À propos du boycott

Extrait de Le Boycott,
moyen de lutte multiforme
De Lysistrata au BDS
dAndré Bernard
avec la coopération de
Geneviève Coudrais
et de
Nicole Lefeuvre
Les Éditions libertaires
Mars 2018
Collection Désobéissances libertaire

 

L’individu et le collectif

Ainsi, pour le décliner encore autrement, nous dirons que le boycott est un moyen de lutter, utilisé par des groupes politiques, des syndicats, des formations religieuses, des
États même, mais également par un individu tout seul. Cette dernière affirmation est à
retenir car il est certain que le boycott donne à l’individu une liberté d’agir, l’ouvre à des
initiatives ; dans l’action du boycott, l’individu ne s’efface pas derrière un collectif ou
derrière une organisation ; d’une certaine façon, il s’en affranchit ; pour autant, il est de
la plus grande évidence que le succès dépend de son articulation avec le collectif. On ne
réussit pas seul ; néanmoins, le boycott demeure un acte individuel qui se valorise au
sein d’un collectif même quand il ne reste qu’«un choix silencieux, effectué seul, dans l’allée bondée d’un supermarché » ; le boycott peut être un acte minimal, un moyen pauvre.

Certes, il n’empêche, comme l’écrit Gandhi en 1920, qu’« un boycott pratiqué par une poignée d’hommes revient à frapper un éléphant avec un fétu de paille ».
Le boycott redonne à la base une marge de manœuvre en se détournant des directives de
l’organisation politique ou syndicale trop encombrée du passé militant ; l’individu l’emporte ainsi sur une quelconque hiérarchie. Si un dirigeant syndical peut, sans doute, arrêter une grève, en aucun cas il n’a le pouvoir d’arrêter un boycott ; avec le boycott, on se trouve devant une façon d’agir par en bas, une manière de faire aux perspectives ouvertes et qui ne repose pas sur une verticalité structurée, sur un encadrement autoritaire, sur une
discipline obligatoire ; rien n’est demandé à qui entre en boycott, même pas un engagement physique à risques ; l’adhésion au boycott n’implique donc aucune astreinte ;
chacun s’engage selon ses possibilités, selon ses forces, et choisit sa façon de s’impliquer.
Et comme l’écrivent Eyal Sivan et Armelle Laborie dans Un boycott légitime :
« Avec trois lettres pour seule identité visuelle et des directives d’action accessibles à tous, le BDS
[Boycott, désinvestissement, sanctions] est un label mondialement connu qui fonctionne sans organisation centralisée, sans organigramme ni chef.»
Cet engagement individuel serait la caractéristique d’un « nouveau militantisme » horizontal, antibureaucratique et antihiérarchique qui se concrétise autour de projets éphémères et immédiats ; le boycott, par une action économique, mais pas seulement, peut retrouver un pouvoir que l’action politique a dévoyé, créant une désaffection caractérisée envers les démocraties représentatives occidentales qui se manifeste clairement dans l’abstentionnisme électoral ; le boycott cherche ainsi  d’autres voies.
Le boycott, généralement, déplace le conflit du lieu de production vers le lieu de la
consommation car, le capitalisme étant maintenant largement mondialisé et le prolétariat
fortement atomisé, le combat du prolétaire se doit d’envisager de lutter autrement ; ainsi la lutte des classes prendra-t-elle d’autres formes.
Il faut bien constater que, de par le monde, toutes les grandes aspirations sociales se voulant émancipatrices et qui ont accédé au pouvoir étatique ont échoué à concrétiser leur
projet ; une nouvelle manière de faire se présente, nouvelle dans la mesure où on connaît
de mieux en mieux ses ressorts et, maintenant qu’on l’a nommée et analysée, on la maîtrise davantage. Ainsi se dessine entre les producteurs, d’une part, et les consommateurs et usagers, d’autre part, une possible entente pour la construction d’un moyen de pression appuyé par l’ensemble des citoyens.
Allons-nous assister dans les temps à venir à la formation d’un contre-pouvoir mondialisé
de la société civile ? Contre-pouvoir fondé avant tout sur la consommation car les
producteurs ne possèdent plus le pouvoir de pression d’autrefois comme l’a montré, par
exemple, le conflit des «Danone ». Le boycott, mode d’action postindustriel, remplacerait – ou bien accompagnerait – la grève, mode d’action industriel car, si le capitaliste peut licencier sans trop de souci les producteurs salariés, les multinationales ne peuvent pas licencier les consommateurs.
Parmi tous les autres moyens de lutte, le boycott – quand il se découvre un esprit libertaire – se révèle le moyen économique d’une contestation et/ou d’un contre-pouvoir pour ceux qui ne cherchent pas à conquérir le pouvoir politique.
Dans la large panoplie de la désobéissance civile, le boycott est un outil que l’on associe
le plus souvent à la non-violence. Il repose sur le refus. Si nous ne savons pas toujours ce
qu’il faut faire, nous portons presque toujours en nous la certitude de ce qu’il ne faut pas
faire, qu’il y a ainsi des limites que l’on ne peut franchir, autrement dit que l’individu
recherche, plus ou moins consciemment, une cohérence dans sa vie.

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