Liberté, égalité… solidarité

Melle Olderboerrigter, 1908-1976

Publié par Casse-rôles, n° 4, mai 2018

Il y avait là devise à corriger, car les femmes ne sont pas nos frères ! Amendement qui n’est pas pour demain, nous dit Éliane Viennot dans Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !
De la belle ouvrage que ce petit livre qui « voudrait montrer que, pour l’essentiel, les problèmes que nous rencontrons avec le “sexisme de la langue française” ne relèvent pas de la langue elle-même, mais des interventions effectuées sur elle depuis le XVIIsiècle par des intellectuels et des institutions qui s’opposaient à l’égalité des sexes ; et que, pour l’essentiel aussi, les solutions que nous cherchons à ces problèmes existent déjà. Les solutions linguistiques, s’entend ».

Qu’on ne s’y trompe pas, ce problème de la langue est un problème de pouvoir, celui des hommes sur les femmes.
Des esprits « supérieurs » avançaient, en effet, que le masculin était plus noble que le féminin. Idée et pratique reprises de multiples façons par les écoles primaire et secondaire, par l’enseignement supérieur, par les administrations et les banques, etc. Ce que, déjà, en 1792, une Requête des dames à l’Assemblée nationale dénonçait :
« Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles. »
S’il y a eu très tôt un effort de certains pour « masculiniser » la langue, Éliane Viennot, par sa fréquentation de l’histoire des « femmes de l’ancienne France », note que, à l’inverse, des femmes et des hommes ont lutté « contre les infléchissements sexistes qu’on voulait imposer à leur langue en même temps qu’à leur pensée ». Le combat rétrograde était, lui, mené essentiellement par des gens d’Église, des célibataires par choix qui, s’appropriant le savoir, refusaient l’égalité des sexes pour sauvegarder leurs privilèges ; combat qui allait pourtant à l’encontre de certains usages populaires. Ainsi, dans les années 1570, un certain Robert Garnier, dramaturge, emploie naturellement le mot autrice ; ainsi, un document juridique indique qu’une dame morte était propriétaire et possesseure de plusieurs maisons, etc.
L’arrivée de l’imprimerie à la fin du XVsiècle bouleversa la vie de la classe des lettrés en apportant ses innovations mais, surtout, ses normalisations. En poésie, on s’avisa que la terminaison e était féminine et la terminaison é, masculine, « tant il est vrai, fait remarquer Éliane Viennot, que l’homme se caractérise par un petit quelque chose en plus, qui monte quand il est dur ».
La construction de l’État français et la nécessité d’une administration furent le terrain de choix de la gent cléricale instruite pour amplifier l’emprise masculine ; pour autant, cela n’empêcha pas nombre de femmes « gouvernantes » d’exercer le pouvoir à plusieurs reprises. Un autre domaine, autre lieu de concurrence, les métiers occupés par les clercs comme la création littéraire et artistique où brillèrent, ne leur en déplaise, nombre de femmes.
Parmi les plus réactionnaires, un certain Louis-Nicolas Bescherelle (à la consonance féminine ?) avançait comme argument : « Parce qu’en France, c’est comme ça » ; ainsi, on ne pouvait pas dire : professeuse, graveuse, compositrice, traductrice, etc.
Et pourquoi donc ? Et pourquoi, se demandera-t-on encore, certains mots désignant des êtres inanimés sont-ils sexués ? Un tabouret ? Une chaise ? Pourquoi certains sont-ils bisexuels ? Amour ? Œuvre ? Eh oui, le neutre n’existe pas en français.
C’est sur la question des accords que les choses vont s’animer et ouvrir la voie à des discussions à l’infini, car tout un enseignement est à oublier ; il nous faut désapprendre ce que l’école nous avait difficilement enseigné. Mais les « nouvelles façons » ne vont-elles pas nous faire découvrir d’autres formes d’expression plus créatives ? Ce qui est sûr, c’est qu’il va falloir, maintenant, s’habituer aux accords de proximité.
Mme de Sévigné répliquait à quelqu’un qui lui disait qu’il était enrhumé : « Je la suis aussi », au lieu du prétendument correct : « Je le suis aussi. »
Et il nous faudra un peu de temps pour retrouver des usages condamnés par des pédants et aussi pour se délivrer des mots épicènes facteurs d’incertitude sexuelle : poète, philosophe, peintre, etc. Alors que l’on dit aisément diablesse, abbesse et comtesse, pourquoi ne pas dire poétesse, philosophesse et peintresse ?
Par ailleurs, la langue française étant intrinsèquement genrée ne va pas dans le sens d’une « fluidité » entre les sexes comme le souhaiteraient celles et ceux qui sont partisan·e·s de « l’indifférence des sexes ».
Un usage s’imposera, sans doute ; cependant, sans combat, toute oppression se perpétue ; aussi faut-il accompagner cette lutte féministe et s’engager, dès maintenant, à déconstruire des mécanismes mentaux dont nous n’avons même pas une conscience claire.
On pourra commencer par employer ce que l’on nomme le « point au milieu » qui ne risque pas d’être confondu avec autre chose et qui évite des ennuis typographiques ; ce n’est pas sorcier·e : on tape alt 250 sur son PC et alt maj F sur son Mac !

Éliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !
petite histoire des résistances de la langue française,
édition iXe , 2017, 144 p.

Une action d’art112 sur un mur

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