Georges Las Vergnas

Publié dans La Pensée libre, n° 5,
trimestriel de la Libre Pensée 87,
septembre-novembre 2018

Un témoignage de gratitude

Aucunement qualifié pour être l’historien de l’homme de grande culture que fut Georges Las Vergnas (1911-1986) qui, de la condition de prêtre, vicaire de la cathédrale de Limoges, devint un très brillant orateur de la Libre Pensée, je ne m’autorise cet écrit qu’en simple témoin et, surtout, parce que Las Vergnas fut, à son corps défendant, une clé pour ma vie à venir.
Cela se passait avant 1956 ; je ne saurais mieux préciser la date : des archives pourraient renseigner sur ce manque.
Ayant assisté à au moins une de ses conférences, je dois dire que c’est ce soir-là, en sortant, que j’ai pris la décision de « ne jamais devenir soldat ». J’étais alors un tout jeune garçon qui avait l’impression de naître.
Quelques années plus tard, Georges Las Vergnas aurait pu être inculpé pour incitation de militaires à la désobéissance.

Ma petite histoire d’abord très personnelle devint heureusement collective ; cette aventure, et ce fut une aventure, est retracée dans un livre (Réfractaires à la guerre d’Algérie avec l’Action civique non-violente, 1959-1963) publié chez Syllepse en 2005 ; le nom de l’« auteur », Erica Fraters, n’étant que l’anagramme du mot « réfractaires ».
Ainsi y a-t-il dans l’existence des personnages qui éclairent le chemin et peuvent nous amener à sortir du troupeau, à franchir des interdits et à tout simplement nous dépasser. Une fois reconnues et acceptées, certaines valeurs s’imposent solidement au plus profond de nous : Être anarchiste oblige ! avais-je titré une petite biographie publiée à l’Atelier de création libertaire en 2010.
Si je n’ai pas noté la date de cette conférence de Georges Las Vergnas, cela se passait, c’est certain, à la maison cantonale de La Bastide, près de Bordeaux, de l’autre côté du vieux pont de pierre ; et c’est par une curiosité vraiment toute personnelle que je me demande encore quel thème pouvait bien traiter le conférencier ce soir-là, car l’antimilitarisme ne transparaît pas particulièrement dans les titres de ses œuvres.
Ce dont je me souviens, c’est que Las Vergnas parlait sans micro tout en arpentant la scène, ses pas scandant un discours prononcé d’une voix tout à la fois forte, grave et chaude. C’était une parole à l’ancienne, articulée pour être entendue distinctement même au fin fond d’une grande église. Si son éloquence était naturelle, nul doute que l’expérience de son ministère concourrait au résultat.
Revenant de temps à autre à Limoges et fréquentant des militants de différents groupes, j’ai été surpris que le souvenir de cet homme ait quasiment disparu de la mémoire des plus jeunes et aussi des anciens rencontrés ; étonné, je m’en suis spontanément inquiété.
N’étant donc pas historien, et comme pis-aller en attendant mieux, car il serait dommage d’en rester là, j’invite les plus curieux à aller sur la Toile compléter les brèves informations qui suivent avec, évidemment, les précautions d’usage, cet outil n’étant pas toujours fiable.

C’est à cette époque – au début des années 1950 – que j’ai également rencontré au moins deux autres de ces personnages qui affichaient leur athéisme sur les murs des villes et mettaient plus qu’en doute l’existence de Jésus-Christ tout en dénonçant les institutions ecclésiastiques complices des régimes autoritaires et fascistes.
Le premier, André Lorulot (1885-1963), était un ancien du journal L’Anarchie et qui fut, par la suite, durant plusieurs années, président de la Fédération nationale de la libre pensée. Lorulot éditait La Calotte, un petit journal anticlérical que mon père apportait à la maison, sans le lire, me semble-t-il, car il ne regardait que les caricatures. Ce journal, outre son aspect « bouffeur de curés », mettait l’accent sur la lutte contre le tabac, sur l’antialcoolisme, le naturisme et peut-être était-il à l’avenant pour le végétarisme ; bien sûr, l’antimilitarisme allait de soi. J’avais environ 12 ans.
Vers l’âge de 9-10 ans, en recherche, j’avais voulu être enfant de chœur, pour le ravissement de ma mère qui me voyait déjà devenir évêque comme un certain Mgr Duval avec qui elle avait été à l’école dans son village savoyard. Mon père observa un grand silence interrogatif. Mais, très rapidement, il m’est apparu, devant les petites ou grosses bêtises que je pouvais faire, que Dieu, dans sa grande indifférence, laissait faire, même les pires atrocités. J’ai décidé alors que Dieu et le vide, c’était pareil.
Plus tard, est-ce dans Rabelais que je lirai que la théologie est la science du rien ?
Le deuxième personnage, c’était Aristide Lapeyre (1899-1974) que, malgré ma jeunesse et pendant un certain temps, j’ai côtoyé quasiment chaque semaine dans un endroit que nous nommions l’école Sébastien-Faure ; c’était un bien grand mot pour cette pièce située dans l’ancien athénée municipal et où se tenaient des causeries sur les thèmes les plus divers. Aristide était un anarchiste de grande ouverture d’esprit et quasiment inclassable dans la galaxie libertaire. Il avait été inculpé en 1935 dans ce que l’on appela l’Affaire des stérilisés de Bordeaux parce qu’ils pratiquaient la vasectomie.

*

La mère de Las Vergnas le destinait à la prêtrise ; aussi, tout naturellement, à 10 ans, entra-t-il au petit séminaire ; il est ordonné prêtre à 23 ans dans le diocèse de Limoges où il exerce son ministère, puis il est rapidement nommé vicaire de la cathédrale. C’est alors qu’il commence à douter et à s’opposer à sa hiérarchie qui va le mettre à l’écart en le nommant dans la Creuse.
Cet éloignement, transformé en retraite studieuse, lui fut profitable pour écrire et lire, entre autres, deux auteurs :
Joseph Turmel (1859-1943), prêtre et professeur au grand séminaire de Rennes ; et qui fut excommunié en 1930. Son histoire des dogmes montre que ceux-ci ont beaucoup varié au cours des siècles.
Prosper Alfaric (1876-1955), également prêtre et professeur de philosophie au grand séminaire de Bordeaux, puis professeur de dogme à Albi. L’homme devient progressivement sceptique à la lecture des philosophes rationalistes et des modernistes comme Loisy et Lagrange. En 1933, Alfaric sera frappé d’excommunication majeure, déclaré vitandus (« qu’il faut éviter »).
Bien sûr, d’autres auteurs seraient à citer…
C’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale que Georges Las Vergnas quitte l’Église, et Henri Vergnolle (1891-1958), journaliste au Populaire du Centre, l’engage d’emblée comme secrétaire.
En 1947, Las Vergnas adhère à la Libre Pensée. Commencent alors des tournées de conférences et la publication de ses œuvres.
Citons ici quelques titres :
Fleurs d’ortie, en 1954, chez l’auteur.
Pourquoi j’ai quitté l’Église romaine, Besançon, Imprimerie Les Comtois, 1956 ; réédité à Paris par La Ruche ouvrière en 1966.
 Jésus-Christ a-t-il existé ? Paris, La Ruche ouvrière, 1958 ; réédité par La Ruche ouvrière en 1966.
 Des miracles de Lourdes à Teilhard de Chardin, sept conférences ou études, Paris, La Ruche ouvrière, 1962.
 Le Cantique des cantiques et l’Ecclésiaste, Paris, La Ruche ouvrière, 1964.
 Le Célibat polygamique dans le clergé, Paris, La Ruche ouvrière, 1967.
Le Dictionnaire d’un libre-penseur écrit pendant son séjour forcé en Creuse n’a pas été édité, mais il serait sans doute intéressant de le faire à condition, bien sûr, de retrouver le manuscrit.
Il me reste, quant à moi, une édition dédicacée de son François Villon. Poète et clerc tonsuré, publiée en 1967 chez Maubert (première édition en 1963). Je dois dire qu’à la lecture de ce livre j’ai retrouvé avec une grande émotion la scansion de la voix de Georges Las Vergnas.
On peut constater que quelques-uns de ses livres furent imprimés à Paris, rue de Montmorency, à la Ruche ouvrière gérée par quelqu’un que nous appelions « Monsieur Jean » ; c’était un homme très doux, déjà âgé et aux beaux cheveux blancs qui se nommait Aprahamian, et c’est chez lui que, pendant une dizaine d’années, nous avons fait imprimer notre modeste revue Anarchisme et non-violence (1965-1974).
Georges Las Vergnas meurt en 1986 d’une crise cardiaque.
« La mort est moins extraordinaire que la naissance, car c’est une sorte de miracle que nous soyons là malgré des milliards de probabilités contraires. La mort termine une aventure invraisemblable, presque abusive. En nous remettant à la fonte, elle nous fait rentrer dans la norme », a écrit quelque part notre auteur.

André Bernard
juin 2018

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Solange Bidault rappelle que dans son livre Pourquoi j’ai quitté l’Église romaine (Chapitre 7.12, « Un beau baptême »), Georges Las Vergnas nous fait surtout part de ses réflexions sur les dogmes, les écritures et les sacrements, et de leur influence sur la morale, les conceptions sociales et politiques du christianisme en général, et de l’Église romaine en particulier.

1. Pourquoi j’ai quitté l’Église catholique romaine
Ce chapitre parle de la jeunesse de Georges Las Vergnas à partir de son entrée au petit séminaire à 10ans jusqu’à son exil en Creuse pendant la Seconde Guerre mondiale, quatre années d’intense activité intellectuelle, dont la rédaction de 3 000 feuillets en vue d’un dictionnaire d’exégèse et de théologie (non publié, semble-t-il), mais qui a préparé son œuvre.
2. L’écriture sainte
Une lecture attentive de la Bible montre à l’évidence une évolution dans la mentalité du peuple hébreu, les livres les plus récents révisant ou contredisant en général les plus anciens. On voit l’évolution à l’œuvre dans les conceptions de l’âme, mais surtout dans le passage d’un dieu-potentat oriental parmi d’autres au dieu unique des prophètes, qui s’est entre-temps amendé.
3. Le dogme
Une autre évolution de la Bible juive est l’amoindrissement de la faute héritée : nous passons de la damnation punissant les générations futures à un destin individuel où les fils ne paient plus pour leurs pères, leçon ignorée d’Augustin d’Hippone (354-430), qui inventa le péché originel. Le chapitre évalue aussi les dogmes de l’enfer, de la rédemption, de la prédestination et de La Trinité, qui servent tous à contraindre ou désorienter le chrétien.
4. Les sacrements
L’auteur compare à plusieurs égards les sacrements à une magie peu en rapport avec la morale : il est par exemple possible de gagner le Ciel par le fait de la présence d’un prêtre à l’article de la mort, même sans contrition sincère.
5. La morale
Pour Georges Las Vergnas, la morale doit s’adapter à l’humanité : l’homme survivant à ses dieux, c’est sur lui qu’il faut baser la morale. S’il était bon, par exemple, pour le peuple d’Israël d’il y a 3 000 ans de croître et de multiplier, l’auteur en appelle au contrôle des naissances. Or le prêtre, par une morale momifiée dans les dogmes, est un policier plutôt qu’un moraliste.
6. La politique
Partant de l’idée que l’esprit est supérieur à la matière, l’Église ne peut accepter la démocratie ni la laïcité ; le pape étant le successeur de saint Pierre, il est le seul chef : l’Église est donc monarchique et totalitaire. L’auteur cite les textes plus ou moins récents (en 1956) du XIXe et XXe où l’Église catholique romaine réaffirme cette position. Par ailleurs, l’Église catholique s’est compromise avec Franco et Mussolini, a aimé les très catholiques Canada, Portugal et Irlande, a fomenté un coup d’État en Argentine lorsque Peron a voulu la laïciser… L’Église est son propre but, et est prête à tout ce qui peut la conforter.
7. Le social
Ce chapitre étonnera peut-être tant il semble évident pour beaucoup que l’Église a toujours œuvré pour les humbles et, prêchant l’égalité devant Dieu, elle serait même à l’origine des droits de l’Homme. En fait, l’Église n’est que hiérarchie et n’a jamais voulu remettre l’ordre social en question : elle n’a combattu l’esclavage qu’au moment où il était en perte de légitimité et les encycliques « sociales », toujours ambiguës, n’ont fait que suivre (de loin) les conquêtes ouvrières.
8. Vers la libre pensée
Ce dernier chapitre revient à la biographie de l’auteur, son entrée dans la vie civile et professionnelle dans le début d’après-guerre et ses rencontres avec Couchoud et Lorulot. L’arrivée de lois favorables au catholicisme (Barangé) le pousse à adhérer à la Libre Pensée, à se lancer dans les conférences et à écrire des articles.
Une citation
« [L’Église] veut réconcilier capitalistes et prolétaires par l’union des classes : c’est sauver le capitalisme lui-même des colères du prolétariat. L’union entre voleurs et volés n’est qu’au bénéfice des premiers. »

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