Les anars à Bordeaux

Émission sur la Clé des ondes à Bordeaux

Savez-vous − vous qui écoutez les anarchistes à la radio − que, dans la ville de Bordeaux, nous existons depuis environ 150 ans ? En effet, les travaux des historiens − si l’on se fie à eux − ont pu noter « certaines manifestations libertaires » dès 1860 ; ils citent ainsi un dénommé Buzon qui remplissait « les fonctions de correspondant de Pierre-Joseph Proudhon » et qui publia dans la presse bourgeoise, en 1869, un Manifeste abstentionniste. En 1882, un rapport de police mentionne l’existence d’un groupe anarchiste bordelais qui déléguera, en août, le dénommé Léglise, à Genève, en Suisse, suite à une invitation d’Élisée Reclus.
La réunion de Genève proclamait « l’autonomie absolue des groupes dans l’application des moyens qui leur sembleraient les plus efficaces ». Et aussi le rejet de toute forme d’organisation rigide et coercitive.
En 1883, à Bordeaux, le forgeron Felloneau conçoit le projet d’une fédération régionale qui échoue. En 1884, deux groupes se partagent la ville :
− Le premier, « La Haine » (« dénomination guerrière et agressive » s’explique par les événements de Montceau-les-Mines qui virent de nombreuses et lourdes condamnations chez les mineurs). Sans doute, ces militants étaient-ils dans la lignée de ceux qui, à Londres en 1881, lancèrent l’idée de la « propagande par le fait ». Plus tard, pourtant, quelqu’un comme Kropotkine critiqua cette position, estimant qu’« un édifice basé sur des siècles d’histoire ne se détruit pas avec quelques kilos d’explosifs ».
− L’autre groupe, « le Propagateur », se consacrait à la diffusion des idées libertaires.
À l’époque, les fonctionnaires de police se mélangent un peu les pieds quand ils rendent compte à leurs supérieurs des agissements des anarchistes : ils ne comprennent rien à leur organisation − ou inorganisation − ; anarchistes qu’ils confondent souvent avec les différents autres groupes révolutionnaires et même parfois avec les boulangistes.
Entre 1880 et 1884, on assiste à une vigoureuse poussée du syndicalisme ouvrier.
En Gironde, région très marquée par l’artisanat et le compagnonnage, et à Bordeaux, ville plus commerçante qu’ouvrière, les ouvriers sentent la nécessité de s’unir pour faire triompher leurs revendications. Ce qui se fera dans les syndicats qui se multiplient et s’unissent, et aussi dans les Bourses du travail.
En 1888 se tient le congrès syndical de Bordeaux avec entre autres revendications la journée de travail de 8 heures.
En 1889 se tient un congrès international ouvrier qui entérine le choix du 1er mai comme journée revendicative.
Les anarchistes bordelais, partisans de l’action directe, sont plutôt hostiles « à toute démarche pétitionnaire envers les pouvoirs publics », et ils s’opposent globalement à un projet qui ne pouvait servir qu’à asseoir un peu plus un des partis socialistes de l’époque, celui de Jules Guesde. Mais d’autres anarchistes voient dans le 1er mai une « potentialité révolutionnaire », une préparation à la grève générale.
À Bordeaux, le 1er mai 1890 se passe dans le calme : 10 000 manifestants selon le syndicaliste Lavigne ; 1200 selon la police ; une seule arrestation, celle d’un certain Mayer, ancien communard déporté.
Différents congrès internationaux se prononceront alors pour renouveler en 1891 l’expérience de ce 1er mai. Mais la police est sur les dents. C’est même la panique chez les bourgeois.
Au niveau national, des instructions ministérielles seront envoyées aux préfets pour ne tolérer aucune manifestation sur la voie publique. À Bordeaux, un dispositif répressif d’une telle ampleur est déployé que même le journal local ironise, se demandant si soldats, gendarmes et gardes municipaux ne se sont pas entendus pour une démonstration en faveur de la journée de 8 heures.
La consigne policière est « de disperser rigoureusement tous les groupes » au fur et à mesure de leur formation. Les anarchistes Antignac et Dutou seront interpellés et condamnés dès le lendemain pour outrage et menace à agents.
Une enquête est alors menée sur la propagande anarchiste.
Au niveau national, toujours, la répression est forte. Par exemple, suite à une échauffourée autour d’un drapeau rouge, à Clichy, en région parisienne, des anarchistes sont arrêtés, et le tribunal demande contre eux rien moins que la peine de mort.
Le 1er mai 1891, c’est aussi le massacre de Fourmies où la troupe panique face à la poussée de jeunes manifestants ; elle en tue une dizaine.
Après 1892, la mobilisation ouvrière perdra de son ampleur devant la répression.
Il semblerait aussi que la période des attentats ait détourné les ouvriers de l’action directe. Parallèlement, pour se démarquer de l’anarchisme, les partis socialistes ont mis en sourdine leurs idées révolutionnaires pour se tourner vers la conquête des pouvoirs publics. Les revendications ouvrières sont alors portées directement aux candidats socialistes qui sont élus ou pas dans les municipalités. On fait confiance au pouvoir politique issu des urnes.
À Bordeaux, en 1891, tout est calme, des élections municipales ont eu lieu.
La IIIe République est un régime d’unité nationale symbolisé par le drapeau bleu-blanc-rouge avec la bourgeoisie au pouvoir ; ce sont aussi de beaux jours pour le colonialisme ; le pouvoir ne pouvait donc tolérer de voir flotter un drapeau rouge, symbole d’une République sociale opposée à une bourgeoisie triomphante.
À Bordeaux, en 1888, lors d’un congrès ouvrier, les délégués décidèrent pourtant d’adopter le drapeau rouge comme emblème. La police intervint pour en faire enlever deux qui encadraient la tribune, en vain. Le maire fit alors interdire la suite du congrès qui se réunit au Bouscat. Par la suite, le préfet interdit le déploiement du drapeau rouge sur la voie publique et en réunion.
En 1896, la police interviendra jusque dans le cimetière de la Chartreuse où le drapeau est déployé lors d’un enterrement.
En 1897, c’est le syndicaliste Lavigne qui doit enlever le drapeau rouge placé à sa fenêtre.
L’interdiction de ce symbole marquait la volonté étatique du moment de s’opposer à une prise de conscience d’une classe ouvrière qui s’éveillait.
Le drapeau noir viendra un plus tard avec Louise Michel. Car la lutte continuera. Bonsoir…

Achaïra, 7 octobre 2010

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