En Cisjordanie, l’espoir d’un soulèvement pacifique

Mustafa Barghouti

mediapart.fr/journal/international/241217/en-cisjordanie-l-espoir-d-un-soulevement-pacifique. Jérusalem, de notre correspondante.

Et si les déclarations de Donald Trump ne constituaient pas le terreau pour une explosion de violences, mais plutôt pour l’émergence d’un mouvement de résistance pacifique depuis la base de la société palestinienne ? Depuis que le président américain a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël le 6 décembre dernier, c’est en tout cas l’espoir que cultivent les partisans palestiniens de la non-violence.
Promoteur d’une « troisième voie » pour échapper à la « corruption » du Fatah et au radicalisme du Hamas, Mustafa Barghouti milite en faveur de la résistance pacifique depuis une quinzaine d’années. L’homme politique palestinien n’hésite pas à comparer la situation actuelle avec celle de la première intifada, qui avait démarré il y a trente ans par un sursaut de contestation spontané des Palestiniens contre l’occupation israélienne. « En 1987, le mouvement était très puissant, tout le monde y a pris part à travers le pays », se souvient-il.

Quand on lui rétorque que les observateurs s’accordent à dire que la mobilisation des Palestiniens a été plutôt limitée ces deux dernières semaines, Mustafa Barghouti reste sur sa conviction : « Cela commence à peine, cela va continuer et probablement s’amplifier dans les semaines qui viennent. »
D’après lui, la controverse autour de l’installation de détecteurs de métaux par Israël à l’esplanade des Mosquées, en juillet dernier, et de leur retrait après la mobilisation des Palestiniens, a marqué un tournant. « Le mouvement a eu un véritable impact. Cela a prouvé aux Palestiniens combien la résistance pacifique pouvait être efficace », affirme-t-il.
L’homme politique cite aussi l’influence du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), cofondé par son cousin éloigné, Omar Barghouti. Lorsqu’on lui fait remarquer que le BDS n’a pas empêché le gouvernement israélien de poursuivre sa politique de colonisation, Mustafa Barghouti se veut optimiste : « Le mouvement n’a pas encore atteint son apogée, mais cela arrivera, comme en Afrique du Sud. »
De fait, face à l’immobilisme d’un Mahmoud Abbas vieillissant, accusé de corruption, de plus en plus de Palestiniens convaincus de l’inefficacité de la lutte armée se sont tournés ces dernières années vers des formes de résistance pacifique.
C’est « l’arme secrète des Palestiniens », glisse Ali Abu Awwad. Le militant de 45 ans nous reçoit dans le centre dédié à la non-violence qu’il a créé chez lui, à l’entrée du Gush Etzion, le plus important bloc de colonies juives de Cisjordanie.
L’endroit a son importance. Situé au sud de Jérusalem, le Gush Etzion a longtemps été cité comme « exemple » de coexistence entre Juifs et Arabes. Mais depuis la seconde intifada, l’ambiance n’a plus jamais été la même. Pour preuve : à quelques mètres, des soldats israéliens, armes au poing, surveillent le carrefour le plus fréquenté du bloc de colonies, où trois adolescents juifs avaient été kidnappés avant d’être tués en 2014.
D’après une étude dévoilée le 18 décembre par l’association israélienne Center for a Shared Society, près de 64 % des Juifs se disent en faveur de la coexistence, mais seulement 13 % seraient prêts à vivre avec des Arabes comme voisins. « Aujourd’hui, la peur des Juifs est le pire ennemi des Palestiniens. La seule manière de surmonter cette situation est la non-violence », tranche Ali Abu Awwad.
Élevé dans un camp de réfugiés par une mère politisée, membre de l’Organisation de libération de la Palestine puis du Fatah, le militant a découvert le pouvoir de la résistance pacifique en prison. Arrêté pour avoir jeté des pierres et des cocktails Molotov pendant la première intifada, il parvient en 1993 à voir sa mère, également incarcérée par les autorités israéliennes, au terme d’une grève de la faim de 17 jours. « Ce jour-là, j’ai compris qu’il pouvait exister une alternative à la violence », raconte-t-il.
Derrière les barreaux, il se plonge alors dans les écrits des grandes figures de la résistance pacifique : Mandela mais aussi Gandhi, Martin Luther King ou encore Malcolm X. « Ma vision politique et mon cœur ont été bouleversés », confie-t-il.
En 2001, nouvel électrochoc. Libéré dans le cadre des accords d’Oslo dont il doute déjà des bienfaits, Ali Abu Awwad assiste à une rencontre organisée par sa mère avec une Israélienne ayant perdu un enfant dans le conflit. « C’était la première fois de ma vie que je voyais une Israélienne pleurer en face de moi. Je ne pouvais pas imaginer que les Juifs pouvaient avoir des larmes. »
Depuis, le militant est persuadé que la non-violence doit venir des Palestiniens eux-mêmes, qu’elle pourra les aider à créer l’identité dont l’accord d’Oslo les a privés. « Nous devons cesser de nous considérer comme des victimes en nous plaignant de l’occupation israélienne. Nous devons prendre nos responsabilités, nettoyer nos rues, éduquer nos enfants », préconise-t-il.
À la tête du mouvement Taghyeer (changement, en arabe), le militant organise depuis quatre ans des ateliers pour sensibiliser les Palestiniens à la non-violence et leur expliquer comment l’utiliser à l’échelle individuelle pour initier un « changement social ». « La plupart du temps, nous réagissons, alors que nous devons agir. Nous devons être les artistes de notre société », lance-t-il.
L’organisation compte une trentaine de relais à travers la Cisjordanie et a rassemblé plus de 4 000 personnes lors d’une manifestation en faveur de la paix à Jéricho l’an dernier.

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