Insoumission et refus d’obéissance

Léonore sur le site Pensée libre :
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Michel Hanniet : Insoumission et refus d’obéissance

Combien furent-ils ? Quelques centaines, au moins, beaucoup plus selon Tramor Quemeneur, auteur d’une thèse sur le sujet [1] : 12 000 serait le nombre de réfractaires à la guerre d’Algérie, côté français, dont 10 831 insoumis, 886 déserteurs et 420 objecteurs de conscience [2]. Ce refus d’une guerre qui ne disait pas son nom fut au départ individuel. Mais des voix s’élèvent – ainsi le Manifeste des 121 – et des réseaux se créent. Notamment l’Action civique non-violente (ACNV).

Ceux qui refusent de porter les armes et de participer à ce que les autorités appelaient « pacification », vont se regrouper, se soutenir, et s’appuyer sur un ensemble d’hommes et de femmes non soumis à la conscription mais dont les convictions sont tout aussi solides que celles des réfractaires. Ceux-ci, loin de chercher à fuir, proposent d’effectuer un service civil auprès de la population algérienne, et vont se mettre à l’œuvre, ici et maintenant, par exemple en participant à des chantiers du SCI [3] ou en aidant les habitants de bidonvilles. Ils ne se cachent nullement des autorités, qu’ils informent scrupuleusement de leur lieu de résidence. Lorsque les gendarmes viennent les chercher, surprise et embarras pour ces derniers, plusieurs individus affirment porter le nom du réfractaire.
Michel Hanniet retrace son itinéraire dans une interview fictive [4]. Cependant, est-il précisé dans l’avant-propos « Savoir dire NON » : « En vérité l’entretien que l’on va lire n’a jamais eu lieu… Toutefois sa particularité est de ne contenir que des données rigoureusement vérifiables : faits et dates, noms de personnes et de lieux, tout y est exact hormis l’identité et l’existence véritable de la personne à qui il est temps de donner la parole.
Au travers des questions posées, l’auteur situe d’abord sa famille et son enfance. Il montre bien le traitement, par les institutions, les politiques, les médias, de la guerre d’Algérie. « Le simple bon sens aurait dû faire de tout individu censé un adversaire de cette guerre pour laquelle on faisait appel au contingent”, c’est-à-dire à de tous jeunes hommes, à peine sortis de l’adolescence. » Rappelant les actions de blocage de trains menées en 1956 lorsque étaient rappelés des hommes ayant déjà effectué leur service militaire : « Un demi-siècle après j’en suis toujours à déplorer qu’il n’y ait pas eu de véritable opposition “civique” et “physique” à l’envoi de jeunes appelés hors du territoire français pour une cause si détestable ! Les adversaires de cette guerre étaient si nombreux que si seulement un dixième d’entre eux ou même un vingtième avaient refusé leur enrôlement, le gouvernement aurait été contraint de faire machine arrière…  »
Comme d’autres, Michel Hanniet a eu connaissance, par des appelés, des missions qu’on leur ordonnait. Regroupement de population relevant de la déportation, bombardements et incendies de villages, exécutions, tortures… Au printemps de 1961, grâce à un camarade rencontré sur un chantier du SCI, il prend contact avec une petite équipe réunie autour de Jo Pyronnet et ainsi avec le mouvement de l’Action civique non-violente. Peu après, il assiste au procès de Paul Grosz, réfractaire, qui sera condamné à 18 mois de prison. C’est à lui, ainsi qu’à d’autres jeunes (14 au total) refusant leur incorporation, qu’il fait référence dans sa lettre adressée le 2 juillet 1961 au commandant du Bataillon de chasseurs-alpins, avec cette précision : « les arguments exposés par le président du tribunal et le commissaire du gouvernement n’avaient pas altéré mais bien plutôt renforcé mes convictions. » En citant ses camarades de refus, il souligne le côté collectif de leur action mais aussi le fait d’être réfractaires à un service armé mais non à un service civil. « Nous avions une charte implicite : ne pas accepter de solution individuelle qui pourrait nous être proposée lors de notre passage à la barre d’un tribunal militaire. » Il sera condamné le 26 janvier 1962 à deux ans de prison pour insoumission et refus d’obéissance par le tribunal permanent des forces armées de Lyon.
Au cours de cette « interview », vivant fil conducteur de son récit, Michel Hanniet relate les divers épisodes de sa détention. Ayant eu à côtoyer des objecteurs témoins de Jéhovah, il se montre assez critique à leur égard. Il reçoit grâce au soutien de l’IRG (Internationale des résistants à la guerre) [5] des cartes postales du monde entier.
Lors de leur regroupement dans le camp de Mauzac dont ils furent extraits lorsque fut voté le statut des objecteurs de conscience, certains s’étaient promis de se retrouver plus tard… Ce qui aboutit à un rassemblement amical animé notamment par Christian Fiquet, lui-même réfractaire et emprisonné en Algérie. A la suite, la sociologue Djaouida Sehili, parente de Christian Fiquet, mena une enquête pour déterminer les points communs à tous ces jeunes gens qui avaient refusé de participer à la guerre d’Algérie. Résultat : aucun, sauf « un niveau de conscience acquis peut-être, dans leur enfance, par l’expérience traumatisante de la guerre. »
De cette rencontre en 2003, dans une bergerie proche du Larzac, naîtra un livre, Réfractaires à la guerre d’Algérie – 1959-1963 puis un film Comme un seul homme [6].
Ce témoignage est suivi de quelques pages consacrées au Centre des Circauds, dans le Brionnais, consacré à la formation à la non-violence, et au périodique Combat non-violent.

*

[1] Tramor Quemeneur : Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie. Thèse soutenue en 2007 sous la direction de Benjamin Stora.
[2] Ce nombre d’environ 12 000 réfractaires, rapporté aux 1 200 000 appelés en Algérie, représente environ 1 % des soldats.
[3] Le Service civil international, fondé en 1920 par l’ingénieur suisse Pierre Cérésole, organise des chantiers de volontaires dans la perspective de la réconciliation des peuples qui venaient de s’affronter, et comme alternative au service militaire obligatoire. La branche française du SCI fut créée en 1936.
[4] Michel Hanniet, Insoumission et refus d’obéissance, édition Les Tilleuls du Square, Gros Textes, 2017.
[5] L’Internationale des résistant.e.s à la guerre (IRG), fondée en 1921 est connue sur le plan international sous le nom anglais War Resisters’ International (WRI) ; l’IRG a pour base la déclaration suivante : « La guerre est un crime contre l’humanité. C’est pourquoi je suis résolu(e) à n’aider à aucune espèce de guerre et à lutter pour l’abolition de toutes les causes des guerres. »
[6] Erica Fraters, Réfractaires à la guerre d’Algérie, 1959-1963, Syllepse, 2005. Éditions de la Casbah en fac-similé en 2012. Comme un seul homme, réalisateur François Chouquet, 2005.

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