Nestor Makhno, Mémoires et écrits

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

À cheval et en tatchanka

Oui, c’est un gros bouquin, traduit du russe par Alexandre Skirda qui, dans sa présentation, retrace l’expérience historique d’une armée libertaire opérant en Ukraine dans les années 1920 ; ce que l’on a l’habitude de nommer : la Makhnovchtchina.
« Même animée par des anarchistes convaincus, une armée insurrectionnelle, avec les structures militaires qu’elle suppose, constituait un phénomène sans précédent et paradoxal, tout autant à l’égard de la doctrine anarchiste que de sa mise en œuvre », écrit Alexandre Skirda (p. 9).
Dans ses Mémoires, Makhno raconte comment, après avoir été condamné à mort, puis, trop jeune pour être exécuté, avoir été enfermé huit années durant en diverses prisons, il revint dans son village de Gouliaï-Polié et alors comment il entreprit avec les compagnons du groupe anarchiste de son village d’organiser paysans et ouvriers. L’homme Makhno brûlait d’une sorte de feu sacré qui embrasa les enthousiasmes de ses compagnons, il faut le dire. Et se pose la question de l’importance du meneur au sein des masses, de la nécessité d’un chef, d’un entraîneur, etc.
Les problèmes révolutionnaires du moment, en 1917, c’était la mise en commun des terres accaparées par quelques riches propriétaires, c’étaient les échanges directs de blé contre du tissu entre la ville et la campagne, et ce sans passer par l’intermédiaire de l’État, c’était l’organisation des collectivités agricoles, etc. Tout cela est décrit sans doute trop brièvement pour faire la part belle aux combats et aux engagements militaires contre les petliouristes nationalistes, contre les « blancs » réactionnaires et puis contre les communistes rouges.
Lancinant est le rappel fait de la volonté de Makhno, et de certains compagnons, de regrouper les anarchistes dans une organisation anarcho-communiste disciplinée, cohérente et efficace, idée qui se concrétisa dans un texte : la plate-forme dite d’Archinov, à laquelle s’opposèrent les anarchistes « synthésistes » ouverts, eux, à toutes les tendances.
Et nous appuierons cette dernière position des propos d’un militant libertaire lors d’une réunion internationale tenue à Genève en 1882 : « Nous sommes unis parce que nous sommes divisés. »
Mais avant de prendre parti pour les uns ou pour les autres, on pourra lire avec un certain plaisir cette grande épopée à cheval et en tatchanka, cette légère carriole paysanne équipée d’une mitrailleuse pour le combat.
C’est un véritable western social dans les steppes ukrainiennes qui est décrit, une épopée faite de violences, d’assassinats, d’exécutions, de bombes, de prisons, etc. C’est-à-dire, sûrement, la vision stéréotypée du grand public quand il pense à l’anarchisme.
Que retenir de ce moment de notre histoire ? Les forces étatiques ont partout triomphé de l’anarchisme, que ce soit en Ukraine, à Kronstadt, en Espagne ou ailleurs…
Et, certes, les temps ont considérablement changé. Pour autant, nous continuons à scruter les perspectives qui permettront de transformer le monde, nous continuons à défricher des voies pour rien de moins que ré-enchanter la vie !

Nestor Makhno, Mémoires et écrits, 1917-1932,
Ivrea éd., 2009, 566 p.

Achaïra, 24 mars 2011

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