À la guerre, faut pas y aller !

Diffusé sur la Clé des ondes à Bordeaux
lors de l’émission Achaïra du lundi 7 janvier 2019
  

Non ! À la guerre, faut pas y aller !

Ils n’y allèrent pas ces ouvriers du livre, des Français réfugiés à Lausanne, en Suisse. C’est ce que nous pouvons lire dans un texte de François Gross, une préface plutôt incongrue pour présenter le Guide du typographe romand (5e édition, 1993) :
« C’était dans les années cinquante. L’équipe des typographes qui composaient la Gazette de Lausanne comptait encore dans ses rangs des Français, anciens réfractaires de la guerre 14-18. Ils s’étaient réfugiés en Suisse pour ne pas servir de chair à canon dans les tranchées de Verdun ou d’ailleurs. À leur manière, ils étaient les seigneurs de l’atelier. Quittant parfois la chaise basse sur laquelle ils étaient assis derrière leur linotype, ils abordaient le stagiaire journaliste, le doigt pointé sur une copie défectueuse : Ce n’est pas du travail, ça ! L’erreur grossière, la faute légère, le péché contre l’orthographe, la syntaxe ou le bon usage grammatical, le crime contre la juste ponctuation étaient, sans excessive aménité, dénoncés et flétris. »

Il y a cent ans, la guerre de 14 était terminée déjà depuis quelques mois, et Pierre Monatte (1881-1960), le syndicaliste pacifiste, attendait encore sa démobilisation qui ne sera effective qu’en mars. Un livre Lettres d’un syndicaliste sous l’uniforme, 1915-1918 (Smolny, 2018) – nous dit, sans s’attarder sur l’horreur du carnage, dans des courriers quasi quotidiens à sa compagne et à ses amis, le drame de cet homme.
Oui, Pierre Monatte y alla, lui, à la guerre ; d’abord réformé puis rappelé, il se promet de « refuser de tirer sur un autre être humain » ; ce qu’il réussit à faire sans risquer un « refus d’obéissance » qui l’aurait mené tout droit au poteau d’exécution en obtenant un « poste de signaleur » puis de « téléphoniste », des fonctions risquées qui firent qu’il fut cité à l’ordre de son régiment pour avoir assuré « dans les circonstances les plus difficiles et sous de violents bombardements la réparation des lignes téléphoniques ». Étonnant ! Non ?
Le reniement des promesses de paix et le ralliement des directions de la CGT et de la SFIO à l’Union sacrée et à la guerre ne pouvaient que susciter le plus grand déchirement moral chez un militant syndicaliste comme Pierre Monatte qui, alors, renonça à ses fonctions au comité confédéral CGT tout en diffusant largement sa lettre de démission.
D’un côté, les Français pouvaient mettre en avant leur « Poincaré la Revanche » ou « Poincaré la Guerre », un Lorrain qui gardait en mémoire l’invasion de 1870 et qui, ayant atteint les plus hautes fonctions, préparait la guerre avec une loi, votée en juillet 1913, prolongeant le service militaire de trois ans ; de l’autre, les Allemands, eux, n’étaient pas en reste avec un Guillaume II colonialiste et expansionniste ou avec un social-démocrate comme Noske qui affirmait au Parlement allemand dès le 25 avril 1907 :
« Le camarade Bebel a déjà souligné que les sociaux-démocrates partiront sac au dos au cas où une attaque surviendrait, et il affirme qu’il n’y a aucun social-démocrate allemand qui exprimerait une autre conception. »
Chez les anarchistes, le sujet de la discorde, ce fut le Manifeste des seize que signent Pierre Kropotkine, Jean Grave et quelques autres, manifeste qui prenait parti pour les Alliés et contre l’« agression allemande » et sa « barbarie ». Pour eux, « il fallait y aller » à la guerre.
En avril 1968, selon ce que nous rapporte Jan dau Melhau, témoin lors du procès de l’objecteur anarchiste Jean Coulardeau, le pasteur Lasserre pouvait déclarer : « On nous dit que l’armée est là pour nous protéger. En un siècle et par trois guerres, elle n’a pas empêché l’invasion. Je me demande si le remède n’est pas pire que le mal. »
Ainsi, le problème se pose à tout un chacun d’avoir à décider ce qu’il fera devant une guerre nationale, devant une guerre coloniale et même devant une guerre civile.
D’ailleurs, « guerre » et « civile », ces deux mots ne se contredisent-ils pas ?
Guerre civile ? Autrement dit, pour certains, « le peuple en armes » pour la justice et la liberté.
Mais l’Histoire n’a-t-elle pas montré que toutes les guerres civiles se sont militarisées, créant grades et hiérarchie, commandement et obéissance ?
Oui, à la guerre, quelle qu’elle soit, faut pas y aller !

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter par d’autres moyens…
La désobéissance civile généralisée en est un qui doit se préparer collectivement et dès maintenant ; il s’agit avant toute chose de désencombrer nos imaginaires imprégnés par la violence armée et de mettre en branle notre créativité sociale et l’entraide.

1er janvier 2019

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