, cependant, « de manière cachée », poursuivront leur projet associationniste tandis que « l’État social » s’installera avec la prétention de corriger les inégalités et les injustices.
Pour autant, de l’idée associationniste naîtront le socialisme au sens large, le syndicalisme révolutionnaire, la conscience de classe, l’anarchisme, les conseils ouvriers et la conviction « que le peuple est immédiatement capable de se prendre en charge ».

Julien Vignet, « Égoïste point ne seras ».
Esquisse d’une histoire sociale de l’associationnisme,
Noir & Rouge éd., 2019, 146 p.

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