Retour de guerre

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Publié par Le Monde libertaire, n° 1682 du 27 septembre au 3 octobre 2012.

Il peut être très confortable de ne pas avoir participé à une guerre coloniale − il s’agit de la guerre d’Algérie, 1954-1962 −, de n’avoir pas fait ce qu’on ne voulait pas faire et de n’y quasiment plus penser, ou presque, occupé ailleurs. D’autres ont eu moins de chance. Il faut dire, pour comprendre ce qui s’est passé, que les jeunes hommes qui sont allés se battre n’étaient en rien habitués à la contestation ; au contraire, formatés à l’obéissance par l’Église catholique, passés au moule de l’école de la République de Jules Ferry, façonnés par les pères et les mères, pour eux, désobéir n’était pas pensable, pas imaginable.

Et puis le risque était certain de se retrouver désespérément seul devant leur désobéissance, sans soutien. Disons que, dans la France de l’époque, il ne fallait pas compter sur les partis de gauche, que ce soit le Parti communiste, que ce soit le Parti socialiste, que ce soient d’autres partis.
La guerre terminée, revenus de ce côté-ci de la Méditerranée, la plupart des démobilisés s’enfermèrent dans un grand mutisme, certains se suicidèrent.
Aussi, il faut saluer le courage − oui, le courage − de quelques-uns qui, en 2004, ont créé une association : les 4ACG (l’association des anciens appelé en Algérie et leurs amis contre la guerre). L’initiative en revient à quatre paysans plus tout jeunes et vivant près de Millau.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que, depuis, ces anciens combattants ont vécu leur vie dans un grand malaise qu’ils n’arrivent que difficilement à évacuer.
De plus, pour cette excursion guerrière outre-Méditerranée, non voulue par eux, ils touchent maintenant une pension militaire de quelque 600 euros annuel. Et ils considèrent que c’est de l’argent sale, de l’argent taché de sang. Aussi, cet argent ils ont décidé de le reverser à un village algérien.
L’association lancée, l’idée a fait boule de neige et, depuis, elle s’est fortement développée : ils sont maintenant plus d’une centaine à pratiquer cette réversion.
Dans un premier temps, ils ont porté leur aide à Tazla, un village de Kabylie détruit par la guerre en 1958. Puis d’autres villages ont bénéficié de leur solidarité qui s’est précisée : ici, en donnant leur appui à un élevage avicole fermier ; là, en aidant à terminer la construction d’un local à usage culturel destiné à l’ensemble de la population (alphabétisation, formation, lecture, expression artistique, etc.) ; ailleurs, c’est un coup de main financier à une association pour des enfants autistes, etc.
Ces aides sont toujours décidées, après discussion, lors d’une assemblée générale de l’association.
Un autre projet, en Palestine, a vu le jour à l’initiative d’une autre association, celle des Réfractaires à la guerre d’Algérie, et en partenariat avec plusieurs délégations de la région parisienne d’une autre association encore : France Palestine Solidarité.
Ce projet a pour objet de soutenir des paysans palestiniens de la vallée du Jourdain dans la mise en valeur de leurs terres par la plantation de palmiers dattiers ; aide qui les libère de l’emprise israélienne.
Maintenant, c’est un village marocain qui profite de leur cagnotte.
Ainsi, en fin d’année 2011, presque 60 000 euros ont été distribués pour des projets de développement divers.
Puis l’idée est venue à ces anciens combattants de faire un livre de témoignages sur « leur » guerre. Ce livre est maintenant édité ; il s’agit de Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance. Paroles d’humanité (L’Harmattan éd.) ; quasiment 500 pages.
Dans leur élan généreux, les 4ACG ont associé à leurs témoignages ceux de pieds-noirs progressistes, ceux d’anciens combattants du Front de libération nationale algérien, ceux de harkis, ceux de réfractaires français, puis également des témoignages de femmes françaises et algériennes qui ont partagé ce drame de diverses façons.
Ce qui est frappe, de prime abord, dans l’édition de ce livre, c’est la manifestation d’un sacré courage ! Oui, après tant d’années, presque un demi-siècle pour certains, vouloir revenir sur cette guerre qui leur est restée en travers de la gorge, il faut en avoir du cœur : pour raconter, pour parler, pour témoigner afin de se délivrer, se libérer car, vous qui me lisez, n’oubliez pas le grand silence qui s’est souvent abattu sur eux − en eux − après cette désastreuse expérience.
Dans ce livre, on trouvera une écriture des plus simples − nos amis ne sont ni des intellectuels ni des théoriciens − mais une écriture qui provoque à de nombreuses reprises une forte émotion. Oui, certains témoignages sont poignants quand ils osent dire ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont laissé faire, ce à quoi ils n’ont pas osé ou pu s’opposer.
Rappelons que la torture a été largement pratiquée lors de cette guerre, rappelons que les prisonniers étaient souvent abattus sans jugement pendant ce que l’on nommait une « corvée de bois ». En face, l’adversaire n’était pas moins cruel qui n’hésitait pas à égorger et à placer des bombes dans des lieux publics.
Pour le lecteur qui a pris de la distance, il est intéressant de voir comment on peut mener des jeunes gens à l’abattoir sans trop qu’ils regimbent.
Il y eut bien quelques protestations populaires, des trains bloqués, mais cela ne dura guère. Il nous faut citer cependant le refus d’un groupe de soldats à La Villedieu, en mai 1956, dans le Limousin, soldats qui mirent la crosse en l’air, manifestation bien vite réprimée par la police militaire, l’emprisonnement d’un maire et d’un instituteur qui manifestèrent leur solidarité. Une association, Mémoire à vif, relate ce combat pacifique.
Lors de cette guerre, il y eut, on le sait, des désertions, des refus d’obéissance, des insoumissions ; mais ce ne fut qu’un mouvement d’individus éparpillés et minoritaires.
Actuellement, l’association des 4ACG s’est ouverte à ceux qu’ils nomment leurs « amis ». Ces anciens combattants ne sont plus seuls. Pour en savoir plus, on consultera leur site en tapant 4acg.org.

Achaïra, 8 mars 2012

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