Le peuple de la boue

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Publié dans Le Monde libertaire, n° 1710 du 13 au 20 juin 2013.

Bénédicte Manier, dans Un million de révolutions tranquilles, décrit une démondialisation en marche qui ouvre silencieusement des brèches dans la carapace du capitalisme. C’est d’une carapace de béton, pour construire un aéroport dispendieux et inutile, que les adeptes du profit maximal – affairistes, politiciens et technocrates – veulent maintenant couvrir les 1 700 hectares d’un certain bocage près de Notre-Dame-des-Landes en déportant les populations, en bitumant un espace habité par des humains qui pensaient ne pas vivre dans un désert. Des aéroports inutiles et vides, il y en a d’autres comme ceux de Huesca, Lerida, Cordoue, Ciudad Real, Castellon en Espagne ; puis celui d’Angers, inauguré en 1998 avec un taux de fréquentation de 10 %; celui de Lorraine, inauguré en 1991 avec un taux de fréquentation de 56 %; celui de Rennes, inauguré en 1993 avec un taux de fréquentation de 50 %.
La zone d’aménagement différé, ZAD, de Notre-Dame-des-Landes est donc devenue une zone à défendre ; ce à la grande surprise de décideurs à la pratique démocratique extrêmement perverse qui comptent pour quantité négligeable les quelques paysans attachés à leurs terres. C’était faire peu de cas également des voisins et de nouveaux habitants inattendus qui vinrent illico remplacer les paysans qui s’étaient laissé acheter.
Occupation de terres qui se fit à la grande contrariété des socialistes au gouvernement et des écologistes prêts à brader leurs convictions pour un tabouret auprès de l’exécutif. Ces écologistes qui déclaraient par la bouche de Cécile Duflot lors de l’université d’été des Verts en 2010 : « L’accord de 2012 avec le PS, s’ils ne lâchent pas Notre-Dame-des-Landes, ce sera non. »
Depuis, elle est devenue ministre, préférant « changer les choses de l’intérieur »…
En revanche, sur le terrain, les nouveaux habitants se sont révélés très vite d’une combativité exemplaire − il y avait là plus qu’une simple indignation − et d’une inventivité débordante avec la construction de cabanes en kit, avec l’édification d’abris jusque dans les arbres et aussi sur les étangs, habitats éphémères, sans doute, mais au charme poétique sauvage ; ils inaugurèrent alors spontanément un mode de vie collectif, pratiquant l’entraide tout en cultivant des légumes dans des potagers collectifs.
Faut-il dire la solidarité qui vint de la France entière et aussi de l’étranger ?
Ainsi, un véritable réseau de ravitaillement divers s’est organisé : nourriture et boissons, vêtements et matériel : outils de toute sorte, fourches, clous, poutres et planches, bottes et autres chaussures, couvertures, médicaments, masques à gaz, piles, imperméables, etc.
Ne nous y trompons pas, ce laboratoire d’utopie connaît ses désaccords et ses conflits avec des prises de bec et quelques échanges de horions, paraît-il. Mais c’est une diversité forte qui ne veut pas « se laisser aménager », qui ne veut pas que l’on bitume les espaces, qui ne veut pas que l’on déporte des populations. Et cette diversité se montre créatrice.

Manières d’agir
« La réalité du mouvement, c’est une multitude de personnes qui font de la logistique, des repas, de la communication, des collages, des dossiers juridiques, des lance-pierres, des pansements, des chansons, qui construisent des maisons, cultivent, se couchent sur les routes ou y courent masqués, etc. […] Ce que nous vivons sur le terrain, ce n’est pas une nécessité de s’affirmer comme violents ou non-violents, mais une volonté de dépasser ces catégories idéologiques et séparations neutralisantes », déclarent des résistant.e.s à l’opération César.
La zone à défendre voit la pratique de multiples moyens : occupations des lieux, caillassages de la police, cocktails Molotov, jets de peinture, d’œufs, de boue, de boulons, de cailloux, de billes d’acier, de fusées ; on allume des feux d’artifice, des pneus, on entarte des personnalités (Jean-Marc Ayrault y a eu droit) ; autres moyens encore : grèves de la faim, sit-in, humour, insultes, armées de clowns, orchestres, boycott organisé par les habitants d’une commune proche, « tracteurs vigilants », chicanes et barricades, etc.
Qui disait que les barricades étaient un vestige des vieux temps révolutionnaires et citadins ? Elles fleurissent à Notre-Dame-des-Landes avec passages en zigzag pour retarder les forces de l’ordre qui les détruisent ; et les barricades sont aussitôt reconstruites. De même que les cabanes : « Déloger, on peut faire. Mais tenir, c’est impossible. On ne peut pas empêcher les gens de revenir le lendemain ou la nuit », ont déclaré des flics dépités.
Et des comités de soutien ont fleuri dans la France entière…
Pour l’information une radio − radio Klaxon − et un site sur la toile : zad.nadir.org
La défense de la zone n’est pas à strictement parler non-violente, mais pas pour autant d’une violence extrême ; le sabotage est pratiqué ; oui, des manières d’agir diverses cohabitent comme on a pu le voir à Gorleben, en Allemagne.
À noter quelques pillages, des autoréductions ici ou là, par exemple dans un supermarché, par une horde d’affamés comme chez Fauchon, à Paris, quand les gauchistes de l’époque organisaient ce genre de manifestations.
Bien sûr, des peines de prison sont à inscrire dans le tableau des événements ; et aussi des blessés des deux côtés. Du côté de la répression, ce sont les Flash-ball et leurs balles en caoutchouc qui accompagnent gaz lacrymogènes et autres bombes assourdissantes.
Avec ZAD partout, zone à défendre, les éditions de l’Insomniaque font preuve du souci de transmettre l’histoire d’un combat, l’histoire d’une lutte riche d’imagination et d’avenir.
Et on se souviendra alors d’un autre combat, qui ressemble à celui-là, contre l’armée, sur le plateau du Larzac, mené de 1971 à 1981, et qui fut gagné de justesse. Cette dernière histoire nous a été transmise par Pierre-Marie Terral dans son Larzac. De la lutte paysanne à l’altermondialisme.
le samedi 11 mai 2013, sur la ZAD, une chaîne humaine a réuni environ 40 000 personnes opposées au projet d’aéroport. Indépendamment de cette action d’un jour, il nous semble que les activistes installés là préfigurent ce que l’on peut nommer « un nouveau sujet politique qui hait la politique séparée », un nouveau sujet de l’Histoire qui pourrait remplacer les protagonistes du passé qui ont échoué à changer le monde.
« Qui vient ici sans idée préconçue décèlera vite, sous la boue et les images toutes faites, qu’il se passe quelque chose : la recherche, qui peut paraître inouïe, d’une sortie de l’économie et de ses paramètres délirants… […] En quelque sorte, commencer… Enfin! »
Les légions de César vaincront-elles le courageux petit peuple de la boue ?
La revue Silence (n° 414 de l’été 2013) signale que les compagnons de l’Arche (Lanza del Vasto) ont installé sur la zone une cabane nommée Paz qui signifie « paix » en espagnol mais également : Présence de l’Arche sur la Zone.

Collectif, ZAD partout, zone à défendre
à Notre-Dame-des-Landes,
textes et images, l’Insomniaque éd., 2013, 144 p.

On pourra consulter également
de R. de Legge et R. Le Guen
Dégage !… On aménage
aux éditions du Cercle d’or, 1976.

Et aussi :
C’est quoi c’tarmac ?
par le collectif Sudav,
No pasarán éd., 2011.

De même le site <zad.nadir.org>

Achaïra, juin 2013

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