Le commando rouge

Publié par Le Monde libertaire, n° 1734 du 13 au 19 mars 2014.

« Ordre et progrès », telle est la devise du Brésil. Ce progrès-là s’exprime surtout par la progression du profit capitaliste qui ne semble s’accomplir que par une croissance aveugle et inhumaine de l’économie tout en creusant encore plus profondément les inégalités sociales déjà bien présentes. Rappelons que l’esclavage des Noirs, dans ce pays, n’a été officiellement aboli qu’en 1888. L’accaparement des richesses et la corruption des puissants accompagnés de la brutalité policière ne laissaient, pour survivre, d’autre choix aux laissés-pour-compte, qu’une débrouillardise tous azimuts qui pouvait se révéler d’une extrême violence. Petit voleur de rue, William Da Silva Lima fut, dans un premier temps, condamné à cinq ans d’incarcération :

« Il y a des bandits dans toutes les classes sociales, mais seuls les pauvres peuplent les prisons. » En sortant, après avoir tenté une réinsertion dans une imprimerie qui fit faillite, il monta dans la catégorie supérieure des détrousseurs, celle des braqueurs de banque, baptisés plus particulièrement par la police le « comando vermelho ». Dans son livre, William, arrêté à plusieurs reprises, raconte la vie de celui qui finit par accumuler une quarantaine d’années dans différentes prisons de l’État de Rio de Janeiro.
Condamner quelqu’un est une chose, l’application de la peine en est une autre qui a peu à voir avec la justice quand elle dépend de l’administration, des directeurs d’établissement, de l’humeur des gardiens, de la bonne volonté de ceux qui sont aux cuisines, etc.
Il paraît évident que la première et peut-être la plus importante fonction du système pénitentiaire, c’est de détruire la personnalité du détenu par des passages à tabac, l’entassement dans les cellules, une nourriture insuffisante et immangeable (les aliments apportés par la famille étant confisqués) et le travail obligatoire et gratuit.
S’y ajoute un climat de peur entretenu par la brutalité des gardiens mais, de plus, par des prisonniers violents organisés pour violer, voler et assassiner et placés intentionnellement en certains endroits dans un souci d’entretenir la terreur et la division.
Mais il se passa quelque chose, écrit William : « C’était que pour la première fois il y avait, dans les pires des prisons, des personnes prêtes à lutter pour survivre dans la dignité, de façon collective et organisée. »
« On commença à prôner la désobéissance collective. »
Rejetés par les prisonniers politiques, les « droits communs » réalisèrent une unité pratiquement totale et décidèrent alors de lutter.
« La première mesure que nous avons prise − ce qui représentait, en prison, une véritable révolution culturelle −, c’était l’interdiction de tout acte de violence entre les détenus. Les incompatibilités personnelles devaient être mises de côté, se régler plus tard à l’extérieur, parce qu’il était indispensable de créer entre nous un climat serein qui nous rende plus forts face à la répression. Le vol, la violence sexuelle ou toute autre forme d’agression étaient bannis, etc. »
Pourtant, un détenu agressa un camarade, « rompant ainsi le pacte de non-violence », écrit William. Sa mort fut décidée. Il fut exécuté.
« En peu de temps, les règles de l’ancien Fundão [le fin fond] s’étaient étendues à toutes les prisons : la mort pour celui qui agresse ou viole un camarade. »
Le 14 septembre 2011, William Da Silva Lima, dit « O Professor », a été libéré, assigné à résidence et astreint au port d’un bracelet électronique.
« Il est nécessaire de naviguer, vivre n’est pas nécessaire. »

William Da Silva Lima,
400 contre 1, la véridique histoire du comando vermelho,
L’Insomniaque, 2014, 144 p.

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